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est du moins encore compréhensible les curiales qui essaieront, avec ou sans la connivence du questeur, de faire tort à la curie, soit d'une certaine quantité de vin, soit d'une summa honoraria ou d'une amende en espèces, seront condamnés à payer le double de ce qu'ils devaient donner primitivement.

La troisième et dernière partie du document soulève bien des difficultés, et de sens et d'interprétation; la concision des phrases nuit à leur clarté; le mot propinquus semble employé dans deux acceptions différentes. Des proches de qui est-il question dans ce début : si quelqu'un des proches vient à mourir en deçà du sixième milliaire, ceux à qui cette mort aura été annoncée et qui n'iront pas assister aux obsèques, payeront chacune une amende de deux deniers? Faut-il entendre par là que tous les membres de la curie sont obligés, sous peine de cette amende, de se rendre aux funérailles d'un de leurs collègues? Ou bien ne s'agit-il que des propinqui, des proches du défunt? Quant à la phrase qui suit, j'avoue n'y rien comprendre il me paraît tout à fait invraisemblable que les statuts d'une association ou d'un groupe quelconque punissent d'une amende aussi minime (5 deniers équivalent à environ 5 fr. 35) les enfants assez dénaturės pour ne pas conduire à sa dernière demeure leur père, leur mère, leur beau-père ou leur belle-mère. Puis le règlement s'occupe de nouveau des propinqui; mais cette fois le taux de l'amende est de quatre deniers (4 fr. 30). Je ne crois pas que la sagacité de MM. Cagnat et Schmidt ait réussi à donner une explication bien claire de ces dispositions un peu incohérentes. Ce qu'il en faut seulement retenir, à mon avis, c'est que les membres de la curie étaient tenus d'assister, sauf éloignement trop grand, aux obsèques de tout curialis, et que les amendes édictées contre ceux qui ne remplissaient pas ce devoir variaient suivant les cas.

Qu'est-ce donc, en dernière analyse, que ce règlement de la Curia Jovis de Simitthu? Dans sa teneur même, il n'est rien de plus que le tarif des summae honorariae, dues par tout candidat aux dignités de flamine et de président, à la fonction de questeur, et des amendes dont seront passibles les membres de la curie dans telles ou telles circonstances précises. Mais, chemin faisant, l'on y trouve nombre d'indications sur la constitution intérieure des curies. Chaque curie avait son prêtre, son flamine, qui semble en avoir été le premier dignitaire; son président ou magister, dont le rôle et les fonctions ne sont pas connues en détail, mais qui devait sans doute convoquer et présider

les assemblées des curiales ou concilia; enfin son questeur, chargé d'exécuter les ordres du président, de transmettre aux membres de la curie les convocations et toutes les nouvelles qui les intéressaient, probablement aussi de recevoir les summae honorariae, les amendes, les dons et legs faits à la curie : c'était à la fois un secrétaire et un trésorier (1).

Chaque curie avait son budget particulier, res curiae (2), qu'alimentaient peut-être, outre les dons, les legs, les summae honorariae et les amendes, des cotisations versées par les curiales (3). Le vin, le pain, le sel, les aliments divers, dont il est parlé dans le règlement de la Curia Jovis, étaient, suivant toute apparence, soit destinés à des banquets communs, soit distribués entre les membres de la curie (4). On ne sait pas si les concilia se tenaient à époques fixes, si, par exemple, ces réunions étaient annuelles ou plus fréquentes; il est seulement certain qu'elles existaient, qu'aucun magistrat municipal n'y intervenait à titre officiel, et que dans certaines circonstances les comptes rendus en étaient publiés, c'est-à-dire gravés sur la pierre. Enfin, nous savons, d'autre part, que certaines curies avaient un protecteur, un patronus, dont elles prenaient parfois, semble-t-il, le gentilice (5).

