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Dès cette époque, une fraction des Arabes hilaliens, sœur de celle des Douaoudia, était déjà fixée au DjebelKiana ou Djebel-Adjiça, du nom des Berbères qui l'avaient occupée jusqu'alors, aux environs de la Kalâa; et nous voyons que les Almohades, lors de la destruction de l'ancienne capitale des Hammadites, tuèrent Ibn-edDahak, chef de la tribu d'Ed-Dahak, descendue des Athbedj, ainsi que celle des Aïad. Cette dernière n'y vint que quelques années plus tard, lorsque Abd-Allah-benAbd-el-Moumen l'eut chassée de Sicca Veneria, où elle s'était établie un siècle auparavant, dès son entrée en Afrique. Dès lors, la montagne prit leur nom et le con

serve encore.

Les Aïad se divisaient en plusieurs fractions, parmi lesquelles on remarque celle de Mortafa, qui se subdivisait elle-même en trois branches : les Oulad-Tebban, appartenant aujourd'hui aux Rir'a-Dahara, du cercle de Setif; les Oulad-Hammech, qui avaient pour chefs les Beni-Abd-es-Selam et les Oulad-Gandouz (1). La position qu'Ibn-Khaldoun assigne à ces peuples, à la fin du quatorzième siècle, est la même de nos jours: elles s'étendent de Ras-el-Oued à l'Oued-el-Ksob, et sont connues sous la dénomination générale des Oulad-Haddad, tribu noble.

Zamora fut fondée par Hacen-Pacha, fils et successeur de Khaïr-ed-Din, vers l'an 1560, dans la lutte que ce prince eut à soutenir contre les Beni-Abbas. La colonie se réduisit d'abord à un petit fort construit à la hâte, dans lequel Hacen-Pacha laissa une garnison turque. Obligés de pourvoir à leur subsistance, les soldats mirent

(1) Ibn-Kaldoun, vol. 1, p. 55-56.

en culture les environs de leur camp; bientôt, ils contractèrent des alliances avec les tribus kabiles de leur voisinage, et ils adoptèrent leur régime de vie, conforme d'ailleurs aux exigences du sol. Aux ressources générales des montagnards, ils ajoutèrent une industrie spéciale, qui leur manquait. Il s'établit donc, entre les nouveaux hôtes et les habitants, des relations d'intérêt et de parenté. A la faveur de ces relations, l'établissement turc gagna du terrain; et c'est ainsi qu'avec l'aide du temps et les inspirations de la nécessité, une simple garnison parvint, sans subvention étrangère, à se transformer en une colonie, colonie dans laquelle le sang berbère domine assez pour communiquer sa couleur à tout le mélange (1).

(1) Études sur la Kabilie, par M. Carette, p. 132.

Les Mokrani

SEIGNEURS DE LA MEDJANA (1)

Depuis l'an 1500 de notre ère, la famille féodale des Mokrani joue un rôle important dans les affaires de l'Algérie et a eu, sur les destinées de la Medjana qu'elle habite encore, une influence considérable. Leur histoire. est féconde en grands souvenirs; leur nom, mêlé aux phases de la conquête turque, tire un nouveau lustre de la résistance qu'opposa, à cette époque, la race indigène. défendant son indépendance. Sans être entièrement stériles, les efforts des Turcs ne produisirent pendant longtemps que des résultats insignifiants; et, plus tard, quand leur domination eut pris plus de consistance, ils ne réussirent encore qu'imparfaitement à neutraliser l'influence de l'aristocratie guerrière, qui ébranla souvent l'autorité des beys.

Le chef de la Medjana, Mokrani, nous disent les documents historiques, dépendait du gouvernement de Constantine; il recevait l'investiture des mains du bey, qui, moyennant un tribut annuel, le maintenait dans la famille régnante. Quant à l'administration intérieure du fief, le

(1) Les documents concernant la biographie de cette famille ont été pris aux meilleures sources, ou recueillis à la suite des fréquentes conversations que, dans mes relations de service, j'ai eues avec les représentants des diverses branches de cette famille féodale. J'ai pu contrôler ainsi leurs récits les uns par les autres, et les dégager de tout ce qui était exagéré ou rapporté avec passion.

bey n'y intervenait pas; chaque tente, chaque gourbi, taxés par le suzerain héréditaire, versaient entre ses mains le montant de leur impôt, sans que l'autorité turque exerçât aucun contrôle sur les relations fiscales entre le prince et le sujet. Le cheïkh de la Medjana exerçait un droit de haute et basse justice sur les terres de sa dépendance, sans avoir de compte à rendre à l'administration centrale. C'était, comme on le voit, un état dans l'état.

Les obligations du feudataire envers le beylik se bornaient à payer la redevance annuelle, signe de son vasselage, et à protéger le mouvement des troupes turques qui traversaient le territoire d'Alger à Setif. L'influence exercée par cette famille, on pourrait dire par cette dynastie, ne s'explique pas seulement par son ancienneté, par son origine religieuse, par le long exercice d'une autorité traditionnelle; elle repose sur une autre base plus solide, plus terrestre, et non moins respectable aux yeux des Arabes les impôts prélevés, chaque année, par le chef de la principauté sur les tribus de sa dépendance, ne devaient pas, à l'époque turque, s'élever à moins de septi cent mille francs (1).

Après avoir exposé les moyens par lesquels l'ancêtre des Mokrani parvint à impressionner l'esprit turbulent des Kabiles et à s'implanter ensuite sur le sol où nous les voyons aujourd'hui, nous raconterons quelques scènes de famille et leur manière d'être entre eux; les cruautés qu'exercèrent souvent les uns contre les autres des hommes sans bien, agités par un insatiable besoin de mouvement, et qu'enflammaient la jalousie et l'esprit d'insubor

(1) Carette, Exploration scientifique.

dination. Nous parlerons aussi du rôle qu'ils jouèrent au dehors.

A une époque où la trahison et le meurtre faisaient partie intégrante de l'art de régner, on vit souvent les intrigues et les querelles de famille, que les Turcs alimentaient et utilisaient à leur profit, se dénouer par le sabre et le poison. Car ce n'était pas toujours les armes à la main et loyalement que les Turcs descendaient dans la lice; ils avaient, suivant le temps, les circonstances et les hommes, recours à des procédés moins belliqueux. Tout crime était excusé, pourvu qu'il réussît.

D'un autre côté, les expéditions militaires, comme en Europe, sous l'anarchie féodale, avaient un caractère de dévastation à la prussienne et de brigandage, dont le souvenir s'est perpétué. Les chefs, livrés à eux-mêmes, se faisaient entre eux de nombreuses et continuelles guerres privées. On menait alors une vie turbulente et batailleuse dans laquelle le pillage était l'objet principal, et toutes ces barbaries s'exerçaient avec l'indifférence de l'habitude. Quant au peuple, il était obligé d'être pauvre, c'est-à-dire d'affecter la misère, pour échapper aux exactions des puissants.

Nous ne devons porter aucun jugement sur des faits qu'il convient d'apprécier, non pas au point de vue de nos idées actuelles et de notre civilisation; mais avec l'esprit du siècle, c'est-à-dire en nous représentant les choses au milieu de toutes les circonstances qui les entouraient et de la politique de l'époque. Ce serait injuste de les apprécier autrement; car l'homme ne s'affranchit que rarement des influences au sein desquelles il s'élève et il vit. Cela nous donnera le droit d'être impitoyables à

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