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Le colonel Chasseloup, arrivé récemment de France, remplaça le colonel Dumontet, et vint s'établir en face des Amoucha, sur le revers do Magris, à Teniet-Takonka. Pendant ce temps, les opérations, dirigées dans le sud contre les partisans d'Abd-el-Kader, avaient obtenu un plein succès. Le général commandant la subdivision de Setif revenait dans le Tel, et se préparait à châtier sévérement les tribus qui avaient prêté leur appui aux cherifs. Toutes les démonstrations faites depuis trois mois environ, pour contenir l'insurrection sur les premiers contre-forts de la Kabilie, n'avaient pu empêcher les rassemblements de grossir progressivement et de s'avancer, quoique lentement, en dehors de la montagne; les tribus de la plaine, nos alliées, étaient sérieusement inquiétées ; il devenait d'une urgente importance de les rassurer, en détruisant le foyer de l'insurrection et réduisant ses membres épars à une impuissance bien évidente.

Après quelques jours de repos, le colonel Eynard se dirigea vers le Magris. Son but était d'agir contre les Amoucha, qui formaient le principal appui de MouleyMohammed. I s'établit au Djebel-Chilkan. Le cherif fit un mouvement offensif en se rapprochant de la colonne, et, le lendemain, il se présenta à une lieue du camp français, drapeaux déployés et tambour battant. Il fut immédiatement attaqué avec vigueur et rejeté bien loin, avec des pertes considérables. Le cherif, qui s'était annoncé comme invulnérable, eut la mâchoire fracasséc par une balle. Cette circonstance, en détruisant le prestige dont il avait cherché à s'entourer, porta une grave atteinte à son crédit. Craignant sans doute quelques récriminations, il s'é.oigna et se retira, à peu près seul, chez

les R'eboula. Cependant les Amoucha ne se tenaient pas pour battus; ils se présentèrent pour entrer en pourparlers; mais, en même temps, ils faisaient appel à leurs voisins et formaient, avec les contingents venus de l'intérieur un nouveau rassemblement auquel prirent part presque toutes les fractions qui habitent le revers du Babor, et qui s'étendent à l'ouest jusqu'aux Messalta. Dès qu'il eut appris que toutes les forces étaient réunies, le colonel Eynard prit l'offensive, les attaqua successivement les 10, 18 et 22, les dispersa dans toutes les directions, et ne quitta le territoire des Amoucha qu'après avoir obtenu la soumission de la plus grande partie d'entre eux, s'être représenté sur leur territoire et avoir vidé leurs silos, sans que qui que ce fut vint protester par une démonstration hostile. Vers la fin de juillet, toutes les troupes rentrèrent à Setif, après une campagne, presque non interrompue, de sept mois.

Les résultats de ces opérations étaient importants. Presque toutes les tribus situées sur le versant sud des montagnes dont la crète s'étend depuis le Babor jusqu'à Zamora, avaient fait successivement leur soumission; Mouley-Taïeb avait été tué en voulant s'opposer au départ d'une fraction de ses partisans, qui cherchait à rentrer sur son territoire pour y vivre en paix. Mouley-Mohammed, remis de sa blessure à la joue, et Ben-Abd-es-Selam, firent de vains efforts pour faire prendre les armes aux populations habitant au nord de Zamora. Convaincus de leur impuissance, ils se séparèrent. Ben-Abd-es-Selam nous fit agréer sa soumission par l'intermédiaire du marabout Ben-Ali-Cherif, qui, pendant toute cette crise, n'avait cessé de nous adresser les protestations les plus empressées et

les plus pacifiques, et qui avait usé de son influence pour ramener les esprits à des préoccupations plus conformnes à leurs intérêts.

Mouley-Mohammed, avons-nous dit, s'était retiré chez les R'eboula. Il voulut encore une fois tenter le sort des armes, et, à cet effet, il alla, avec environ mille deux cents Kabiles, attaquer la ville de Gigelli; mais il ne fut pas plus heureux qu'auparavant, et il rentra de nouveau aux R’eboula, où il ne devait pas faire un long séjour. Voici ce qui lui arriva Si-ben-Djeddou, notre kaïd des BeniJala, ayant eu à se plaindre de Mouley-Mohammed, avait déjà essayé une première fois de le faire assassiner; mais son émissaire, induit en erreur, avait tué le lieutenant du cherif pour le cherif lui-même. Mouley-Mohammed avait changé de résidence après cet incident, et Ben-Djeddou tenta une seconde fois, et sans plus de succès, de se défaire de lui. Le cherif, effrayé de cette persistance de son ennemi personnel, et l'ardeur pour la guerre sainte s'étant beaucoup refroidie dans le pays, se retira vers l'Ouest et alla faire plus tard sa soumission à Alger.

