Images de page
PDF
ePub

ment, le noyau de la construction

[ocr errors]

la seule chose qui fût visible
avait encore une largeur apparente de 60

avant nos travaux
mètres au moins; et, en y comprenant son comble pyramidal à
gradins, il s'élevait de près de 33 mètres sur une colline qui,
elle-même, est à 261 mètres au-dessus du niveau de la mer. Main-
tenant, si sa colonnade d'ordre ionique ancien était tombée sous
les coups des indigènes, qui l'ont démolie pierre à pierre, afin
de faire des balles avec le plomb de ses agrafes de scellement (1),
il restait pourtant, répandus ça et là, assez de tambours de
colonnes, de chapiteaux et d'autres membres d'architecture pour
permettre à la pensée de reconstruire, approximativement, bien
entendu, ce mausolée des rois de la Mauritanie.

Car cette masse informe, presqu'entièrement ensevelie au milieu de l'entassement des pierres que le vandalisme et la cupidité, encore plus que l'action des siècles, ont arrachées de ses flancs, c'était bien le squelette du Monumentum commune Regiae gentis que le géographe Pomponius Méla signalait, il y a plus de dixhuit cents ans, entre Caesarea (Cherchel) et Icosium (Alger): du moins, nous espérons le démontrer dans ce mémoire et démontrer aussi que cette sépulture royale commune est l'œuvre de Juba II; que ce prince voulut, en l'édifiant, suivre l'exemple de son patron Auguste, qui s'était fait un tombeau de famille, et imiter surtout ses propres ancêtres numides, dont le monument mortuaire subsiste encore dans la province de Constantine sous le nom de Medracen, construction moins considérable que notre Tombeau de la Chrétienne, mais son modèle évident sous le rapport de la forme générale.

Juba II, on le sait, est le fils du roi numide de même nom, que César vainquit à Thapsus; et, encore enfant, il avait orné le Triomphe du Dictateur. Dès lors, l'illustre auteur de la vie de César avait un motif de plus pour s'intéresser à notre Monument, outre ceux qui recommandaient déjà celui-ci à son attention. Quoi qu'il en soit, S. M. décida que le Tombeau de la Chrétienne

(1) Lors de la grande invasion des Barbares, ceux-ci agirent de même à Rome et ailleurs, sans doute; après qu'ils eurent tout pris, on les vit creuser les pierres des monuments pour en retirer les fiches en bronze qui les reliaient les unes aux autres.

[ocr errors]

serait enfin exploré intégralement, au moyen d'allocations fournies sur sa cassette particulière, et Elle voulut bien désigner MM. Berbrugger et Mac Carthy pour accomplir cette œuvre jusqu'à solution complète des deux questions suivantes : 1° Quelle est la véritable forme architecturale du Tombeau de la Chrétienne?

20 Que contient-il à l'intérieur ?

Avant d'exposer ce qui a été fait pour résoudre ce double problême, abordons certaines considérations générales qui constituent le préambule obligé de ce rapport.

Nous entrerons en matière par ce qui concerne le site même du monument.

Dans les temps primitifs, on choisissait pour lieux de sépulture des terrains stériles, incultes ou tout au moins éloignés des centres d'habitation. S'il est logique, en effet, de prendre pour champ de repos celui où les bruits de l'activité humaine ne doivent pas se faire entendre, le domaine du silence étant assez naturellement celui de la mort, il faut avouer qu'à ce point de vue, le site du Tombeau de la Chrétienne répond fort bien, et a dû toujours répondre, à l'antique programme; car il est privé de ce qui attire les populations et possède, par contre, ce qui les repousse. L'eau y manque tout-à-fait et la terre cultivable y est très-rare, ce qui le vouait fatalement à la solitude; or, pour le peuple proprement dit, partout et à toutes les époques, un canton sans habitants est inévitablement hanté par les génies et les fantômes. Ce fut bien pis, sans doute, quand le gigantesque mausolée mauritanien vint projeter son ombre funèbre sur ce désert de broussailles : édifice de mort, il ne put manquer d'ajouter aux sombres légendes locales et aux terreurs qu'elles faisaient naître. Il est impossible de prouver régulièrement que ces terreurs avaient subsisté sans interruption jusqu'à nos jours, mais il est permis de le présumer, lorsqu'après notre entrée en galerie de mine dans le Tombeau de la Chrétienne, opération qui semblait devoir porter un coup mortel à toutes les légendes de djinns et de revenants, beaucoup d'indigènes ne voulurent pas y pénétrer, même accompagnés par nous, dans la crainte

