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per, de quoi l'autre ayant eu avis, il se retira la nuit. dans la plaine La-Abbès, sortant contre lui, lui donna la bataille, où quantité de gens moururent de part et d'autre, et les Turcs eussent été entièrement défaits, sans le secours des Arabes; de sorte qu'ils se retirèrent avec perte de leurs gens et de leur réputation.

» Sur ces entrefaites, arriva à Alger Mouley-bou-Azzoun, seigneur de Velez, qui promit à Salah-Raïs de payer ses troupes, pourvu qu'il le mît dans Fez, de sorte qu'il partit d'Alger avec quatre mille Turcs à pied, et en laissa quatre cents autres avec cent cinquante chevaux et deux mille cinq cents Arabes pour marcher contre La-Abbès, sous le commandement de Sinan-Raïs et de Ramdan, renégat grec. Ceux-ci ayant appris que quelques lieux de la contrée payaient tribut à La-Abbės, prirent la route de Msila pour mettre à couvert cet état. D'autre côté, cet Africain assembla ses troupes, et les fut rencontrer sur les bords de la rivière dite Oued-el-Hammam, où il les défit, et, sans donner quartier à personne, il tua tout à la réserve des deux chefs qui se sauvèrent à toute bride à Msila; mais il ne voulut point faire mourir les Arabes et se contenta de les dévaliser. Cependant, Salah-Raïs revint à Alger, lorsqu'il eut remis Bou-Azzoun sur le trône, et fit aussitôt l'entreprise sur Bougie, qu'il enleva aux Espagnols en 1555. Salah-Raïs accueillit dans les rangs de son armée les renégats et les esclaves, les paya généreusement et eut même des égards pour ces derniers, auxquels il n'imposa pas un changement de religion (1).

› La-Abbès, voyant la victoire que le Turc avait rem

(1) Haedo, f. 73, 2. col.

portée et redoutant sa puissance, rallia le plus de gens qu'il put et se fortifia dans la montagne. Mais Salah-Raïs mourut sur ces entrefaites, et la crainte cessa. Après sa mort, Hassan-Pacha lui ayant succédé, La-Abbės, qui avait été son ami, lui envoya de grands présents pour renouveler leur amitié, mais il n'eut pas la hardiesse d'aller lui-même à Alger. Leur bonne intelligence dura un an, pendant lequel le Pacha lui rendit de bons offices et lui donna la ville de Msila pour en recevoir les contributions, avec les trois pièces d'artillerie que Salah-Raïs y avait laissées. Mais La-Abbès n'en fut pas plus tôt en possession, qu'il assembla plus de six mille Arabes des campagnes voisines pour recueillir les contributions des lieux qui appartenaient aux Turcs. Le Pacha, indigné, marcha contre lui avec trois mille Turcs, dont il n'y avait que cinq cents chevaux, et, suivi de plusieurs Arabes, se campa dans la ville de la Medjana (en 1559), pour y construire une forteresse, parce que les habitants refusaient de lui payer tribut, s'il ne leur laissait garnison pour les défendre contre Abd-el-Aziz. Après l'avoir bâtie à la hâte de pierres et de carreaux de terre, et y avoir laissé deux cents Turcs en garnison, il en alla faire une autre à Zamora, et de là il retourna à Alger avec perte de plus de trois cents Turcs, qu'Abdelasis lui tua en diverses escarmouches. Il laissa avec les Arabes le corse Hassan, et lui donna quatre cents Turcs pour assurer la campagne aux Arabes. Mais il ne fut pas plutôt parti, que La-Abbès, descendant de la montagne, tailla en pièces en une rencontre les quatre cents Turcs et celui qui les commandait. De sorte que le pacha arriva à Alger avec la nouvelle de la perte de ses gens. Cependant, ceux

qu'il avait laissés dans la forteresse de Medjana l'abandonnèrent sur cette nouvelle et se retirèrent ailleurs. La-Abbès, arrivant la nuit, en emmena les quelques pièces de canon que Hassan-Pacha y avait laissées (1).

Abdelasis eut guerre de la sorte avec les Turcs l'espace d'un an, pendant lequel le pacha fit trève avec lui, et lui demanda en mariage sa fille, qui était fort belle, et, sur son refus, il épousa celle du seigneur de Cuco (Ben-el-Kadi), ennemi mortel d'Abd-el-Aziz, en 1561.

» Leurs forces jointes, ils remontèrent la rivière de Bougie, et commencèrent à faire des dégâts sur les terres de La-Abbès. Incontinent, cet Africain vint camper au pied de la montagne, avec quatre mille mousquetaires à pied et cinq mille à cheval, près d'un lieu nommé Tazla, qui était à lui et où il avait fait faire un fort avec un retranchement qui coupait tout le chemin.

