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contingents. A midi, le général, apprenant que les contingents qui avaient attaqué le matin, ayant reçu de nombreux renforts, s'étaient réunis au village d'Arbaoun, situé à peu de distance, fit sortir du camp deux colonnes sans sacs, avec toute la cavalerie. A l'approche des troupes, les contingents abandonnent les villages et se placent sur les hauteurs en arrière. En un instant, les colonnes les culbutent et s'emparent des villages. Dès le soir, les populations étaient disposées à entrer dans la voie de la soumission, comprenant bien qu'elles avaient obéi à des suggestions contraires à leurs intérêts.

Au moment où la tranquillité allait être rétablie dans cette région, de graves nouvelles nous parvenaient du Sud. La défection des Oulad-Si-Hamza, de la province d'Oran, s'était propagée, et les tribus du cercle de BouSada étaient déjà entraînées en partie dans la révolte. Il était indispensable de diriger, le plus promptement possible, des troupes dans cette direction, pour maintenir celles qui nous étaient encore fidèles. Pressé par les circonstances, le général Périgot laissa le commandement du Babor au kaïd Ben-Habilès, en remplacement d'Ahmedben-Derradji, gendre de Bou-Akkaz, dont la conduite, dans ces derniers temps, avait été plus que douteuse. La colonne quitta la Kabilie vers les derniers jours de septembre, et se porta rapidement à Setif et, de là, à Bordj-bou-Areridj. Nous raconterons plus loin ce qui s'était passé dans le Sud.

Lorsque la colonne du général Périgot, appelée vers Setif par les événements du Sud, quitta les tribus du Babor, dont la réorganisation avait été effectuée, la situation du pays, sans être entièrement raffermie, présen

tait cependant des garanties qui pouvaient, jusqu'à un certain point, permettre de le quitter pour parer aux éventualités plus puissantes qui se produisaient dans la partie méridionale du pays. Le kaïd Ben-Habilès avait été installé dans ses nouvelles fonctions; la manière dont il s'était acquitté de la mission difficile qui lui avait été confiée antérieurement à El-Milia, les intelligences qu'il possédait au milieu des tribus du. Babor, dont on lui remettait le commandement, donnaient l'espoir qu'il parviendrait à surmonter les difficultés inhérentes à l'exercice de son autorité.

Sans être un étranger pour le pays dont il devenait le chef, il n'y possédait point de parti bien dessiné, et il allait avoir à se heurter contre toutes les rivalités des sofs, plus vivaces que n'importe où dans cette contrée kabile. De plus, il avait à lutter contre le vieux parti du cheïkh Bou-Akkaz, d'autant plus dangereux, que presque tous les cheïkhs, sur lesquels il était forcément obligé de s'appuyer, y étaient gagnés. Enfin, il lui fallait journellement combattre la fâcheuse impression produite dans le pays par les faux bruits répandus sur nos embarras dans le Sud, bruit que le départ précipité de la colonne et les insinuations du parti de Bou--Akkaz n'étaient pas de nature à dissiper.

Quant aux autres tribus : Oulad-Salah, Beni-Meraï, Djermouna, Beni-Ismaïl, Beni-Seliman, Amoucha, elles paraissaient être complétement remises de l'émotion qui s'était manifestée chez elles au printemps, à la suite des affaires du Zouar'a. Les Beni-Meraï, chez, lesquels le malaise avait été le plus accentué, semblaient rentrés dans le calme; mais la tranquillité n'était qu'extérieure, et les

tribus, travaillées sous main par de nombreux agents, ne devaient pas larder à manifester leurs véritables dispositions. Ce fut dans les fractions du Babor qu'éclata l'étincelle qui devait bientôt propager l'incendie dans toute la région environnante. Le 10 octobre, le kaïd BenHabilės se trouvait chez les Richia et les Beni-Zoundaï, occupé à faire rentrer les contributions de guerre. Ces populations elles-mêmes l'avaient appelé au milieu d'elles, et protestaient de leurs bonnes intentions. Tout à coup, les paiements s'arrêtent, des menaces sont proférées, et, pendant la nuit même qui suit la suspension des versements, on tire des coups de fusil sur la tente du kaïd, qui doit chercher un refuge dans un village de la tribu. Quelques jours après, le 29 octobre, les idées de désordre. s'affirmaient ouvertement; les Beni-Meraï, requis pour un convoi, refusaient d'obéir, et allaient attaquer leur kaïd dans son bordj. Ils furent repoussés; mais les conséquences de cette nouvelle levée de boucliers allaient se produire. Les mauvaises dispositions du Babor. reparurent aussitôt. De promptes mesures furent prises pour faire face aux dangers les plus immédiats. Les ouvriers européens travaillant au Chabet-el-Akhera, sur la route de Setif à Bougie, et les compagnies de tirailleurs qui les protégeaient, reçurent l'ordre de rentrer sans retard à Takitount. Une attaque pouvait être tentée contre ces Européens, et il fallait à tout prix éviter cette complication. Ils purent arriver sans encombre à Takitount; mais la situation devenait de plus en plus tendue. On parlait ouvertement, dans les tribus révoltées, d'un projet d'altaque contre Takitount, et on menaçait également les smalas du kaïd Ben-Habilès et du kaïd des Oulad-Salah. Ce der