des êtres surnaturels qu'ils supposaient pouvoir y rencontrer! Mais si notre Monument repoussait les indigènes par ce côté redoutable, il les attirait, d'un autre, par la séduisante tradition de richesses immenses qui s'y trouvaient renfermées, disait-on. Tiraillés entre la cupidité et la superstition, ils trouvaient moyen de tout concilier en se tenant éloignés du Tombeau durant la nuit, et en y faisant pendant le jour ces fouilles inintelligentes et vaines dont nous avons trouvé de si nombreuses traces.

S'il est impossible de produire une série complète de documents établissant la permanence de l'état de solitude dans cet endroit, on peut invoquer des témoignages isolés qui l'attestent positivement pour certaines époques : par exemple, celui de Michel Cervantes qui fut esclave ici, il y a trois siècles, et qui, dans son épisode du Captif, qualifie de désert le canton du Tombeau de la Chrétienne... Nous pouvons d'ailleurs certifier, personnellement, que le 19 octobre 1835, date de la première visite des Français à ce monument, c'était toujours un désert véritable.

Il est à remarquer que le Kober Roumia, qui se voit de tant de côtés et de si loin, d'où l'on distingue tant de localités, plaines ou montagnes, ne pouvait être aperçu de la capitale des rois de Mauritanie, le Chenoua s'interposant comme un écran gigantesque entre lui et Caesarea (Cherchel). Ne serait-ce pas précisément cette circonstance qui aurait déterminé le choix de l'emplacement; et Juba II, par un sentiment analogue à celui qui fit abandonner à Louis XIV le château de St-Germain, d'où l'on voyait l'abbaye de St-Denis, cette nécropole de nos anciens rois, n'a-t-il pas voulu éviter que son futur tombeau ne vint à chaque instant l'attrister de sa sombre perspective dans son royal palais de Césarée ?

Au sommet de notre monument, c'est-à-dire à près de 300 mètres au-dessus du niveau de la mer, s'offre aux regards le spectacle imposant d'un de ces paysages qui impressionnent et font rêver. Au nord, c'est la mer qui donne de la grandeur au tableau et en rompt l'uniformité par ses brusques variations.

Ici, elle ronge et déforme sans relâche les côtes sauvages et so

litaires du golfe de la Mauvaise femme (1), que limitent, d'Ouest en Est, le Ras el-Amouche et le Ras Kenateur, pointes septentrionales du Chenoua et du Bouzaréa; golfe sans autres abris que des criques étroites accessibles seulement aux bâtiments du plus faible tonnage et dont il faut s'éloigner sans retard, au moindre indice de tempête, car, bordées pour la plupart de roches bizarrément entassées selon les hasards de leur chute, deux ou trois à peine de ces échancrures offrent une petite plage où l'on puisse au besoin haler de simples embarcations.

