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faire prendre la fuite. On donna alors au Mizouar la place de chambellan, et, comme il n'avait pas les talents nécessaires pour bien remplir cet office, ou lui adjoignit Ibn-Abd-el-Azîz en qualité de lieutenant. Après la mort du Mizouar, le vice-chambellan le remplaça en attendant l'arrivée d'Ibn-Séïd-en-Nas, qui était alors à Bougie. On nomma ensuite Ibn-Abd-el-Azîz gouverneur de la province d'El-Hamma, afin de l'éloigner de Tunis où sa présence donnait de l'ombrage au nouveau ministre, Rappelé à la capitale, lors de la démonstration faite par Abd-el-Ouahed-Ibn-el-Lihyani aux environs de Cabes, il alla joindre le sultan qui dirigeait alors son expédition contre Temzezdekt; et, depuis lors, il ne le quitta plus. Après la chute d'Ibn-Sèïd-en-Nas, il obtint la place de chambellan et la garda jusqu'à sa mort, événement qui eut lieu dans le commencement de l'an 744 (mai-juin 1343). Il eut pour successeur Abou-Mohammed-Abd-Allah-Ibn-Tafraguîn, chef des Almohades.

Les Tafraguîn appartenaient à une puissante famille almohade de Tinmelel, et leur aïeul, Omar-Ibn-Tafraguîn fut un des ait-el-khamcin. En l'an 540 (1145-6), lors de la prise de Fez par les Almohades, Omar reçut de leur souverain, Abd-el-Moumen, le commandement de cette ville, et il y resta jusqu'à l'occupation de Maroc, où il exerça ensuite le haut commandement et présida à la prière publique toutes les fois qu'Abd-el-Moumen était on expédition. En l'an 551 (1156), eut licu, à Maroc, la révolte d'Abd-ol-Azîz et d'Eïça, fils, tous les deux, d'Aumgar, frère de l'imam El-Mehdi. Ils commencèrent par assassiner Omar-Ibn-Tafraguin au moment où il prononçait l'appel à la prière; mais, le jour étant survenu, ils furent mis en pièces par le peuple. Abd-Allah, fils d'Omar, devint alors un des principaux chefs des Almohades. Quand le khalife Youçof, fils d'Abd

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Voy. tome u, page 474.

Dans le tome 1, pages 190, 191, Ibn-Khaldoun nous laisse entendre que cette révolte eut licu avant l'époque marquée ici, et, en effet, l'auteur du Cartas la place sous l'année 516

el-Moumen, nomma son frère, le cîd Abou-Ishac, au gouvernement de Cordoue, il plaça Abd-Allah, fils d'Omar-Ibn-Tafraguîn, auprès de lui en qualité de conseiller. Cette charge donna le droit de présider le grand conseil dont Youçof-Ibn-Ouanoudîn et d'autres chefs almohades faisant partie. Omar-Ibn-Abd-AllahIbn-Tafraguîn, fils du précédent, suivit la carrière de son père, et, comme lui, il jouit d'une haute considération, Le cîd AbouSaid, fils d'Omar, fils d'Abd-el-Moumen, ayant été nommé gouverneur de l'lfrîkïa, donna à Omar-Ibn-Abd-Allah le commandement de la ville et de la province de Cabes. En l'an 592 (1496), Omar fut chassé de Cabes par Yahya-Ibn-Ghanîa. Ses descendants continuèrent à remplir de hauts emplois et à tenir un rang élevé dans le corps des cheikhs almohades.