nier projet était, en effet, mis à exécution le 14 novembre, et les Oulad-Salah, aidés par les contingents du Babor, brùlaient le bordj de leur kaïd, situé dans la plaine des Amoucha, et rentraient ensuite dans leurs montagnes, sans faire aucune tentative contre les établissements que la cessation des travaux du Chabet laissait à leur merci.

Enfin, le 24 du même mois, les Oulad-Salah, Beni-Meraï, ainsi que les tribus du Babor, faisaient une démonstration armée contre le bordj de Takitount. Elle était repoussée, il est vrai, par les compagnies de tirailleurs ; mais elle inaugurait une nouvelle phase de la révolte, qui se dessinait alors ouvertement et s'attaquait, non plus seulement à nos chefs indigènes, mais au commandement même, qu'elle venait pour ainsi dire provoquer et insulter au siége de ses représentants. Le but des dissidents était, dès lors, facile à deviner. Ils voulaient entraîner, par ce coup d'audace, les fractions encore hésitantes, et les forcer à brûler leurs vaisseaux, en les compromettant de telle façon qu'elles ne pussent plus songer à retourner en arrière. Ils ne songeaient pas à s'emparer de Takitount, qu'ils savaient défendu par des forces suffisantes; leur objectif était d'une nature bien plus politique, et nous allons voir, en suivant les événements, qu'ils réussirent pleinement.

En effet, presque aussitôt après l'attaque du chef-lieu de l'annexe de Takitount, on signalait un mouvement d'agitation chez les Amoucha, dont quelques fractions pactisaient déjà presque ouvertement avec les insurgés, chez les Djermouna, les Beni-Tizi, les Beni-Ismaïl et dans la majeure partie du kaïdat du Talabort, du cercle de Gigelli. Un bataillon était envoyé pour renforcer la gar

nison de Takitount, et sa présence maintenait, pour le moment, les Amoucha, mais n'était pas suffisante pour arrêter le mouvement dans un rayon plus éloigné. Dans les premiers jours de décembre, le kaïd Ben-Habilès, qui avait cru pouvoir se transporter de nouveau chez les Richia pour y activer la rentrée des contributions, fut attaqué par de nombreux contingents de toutes les fractions environnantes. Après avoir tenu pendant toute la journée dans le village où il était retranché, il dut battre en retraite et se retirer au milieu des Beni-Aziz, Medjaled, et Arbaoun qui, seuls, paraissaient lui être fidèles. Peu de jours après, le désordre semblait gagner le Ferdjioua, où la fraction des Oulad-Amer assassinait son cheïkh et cherchait à occasionner des troubles sur le marché de l'Arbà.

Les intempéries qui signalèrent le début de l'année 1865 empêchèrent, pendant quelque temps, de nouvelles manifestations; mais elles recommencèrent dès que l'état de la température le permit. Ce furent les Richia du Babor qui donnèrent de nouveau le signal, le 14 janvier, en venant brûler un village des Dehemcha. A dater de ce moment, nous allons voir les faits se succéder rapidement, et tous les efforts des révoltés tendre à un seul but peser sur leurs voisins et les entraîner avec eux, soit par la force, soit par la persuasion.

Le 24 janvier, le kaïd Hammou-ou-Achour est attaqué dans son bordj par les Beni-Meraï. Obligé d'abord de battre en retraite, il fait contre eux un retour offensif, mais ne parvient pas à reprendre l'avantage. Les fractions qui, jusqu'alors, lui étaient restées fidèles, l'abandonnent, et, réunies aux autres rebelles de la tribu, pillent l'établissement des Ponts-et-Chaussées du Chabet.

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