Amar-ben-Abid et la plupart des personnages importants qui avaient joué un rôle dans les hostilités des tribus kabiles, imitèrent l'exemple de Ben-Abd-es-Selam, et firent successivement acte de soumission auprès du colonel Eynard, soit directement, soit par l'intermédiaire du cheïkh Bou-Akkaz.

Au sud de Setif, tout était rentré dans l'ordre. Les tribus du Hodna, de la montagne et de la plaine, avaient repris leurs habitudes.

A cette époque, la Kabilie du Jurjura n'avait pas encore été visitée par nos armes. Depuis Collo jusqu'à Dellis,

c'est-à-dire sur une longueur de trente à quaranie lieues et de vingt licues de large, le pays était entièrement insoumis, et, depuis les débuts de notre occupation, ces montagnards fusillaient impunément les avant-postes de Gigelli et de Bougie. Il s'agissait d'abord de débloquer cette dernière place. Une grande expédition fut, dès lors, déci dée en 1847. Deux colonnes, agissant sous les ordres du maréchal Bugeaud, partirent, l'une de la province d'Alger et l'autre de Setif. La première, passant par Hamza, descendit la vallée de l'Oued-Sahel. Parvenu devant les Beni-Abbas dans la journée du 15 mai, le maréchal apprit que la majeure partie de cette grande tribu, résistant aux conseils du khalifa Mokrani, était décidée à faire la guerre. Des renseignements exacts ajoutaient que les montagnards de la rive gauche de la rivière, faisant cause commune avec les Beni-Abbas, devaient attaquer la colonne le lendemain. On savait aussi qu'au temps des Turcs, ces Kabiles avaient fait essuyer plusieurs catastrophes à l'aide des attaques de nuit, lorsqu'ils avaient tenté de pénétrer dans la contrée. A huit heures du soir, en effet, l'attaque commença; les Kabiles poussaient de grands cris et faisaient un feu continu; mais tous leurs efforts échouérent devant l'attitude énergique des grand'gardes.

Le lendemain matin, 16, une colonne, composée de huit bataillons sans sacs, de l'artillerie et d'une partie de la cavalerie, s'élança immédiatement pour occuper les premières pentes des montagnes. De là, on découvrait les deux lignes de rochers sur lesquels étaient placés les rassemblements ennemis. En un instant, leurs positions furent enlevées. C'est alors qu'on aperçut les plus beaux villages des Beni-Abbas, celui d'Azerou, entre autres,

situés dans les positions les plus ardues de la montagne. Les troupes furent lancées à l'attaque de chacun d'eux, et trouvèrent partout une résistance opiniâtre. Maître de ces villages, le maréchal fit un exemple pour ôter aux autres toute idée de résistance. Il en ordonna la dévastation. La riche tribu des Beni-Abbas, qui domine cette contrée par sa force et son industrie, éprouva, dans cette circonstance, des pertes considérables: ses fabriques de poudre et d'armes furent détruites. Les résultats de cette action vigoureuse ne se firent pas attendre; à peine nos troupes avaient-elles enlevé la dernière position, que le chef le plus influent des Beni-Abbas se rendait auprès du maréchal, lui apportant la soumission de la tribu entière et le suppliant de faire cesser un châtiment que ses frères, disait-il, avaient si justement mérité par leurs folles altaques. Le signal de la retraite se fit entendre, et aussitôt les troupes rentrèrent dans leur camp. Les BeniAbbas acceptèrent ensuite toutes les conditions qui leur furent imposées par le maréchal.

Pendant ce temps, la colonne de la province de Constantine, sous les ordres du général Bedeau, s'était engagée dans la région montagneuse qui sépare la vallée de l'Oued-Sahel de Setif.

Le 15 mai, au bivouac de Ma-ou-Aklan, le général Bedeau apprit que les R'eboula étaient décidés à défendre la montagne qui précède la vallée où se trouvent tous leurs villages. Il existait un bivouac près de la crète de cette montagne; la colonne y monta lestement. Lorsqu'elle fut arrivée à petite distance des contre-forts supérieurs, les Kabiles commencèrent leurs feux.

Malgré les embarras d'une chaleur étouffante, les trou-,

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