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Au quatrième siècle de l'hégire, les Sanhadja, race berbère qui habitait la région centrale de la province d'Alger, se rendit maîtresse de la majeure partie de la subdivision de Setif. Les Zenata, autre tribu berbère, parvinrent à se faire faire place.

En résumé, pendant la période romaine, le plateau de Setif était très-peuplé, comme l'indiquent les ruines que l'on trouve, pour ainsi dire, à chaque pas. Que, pendant cette période, la population ait été autochtone d'origine, quoique romaine par les mœurs, c'est ce qui semble cerlain; mais la domination sanhadjienne et la quatrième invasion arabe ont amené des bouleversements tels, qu'on ne trouve pas, dans la région des plaines, une fraction entière, même très-petite, pouvant sûrement faire remonter son origine aux habitants de la période romaine.

L'invasion vandale ruina le pays; mais elle ne semble pas avoir déplacé la population; celle-ci dut momentanément subir la loi du vainqueur, pour redevenir romaine aprés l'expédition de Bélisaire.

Longtemps déjà avant les premiers temps islamiques, les Romains avaient été obligés de se retirer dans les villes du littoral, et leur domination sur le pays était plus nominale que réelle. La population qui habitait alors le plateau de Setif, tout en payant tribut aux souverains de Constantinople, était directement administrée par des chefs indigènes. Elle ne se ressentit pas des deux premières invasions arabes, lesquelles ne dépassèrent pas la régence de Tunis. La troisième invasion, celle à la tête de laquelle était Okba, ne produisit, au début, que peu d'effet sur le pays qu'elle laissa au nord; mais, quelques années après, les principes de l'islam se propagèrent partout avec rapi

dité. Les indigènes finirent par subir la domination des émirs arabes qui résidaient à Kairouan. Tout le pays fut, jusqu'en 895, sous la verge de fer des princes arabes installés à Belezma et à Setif. Les Ketama prirent part å la grande révolte qui, en 909, renversa les émirs de Kaïrouan, et les remplaça par Obéïd-Allah, premier khalife fatimite. C'est vers 905, que les Ketama révoltés détruisirent, de fond en comble, ce qui restait de l'ancienne cité de Setif, qui tenait pour les émirs.

Pendant tout ce temps et jusqu'en 989, il me semble pas que la population ait été obligée de céder, même en partie, son territoire à des envahisseurs. Mais, en 989, El-Mansour, deuxième prince de la dynastie zirite, gouverneur de toute l'Ifrikia au nom des Fatimites, brisa pour jamais, dans la plaine même de Setif, la nation ketamienne, et les meilleures terres de la contrée passérent alors en des mains sanhadjiennes, qui les firent culliver par les anciens habitants devenus tributaires.

La quatrième invasion arabe (Hilal), lancée vers 1050 de la Haute-Égypte contre les princes berbères Hammadites, qui s'étaient déclarés indépendants, triompha d'abord de toutes les résistances, et s'établit en dominatrice daus les plaines. Le plateau de Setif fut occupé par elle vers 1065; mais, peu après, là comme ailleurs, les souverains berbères parvinrent à ressaisir le pouvoir en semant la discorde parmi les envahisseurs, qui furent envahis à leur tour.

Pendant la période des guerres entre les Mérinites du Maroc, les Zeianites de Tlemsen et les Hafsites de Tunis, il est probable qu'il se produisit encore, parmi les habi

tants du pays, des fluctuations qui nous sont restées inconnues.

Les familles dispersées qui, dans le commencement d'une nouvelle conquête, ne reconnaissaient point le pouvoir du dominateur, préféraient, plus tard, jouir des priviléges accordés à ceux qui se ralliaient à lui, et s'installaient sur les terres de la plaine, au milieu des derniers occupants. De là, des enchevêtrements inextricables. Enfin, la première année du seizième siècle fut marquée par l'une des migrations les plus considérables dont l'histoire fasse mention. Les Zouar'a, que Marmol, avec les autres historiens espagnols, appelle Azuagues, se révoltérent contre le sultan de Tunis, partirent du Sahara tunisien du Bled-el-Djerid, et se répandireut dans l'Algérie; ils saccagèrent Constantine, dont ils tuèrent le gouverneur, Moula-Nacer, fils du dernier sultan Hafsite de Tunis, Moula-Abou-Abd-Allah-Mohammed, qui régnait depuis le 26 mai 1494. Ils se divisèrent ensuite en deux fractions, dont l'une forma la confédération aristocratique du Zouar'a au confluent de l'Oued-Deheb et du Roumel, au nord de Mila. L'autre, grossie par diverses peuplades, se répandit dans les campagnes de Setif, puis, poursuivant sa marche, alla se fondre dans la confédération démocratique des Zouaoua et dans les tribus riveraines de l'OuedSahel.