Le long de ce golfe, dans une vaste bande de broussailles épaisses, resserrée entre le Sahel et le rivage de la Méditerranée, lande à peine entamée, entre Tipasa et Tagouraït, par des défrichements européens ou kabiles (2), une grande quantité de ruines romaines, assez confuses pour la plupart, rompent par leurs silhouettes grisâtres la monotonie de la sombre verdure des maquis. Nombreuses surtout au bord de la mer, il s'en rencontre aussi quelques-unes sur les contre-forts de la chaîne littorale et sur le plateau qu'ils supportent. Peu importantes, sauf de rares exceptions, ce sont des restes d'habitations isolées et surtout des citernes, constructions hydrauliques dont la multiplicité témoigne que, dans l'antiquité comme de nos jours, l'eau courante était bien rare sur cette partie de la côte. Ajoutons qu'elle témoigne encore que les anciens, plus prévoyants que nous, avaient su combattre victorieusement la sécheresse native du sol en s'assurant le moyen d'emmagasiner annuellement, en quantité suffisante, les eaux pluviales si abondantes dans ce pays.

Il va sans dire que là, comme ailleurs, cet enseignement des anciens est complètement stérile pour les nouveaux venus.

(1) Ne trouvant aucun nom pour ce golfe dans les documents hydrographiques modernes, nous lui appliquons celui qu'on rencontre dans les portulans espagnols du moyen âge, où il est appelé Bahia de la Mala Muger, à cause d'une tradition que nous expliquerons plus loin.

(2) Dans une tournée que M. le Maréchal duc de Magenta a faite entre Alger et Cherchel, il a reconnu la nécessité de continuer jusqu'à Tipasa la route du littoral qui s'arrêtait sous le Tombeau de la Chrétienne. On. y travaille en ce moment, et ce complément d'une communication trèsimportante va certainement modifier, avec avantage, l'aspect d'une contrée demeurée jusqu'ici à peu près sauvage.

En somme, sur la partie moyenne de ce golfe, les ruines romaines ne rappelaient de véritables centres de population qu'à Tagouraït et à Bou Ismaïl. L'existence exceptionnelle de fontaines abondantes y avait attiré les colons romains comme elle y a amené les nôtres.

Au Sud du Tombeau de la Chrétienne et à l'horizon, se développe la chaîne de l'Atlas où l'on remarque, parmi ses points culminants, le Dira à l'Est et surtout le Zakar à l'Ouest, jalons de la grande voie romaine intérieure qui allait de Carthage jusqu'à la Tingitane, détachant à Sufasar (AMOURA) presque sous le méridien du Mausolée royal un embranchement sur la métropole mauritanienne.

Entre l'Atlas et la colline qui porte le Tombeau royal, s'étend la Mitidja, dont la fertilité attirait les populations tandis que son insalubrité les repoussait. Les anciens paraissent avoir encore résolu ce problême africain: pour s'assurer les avantages de la plaine sans en subir les inconvénients, ils bâtissaient leurs demeures à une hauteur convenable, sur les contre-forts de l'Atlas et du Sahel... quand ils ne faisaient pas cultiver leurs terres par les paysans indigènes. Nous faisons mieux nous assainissons par la culture intégrale du sol.

On a vu qu'à l'Ouest, le Chenoua fermait la perspective interceptant la vue de Caesarea; le rideau qu'il forme se complète vers le sud par les montagnes des Beni Menasser, dont la plus remarquable, le Mohammed Ou Ali, a reçu de nos colons à cause de sa forme - le nom pittoresque de PAIN DE SUCRE. Enfin, à l'est, un autre rideau, formé par le Bouzaréa, masque la vue d'Alger (Icosium), une des villes fondées par Hercule, représenté par ses compagnons au nombre de vingt (eikosi, d'où Icosion, puis Icosium). Cette origine devait la rendre chère à Juba II, ce prince ayant aussi la prétention de descendre du même demi-dieu; et la prétention était modeste, puisque ses sujets, au dire de Minutius Félix, le tenaient lui-même pour un dieu complet Et Juba, Mauris volentibus, Deus est!

Le plaisir que procure le splendide panorama dont on jouit au sommet du Tombeau de la Chrétienne, est souvent troublé par des myriades de guêpes, mouches, moustiques ou mouche

« PrécédentContinuer »