Le dernier membre de la famille Tafraguîn qui figura dans le Maghreb fut Abd-el-Azîz. S'étant opposé aux Almohades qui se révoltèrent à Maroc contre El-Mamoun, il fut assassiné par cux pendant qu'il se rendait à la mosquée de bon matin, selon son habitude; car il s'était fait un devoir de s'y trouver toutes les fois que les fidèles s'y réunissaient pour célébrer la prière, ElMamoun témoigna sa reconnaissance du dévouement qu'Abd-el-Azîz lui avait montré en comblant de faveurs Abd-el-Hack, le frère, et Ahmed, Mohammed et Omar, les fils de ce serviteur fidèle. Lors de la consternation générale causée par le massacre des Almohades, Abd-el-Hack-Ibn-Tafraguîn quitta le Maghreb sous le prétexte d'aller à la Mecque, et, s'étant arrêté à Tunis, chez le sultan El-Mostancer, il obtint de ce prince un emploi semblable à celui qu'il avait occupé en Maroc. De temps en temps, il fut envoyé par le sultan à El-Hamma, afin de faire rentrer les cheikhs de cette ville dans le devoir et d'y rétablir la tranquillité. Dans toutes ces missions il déploya une grande habileté, et il ramena la paix en faisant mourir les fauteurs du désordre. Après la mort de Mohammed-Ibn-Abi-Hilal, il obtint du sultan Abou-Ishac le gouvernement de Bougie. Dans cette haute position il montra encore la supériorité de ses talents, et, à l'époque où l'imposteur, Ibn-Abi-Omara, monta sur le trône, partit à la tête d'une armée almohade que cet usurpateur avait

mise à sa disposition, et infligea un châtiment sévère aux Arabes contumaces. Sa réputation comme général et la haute considération dont il fut entouré se maintinrent jusqu'à sa mort. Quelque temps après son départ du Maghreb, ses neveux, Ahmed, Mohammed et Omar, le suivirent à Tunis, où ils trouvèrent bon accueil, richesses et honneurs. Ahmed, l'aîné des trois frères, reçut du sultan Abou-Hafs le gouvernement de Cafsa, d'où il passa à celui d'El-Mehdïa. Ayant ensuite obtenu la permission de résigner son commandement, il revint à Tunis, et, chaque fois que le sultan Abou-Acîda se mettait en campagne, il y remplit les fonctions de lieutenant-général et jouit de tous les priviléges accordés à ses prédécesseurs dans cette charge. Sa mort eut lieu au commencement de l'an 703 (août-sept. 1303). Ses fils AbouMohammed-Abd-Allah et Abou-'l-Abbas-Ahmed furent élevés au palais, sous les yeux du sultan. Le premier épousa la fille d'Abou-Yacoub-Ibn-Izdouten, grand cheikh de l'empire, et, plus tard, le second reçut en mariage la fille d'Abou-MohammedAbd-Allah-Ibn-Yaghmor. Abou-Mohammed-Ibn-Tafraguin devint l'ami d'Abou-Darba-Ibn-el-Lihyani et resta avec lui jusqu'à la bataille de Messouh. Dans cette journée il fut fait prisonnier ainsi que plusieurs autres chefs almohades. Gracié avec plusieurs autres par le sultan [Abou-Yahya-] Abou-Bekr, il sut gagner la faveur de ce prince et obtenir le vizirat, place que le cheikh Abou-Mohammed-Ibn-el-Cacem avait occupée précédemment. Plus tard, c'est-à-dire en 742 (1341-2), le sultan le nomma grand cheikh des Almohades, en remplacement d'Abou-Omar-Ibn-Othman qui venait de mourir. Quand l'émir Abou-Zékérïa, seigneur de Bougie, alla demander l'appui du roi de Maghreb, afin de résister aux Beni-Abd-el-Ouad, le sultan, son père, le fit accompagner par Abou-Mohammed-Ibn-Tafraguîn. Dans cette mission, le chef almohade déploya un grand zèle pour les intérêts de son maître et montra tant d'habileté comme diplomate que, depuis lors, ce fut sur lui qu'on jeta les yeux toutes les fois qu'il s'a

Dans le texte arabe il faut lire el-ithar à la place de li-ithar.

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gissait d'envoyer un ambassadeur auprès du roi de Maghreb. Le chambellan Ibn-Seïd-en-Nas fut jaloux de son influence et chercha à lui nuire; mais il finit par s'en abstenir par déférence aux ordres du sultan. L'on dit même que ce monarque avait confié à Abou-Mohammed son intention de renverser le pouvoir de ce chambellan. Quand Ibn-Abd-el-Azîz et le caïd Ibn-elHakim se chargèrent de l'administration de l'empire, en se partageant le commandement de l'armée, la direction des affaires publiques, la confiance du sultan et le droit d'exécuter ses commandements, Abou-Mohammed-Ibn-Tafraguîn conserva toute son influence dans le conseil d'état. Ses deux collègues étaient toujours de son avis, sachant qu'il formait, avec eux, le troisième soutien de l'empire et que son bon jugement était la pierre de touche de leurs opinions.