Ainsi donc, toutes les migrations qui se sont produites successivement, ont mis une extrême confusion sur l'origine de chacune des familles du pays de plaine, où les deux éléments arabe et berbère se sont intimement mélangés. Ce mélange se produit encore de nos jours: on sait que de temps immémorial beaucoup de tribus arabes

sahariennes ont l'habitude de venir, avec leurs troupeaux et leurs familles, sur les plateaux du Tell, pendant la saison des chaleurs. Ceux de ces nomades, pénétrant dans la subdivision de Setif, arrivent généralement au mois de juin, campent en masse auprès de Sokhna. Ils restent dans les pâturages voisins jusqu'à ce qu'ils aient trouvé à conclure des conventions amiables avec les habitants des tribus du Tell. Ils vont alors se placer chez eux comme moissonneurs, et leurs troupeaux sont reçus également dans leurs pâturages. Ils apportent des dattes et des laines qu'ils échangent pour des grains, de l'huile et d'autres produits de la zone maritime. Ils restent ainsi jusqu'au mois de septembre ou d'octobre, époque à laquelle ils émigrent de nouveau pour rentrer dans le Sahara, à cause des froids de la région septentrionale et aussi parce que leurs affaires les rappellent vers le Sud. Pendant le séjour des nomades dans le Tell, il résulte inévitablement des liens d'intérêt et des alliances de famille entre la population sédentaire et celle qui vit à l'état nomade; de là, des croisements à l'infini. Voilà ce qui explique que certains groupes soient arabes sous un aspect et sous l'autre berbère.

La population des tribus kabiles a conservé un caractère beaucoup plus tranché. A aucune époque, le flot des envahisseurs n'a pu se répandre que dans les plaines et les vallées, où il ne rencontrait pas des difficultés bien sérieuses. La race dépossédée trouva un asile inexpugnable dans les hautes montagnes, où elle se fondit au milieu de la race berbère primitive qui l'absorba dans son sein. De ce mélange de Berbères, de Romains, de Vandales, d'Arabes et peut-être d'autres gens d'origine

inconnue, formant un groupe qui a ses traditions, sa langue, et chez lequel se sont développées des mœurs particulières, est résulté le peuple kabile de nos jours. Malgré l'action des siècles et une communauté de croyances religieuses, le Kabile n'en a pas moins conservé une antipathic naturelle contre l'Arabe, à cause des ressentiments héréditaires nés du souvenir de la conquête. Le caractère belliqueux de ces montagnards tient à la nature du pays, à leurs luttes continuelles entre tribus, aux éternelles guerres de village à village. A l'époque romaine, les Kabiles, chrétiens de religion, se jetèrent avec ardeur dans l'hérésie et le schisme, parce que, en protestant contre l'église dominante, ils donnaient satisfaction, autant que les circonstances le permettaient, à la haine invétérée que leur inspire toute domination étrangère. La révolte religieuse et l'insurrection politique avaient si bien une cause identique et se confondaient tellement, que, lors des guerres de Firmus, le mot Firmiani devint l'équivalent de donatistes.

Après l'invasion arabe, ils embrassèrent encore l'hérésie des chiites après s'être faits musulmans, et, au dire d'Ibn-Khaldoun, ils apostasièrent jusqu'à douze fois.

Les marabouts musulmans, vraisemblablement installés d'abord à mi-côte, où ils servaient comme de trait d'union entre l'Arabe de la plaine et le Berbère de la montagne, pénétrèrent peu à peu dans le cœur du pays, où on accueillit les apôtres de la religion nouvelle qui séduisait les instincts matérialistes de gens au caractère primitif. L'islamisme fut, dès lors, accepté dans la forme plutôt que dans l'esprit; de sorte qu'aujourd'hui le Kabile est plus superstitueux que religieux; il ne pratique, à

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