› Le pacha avait trois mille arquebusiers turcs à pied et trois cents à cheval, avec trois mille chevaux arabes. Le seigneur de Cuco quinze cents mousquetaires à pied et trois cents chevaux. Ils arrivèrent ainsi au fort, qu'ils battirent avec deux pièces d'artillerio, et, la brèche faite, le seigneur de Cuco s'étendit, à main gauche, avec ses enseignes déployées, si hardiment que ceux du fort, sur l'appréhension d'être coupés, se retirèrent dans la place voisine, avec la pensée de s'y fortifier. Mais les Turcs ne leur en donnèrent pas le loisir, et les menèrent battant jusque hors du lieu.

(1) Constatons cette première destruction de la forteresse de la Medjana par les Mokrani. Nous verrons les mêmes faits se renouveler encore une fois sous les Turcs, et, en dernier lieu, l'incendie de Bordj, qui a été, il y a deux mois, le premier exploit de notre bach-agha Mokrani. C'est un système de dévastation héréditaire.

» La-Abbès voyant le désordre de ses gens, il leur commanda de courir de toutes leurs forces sur la montagne pour s'y rallier, et se porta, avec quelques cavaliers, sur une petite colline pour les arrêter, où il combattit vaillamment de sa personne. Cependant le seigneur de Cuco était demeuré au fort, et le pacha, faisant réflexion que les Turcs avaient passé outre et qu'ils allaient s'engager dans la montagne, leur envoya dire qu'ils se retirassent, parce que les troupes étaient campées et qu'elles ne pouvaient plus les sccourir. Mais, comme ils tournaient la tête pour faire leur retraite, Abdelasis les chargea en queue et les serra de si près, que la plupart jetėrent leurs armes pour mieux fuir, et en ayant tué soixante, il regagna le lieu et le fort.

» Le pacha fit ensuite monter ses gens sur une montagne où ces cheïkhs ont leur sépulcre, et y combattit contre La-Abbès depuis le matin jusqu'à midi, que LaAbbès fit prendre à ses troupes le haut de la montagne. Pour lui, il fit tête en personne, avec deux drapeaux seulement et quelque cavalerie: il opiniâtra le combat longtemps contre les Turcs et les repoussa souvent; mais, à la fin, comme il s'avançait pour darder de sa lance dans leur bataillon, ils lui tirèrent tant de coups, qu'ils le tuèrent, lui et son cheval, puis ils chargèrent ses gens, pour qu'ils ne se saisissent de son corps; de sorte qu'ils l'emportèrent et lui coupèrent la tête. Ce brave Africain portait deux coltes de mailles l'une sur l'autre, avec une lance, un bouclier et un coutelas. Il était dispos et paraissait fort robuste. Après sa mort, les Turcs poursuivirent leur victoire, grimpèrent plus haut, jusqu'à un lieu où les Kabiles, pour les entretenir, leur envoyèrent dire qu'ils

leur donneraient les clefs de leur forteresse, à de certaines conditions. Cependant, ils élurent pour chef Mocoran (1), le frère du défunt, et retournèrent au combat. Mais les Turcs, songeant qu'ils avaient été là huit jours sans rien faire, et que leurs forces ne leur servaient de rien dans ces montagnes, où, tous les jours, ils perdaient quelques soldats, prirent la route d'Alger, et remportérent pour trophée la tête de leur ennemi (1559). »

La tradition locale, mêlant le merveilleux à l'historique, ajoute :

« La tête d'Abd-el-Aziz resta exposée, pendant une journée, à la porte Bab-Azzoun. A l'heure de la fermeture des portes, le gardien de Bab-Azzoun était dans l'usage de faire une tournée le long des remparts, pour prévenir les retardataires et les inviter à rentrer.

» Quand il poussa son cri habituel :

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»Ne reste-t-il personne dehors. »

» La tête prit la parole et répondit :

Il ne reste que la tête d'Abd-el-Aziz. »

Le pacha, informé de ce prodige, ordonna d'enfermer la tête dans un coffret en argent, et la fit enterrer

avec pompe. »

En terminant le récit du règne d'Abd-el-Aziz, il est opportun de relater ce qui nous a été raconté au sujet des fameux canons de la Kalâa. M. Chevarrier, qui, le premier, les a signalés, dit : « Eu égard au site de la ville, ce fait serait traité de fabuleux, si les quatre pièces n'en attestaient encore, par leur présence, l'inexplicable vérité.

(1) Mocoran ou Mokran.

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