Après la mort du chambellan Ibn-Abd-el-Azîz, le sultan résolut la perte d'Ibn-el-Hakîm, ministre dont la puissance et les dilapidations lui inspirèrent de graves inquiétudes. L'on rapporte qu'il futaverti par Ibn-Abd-el-Azîz, qui était alors sur son lit de mort, de se tenir sur ses garder contre Ibn-el-Hakim et ses mauvais desseins. Dans cet entretien, Ibn-Abd-el-Azîz lui raconta qu'en l'an 742, lors de la présence des Arabes sous les murs de Tunis, ce général lui avait déclaré son intention de remplacer le sultan par un des fils d'Abou-Debbous, princes que l'on détenait alors à Tunis. Ce projet, dicté par la trahison, aurait eu pour motif le mécontentement ressenti par Ibn-el-Hakîm en se trouvant bloqué dans Tunis par les Arabes et en voyant que le sultan ne voulait pas faire une sortie contre eux. Ibn-Abd-el-Azîz n'avait jamais perdu le souvenir de cette confidence qui pouvait, au besoin, devenir une arme contre son collègue; et, maintenant, qu'il voyait approcher son dernier moment, il se justifia luimême en révélant tout au sultan. Un secret de cette nature, confié à une oreille bien attentive, devait nécessairement amener la chute d'Ibn-el-Hakim. Après la mort d'Ibn-Abd-el-Azîz, le sultan nomma Abou-Mohammed-Ibn-Tafraguin grand cheikh des Almohades et demanda son avis sur la nécessité de châtier ce général. Comme les deux fonctionnaires se détestaient mu

tuellement et qu'Ibn-Tafraguin guettait depuis longtemps l'occasion de perdre son rival, il s'empressa d'approuver le dessein du sultan. Pendant ce temps, Ibn-el-Hakim était loin de la capitale et s'occupait à soumettre les frontières de l'empire. Après avoir campé dans l'Auras et fait rentrer les impôts dus par les populations de cette région, il avait pénétré dans le Zab et obtenu de Youçof-Ibn-Mansour-el-Mozni, gouverneur de cette province, le paiement intégral de toutes les contributions arriérées; il s'était ensuite avancé dans le Righ et, par la prise de Tuggurt, il avait procuré à ses troupes un riche butin. Ce fut au milieu de ces victoires qu'il apprit la mort d'Ibn-Abd-el-Azîz et la nomination d'Ibn-Tafraguîn à la place de chambellan. Cette nouvelle lui causa un vif mécontentement; il avait eru que le sultan n'aurait jamais choisi un autre que lui pour remplir co poste élevé; il avait désigné son secrétaire, Abou-'l-CacemIbn-Ouaran, comme la personne qui devait lui servir de lieutenant dans ces nouvelles fonctions; il s'était même imaginé qu'Ibn-Abd-el-Azîz, l'ancien occupant de cette place, y avait eu moins de droits que lui. Frappé de ce coup inattendu et agité par mille pensées diverses, il laissa éclater son indignation et, suivi d'une simple escorte, il courut à la capitale; mais le sultan avait déja pris conseil d'Ibn-Tafraguîn, et le corps des intimes se tenaient prêts pour l'arrêter. Il y arriva vers le milieu du mois de Rebîa de l'an 744 (août 1343), et, dans une audience solennelle, il présenta au sultan les chevaux de race, les esclaves et les chameaux que les tribus lui avaient envoyés. La réception terminée, le sultan congédia ses vizirs, et, en passant dans son appartement, il fit un signe aux intimes. Ibn-elIlakîm fut entouré à l'instant même, traîné en prison et mis à la torture. On lui arracha ainsi la déclaration des lieux où il avait caché son argent, et l'on tira de ces dépôts quatre cent mille pièces d'or monnayées que l'on porta au trésor du sultan. Ils confisquèrent pour à peu près la même valeur de pierreries et de biens-fonds; puis ils étranglèrent leur victime dont ils avaient desséché [par les tourments] jusqu'à la moëlle des os, jusqu'à la dernière goutte de tant de richesses. Un si terrible exemple

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