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qui dominent la gorge du Chabet, existe un sanctuaire qui a une grande réputation dans le pays. Là, était déposé un drapeau en soie, fabriqué à Tunis, orné de nombreuses amulettes infaillibles, que l'on n'arborait que dans les grandes occasions. En 1864, lorsqu'éclata la révolte du Sud, un nommé Bakir, d'Ir'zer-ou-Fetis, prétendit s'être Irouvé en songe au milieu d'une réunion de saints personnages rassemblés au sanctuaire d'Adrar-Amellal. Ceux-ci lui avaient dit : « Prends le drapeau, et parcours la montagne pour soulever la population contre les chrétiens. » C'est ce qu'il fit, en effet, et la révolte commença à éclater à cette époque. Bakir était à la tête du mouvement; mais celui qui en était le bras était Amer-ou-Tahrount, des Oulad-Salah; c'était lui qui, conduisant les contingents, avait ravagé tout le pays, depuis les Dehemcha jusqu'aux Beni-Sliman, qui avait dirigé toutes les attaques de nuit sur nos camps, et le combat livré au chantier du cap Aoukaz. Le drapeau d'Adrar-Amellal fut pris par la colonne Augeraud, et figure aujourd'hui parmi les trophées de la division (1).

Quant à Tahrount, il tomba également entre nos mains, et, lorsqu'on lui demanda ce qu'il pensait de son insuccès, il répondit philosophiquement: « Nous nous sommes trompés; notre échec tient à ce que le moment n'est pas encore venu. » Paroles d'une grande portée, que je livre aux commentaires de ceux qui croient aveuglément à la pacification définitive du pays.

Le 2 juin, les troupes expéditionnaires reçurent l'or

(1) J'ai eu la curiosité de découdre les sachets en soie contenant les amulettes tant renommées; je n'y ai trouvé que quelques morceaux de carton ordinaire sans nulle inscription.

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dre de descendre dans la plaine de Bougie, où l'empereur Napoléon III les passa en revue. Quelques jours après, elles remontaient dans les Babor, et y séjournaient encore près d'un mois pour achever la réorganisation du pays. Depuis cette époque, et jusqu'en 1870, aucun événement politique ou de guerre ne s'est produit dans le cercle de Setif. Nous signalerons cependant les calamités amenées par la sécheresse, l'invasion des sauterelles, la disette, le choléra et le typhus, qui, pendant une période de trois ans, se sont appesanties sur le pays. Les populations commençaient à se relever de ces désastres, contre lesquels l'humanité est impuissante, les cultures entreprises partout, sur une vaste échelle, par l'initiative européenne, annonçaient une récolte abondante, quand a éclaté la douloureuse et épouvantable révolte indigène qui, à cette heure encore, est menaçante autour de nous.

Bordj-bou-Areridj

برج بوعريريج

Lorsqu'à la fin d'octobre 1839, le duc d'Orléans, avec l'armée que commandait le marécha! Valée, pénétra dans la Medjana pour effectuer le passage des Biban ou Portes de fer, le bivouac fut établi aux sources appelées Aïnbou-Areridj. L'obscurité naissante, car la journée avait été très-longue, permettait à peine de distinguer, à mille deux cents mètres au sud, un rocher abrupte, presque conique, s'élevant au milieu de la plaine. De hautes murailles, en mauvais état, le surmontaient; quelques échancrures, à la partie supérieure, en accusaient l'état d'abandon et de vétusté. Ce rocher, ces murs, étaient le Bordj-bou-Areridj, élevé par les Turcs sur des restes de constructions romaines.

Bordj-bou-Areridj, brûlé à deux reprises par les Mokrani, abandonné dès lors par les Turcs, se dégrada lentement et devint une vigie sinistre, d'où les coupeurs de route, embrassant d'un coup d'oeil la plaine et les défilés qui y débouchent, guettaient incessamment les voyageurs et les caravanes.

L'occupation de Setif fit sentir la nécessité de soutenir,

par une force permanente, les essais de notre khalifa Mokrani, pour rétablir son influence si longtemps combattue et annulée par les compétiteurs que lui opposait Abd-el-Kader. Sous l'appui de ces murailles jadis si redoutées, la Medjana se repeupla rapidement, et son sol, inculte depuis plusieurs années, s'ouvrit de nouveau aux sillons de nombreuses charrues. Au mois de juin 1841, une colonne revenant de Msila, où elle s'était portée pour chasser les agents d'Abd-el-Kader, laissa à Bordj-bouAreridj trois cents hommes du troisième bataillon d'Afrique, et cette troupe s'occupa aussitôt à se mettre à l'abri d'un coup de main. Sans autre ressource que ses bras, elle déblaya la tour, releva les brèches et construisit, sur le prolongement d'un contre-fort du rocher, un ouvrage dont les murs, en pierres et mortier de boue, suivaient les saillies du terrain. On appela cette enceinte la redoute; elle avait un contour de cent quatre-vingts mètres.

Deux compagnies du 61e, commandées par le capitaine Dargent, avaient succédé au détachement du bataillon d'Afrique. A l'approche de l'hiver, la crainte de ne pouvoir suffisamment les approvisionner fit décider leur rentrée, et le khalifa fut autorisé à organiser un corps de trois cents fantassins indigènes, pour garder le bordj. On lui donnait l'armement et les munitions; mais il devait nourrir, solder et habiller ces soldats. Il lui était impossible de supporter une pareille charge; aussi fut-on obligé d'incorporer ceux de ces hommes qui y consentirent dans le bataillon de tirailleurs indigènes de Constantine, dont ils formèrent la sixième compagnie.

Pendant l'hiver de 1842-43, des soldats du génie et un détachement de la garnison de Setif vinrent à Bordj-bou

Areridj construire dans le fort une baraque en pisé, couverte en planches; elle renfermait l'infirmerie, les magasins, les logements du capitaine, du chirurgien et des sous-officiers comptables. Le lieutenant et le sous-lieutenant se partageaient une petite construction du même genre dans la redoute, où la compagnie était sous la tente.

Bien qu'insuffisante, cette amélioration, dans l'installation de la garnison, était bien urgente; des fièvres intermittentes, auxquelles personne ne put se soustraire, l'avaient éprouvée à un point tel, que la localité en acquit une réputation d'insalubrité qui contribua singulièrement à la faire connaître. Les causes de cette insalubrité provenaient des miasmes du ruisseau marécageux qui coule au pied du bordj. Elles ont pu être déterminées aussi par les labours qui furent faits dans la plaine, inculte depuis plusieurs années, par suite des événements de guerre.

Le poste de Bordj-bou-Areridj, créé à la sollicitation du khalifa Mokrani, au moment où l'action de nos ennemis était rejetée dans l'Ouest, dut aux bonnes dispositions des populations environnantes, qui fournissaient le recrutement de la garnison, de n'avoir été inquiété qu'une seule fois. Les circonstances difficiles dans lesquelles on se trouvait alors, expliquent la tentative qui fut faite au commencement de 1846.

Les montagnes de la Kabilie, celles du Sud, étaient soulevées par des cherifs; les troupes de Setif avaient élé appelées dans la province d'Alger. Les débris de la colonne qui souffrit tant des neiges du Bou-Taleb, observaient, sur la lisière du Hodna, les mouvements d'Abd

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