Il reste à déterminer la nature et l'origine de ces curies africaines. Est-il possible de les assimiler aux curies municipales, d'y voir les divisions politiques des cités? Remarquons tout d'abord, qu'en règle générale, le nom de curies est employé dans les municipes, tandis que dans les colonies les mêmes di

(1) Les deux inscriptions de Leptis minor, dont le texte est publié plus haut, nous apprennent :

1° Que le prêtre de la curie s'appelait parfois, au lieu de flamen, antistes sacrorum;

2. Que, dans certaines curies, il y avait des prêtres attachés spécialement au culte d'une seule divinité: antistes sacrorum Liberi patris;

3° Que, pour certaines curies, la date de leur fondation ouvrait une ère : antistes sacrorum Liberi patris anni...;

4. Enfin, que les curiales se divisaient peut-être en juniores et en seniores juventus curiae Juliae... Toutefois, il ne me paraît pas démontré que le mot juventus ait, dans ce texte, une signification aussi nette, aussi officielle que le terme juniores, lorsqu'il est opposé à seniores.

(2) D'après une inscription de Theveste (C. 1. L., VIII, 1845).

(3) R. Cagnat, Explorations..., fasc. II, p. 130.

(4) Id., ibid., p. 129.

(5) C. I. L., VIII, 72, 829; Bulletin archéologique du Comité, ann. 1892, p. 485, n° 1; les deux inscriptions de Leptis minor.

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visions sont appelées tribus (1). Or, en Afrique, il y avait des curies indistinctement dans les colonies (Neapolis colonia Julia Neapolis, Simitthu colonia Julia N(umidica) Simitthu; Mactaris colonia Aelia Aurelia Mactaris; Sufetula = colonia Sufefulensis), dans les municipes (Zita = municipium Zita; Althiburus municipium Althiburitanum); et jusque dans les cités de droit pérégrin (Zuccharis, Gurza, Muzuc). En second lieu, il n'apparaît nulle part que les curies municipales aient jamais joui de la personnalité civile, aient reçu des dons et des legs, aient eu un budget particulier, aient été administrées par des magistri et des quaestores, se soient réunies sans convocation officielle et sans être présidées par un magistrat public. Les curies municipales étaient surtout des circonscriptions électorales. Les curies africaines semblent bien n'avoir de près, ni de loin, aucun rapport avec les comices. Ce sont des groupes indépendants qui agissent de leur propre initiative, mais dont l'existence est légale et officiellement reconnue. S'il est d'autres institutions auxquelles on puisse les comparer, ce sont beaucoup plutôt les corporations et les collèges de pauvres gens (collegia tenuiorum) que les curies administratives des municipes (2).

De quels éléments se composaient les curies africaines? Sur quel principe reposait le recrutement des curiales? Ces curies. n'étaient ni des confréries religieuses, ni des corporations professionnelles, ni des collèges funéraires; ce que l'on sait de leur constitution intérieure, de leur caractère et de leur action, nous interdit de les considérer comme des divisions électorales ou politiques. Il n'est toutefois pas impossible que les curies aient été des associations de quartiers, dans lesquelles se groupaient à la ville les habitants d'un même vicus, à la campagne les paysans d'un même pagus. Mais c'est là une hypothèse : de fait, l'origine des curies africaines est restée jusqu'à présent inconnue (3).

(1) Bouché-Leclerq, Manuel des Institutions romaines, p. 182.

(2) Rheisnisches Museum, N. F, B. 25, p. 608-609. (J. Schmidt, Statut einer Municipalcurie in Afrika.)

(3) A vrai dire, cette hypothèse permettrait d'expliquer pourquoi le très ancien nom latin de curia a été donné à ces groupements dans la Rome primitive, la curia était une paroisse, une subdivision à la fois topographique et religieuse de la cité. D'autre part, le règlement de la curia Jovis a été découvert assez loin du centre municipal de la colonia Simitthu: les ruines qui se voient à H Dekkir ne peuvent guère représenter qu'un pagus de cette commune. Dans mon hypothèse, il ne serait plus nécessaire

Dans les cités africaines, les curies ont joué le même rôle que les confréries religieuses, surtout celle des Augustales, ou les corporations professionnelles dans les villes des autres provinces occidentales de l'empire. Ces confréries et ces corporations ont été rares en Afrique, nombreuses hors de l'Afrique; les curies ont été, au contraire, particulières à ce pays. Les deux phénomènes sont connexes. Les Africains n'ont pas éprouvé moins que les Gaulois, les Espagnols ou les Italiens, le besoin de se grouper ou de s'unir; mais au lieu d'emprunter à Rome un ou plusieurs types de communautés, ils ont organisé eux-mêmes des associations, ils ont constitué leurs curies.

de supposer, comme le fait Schmidt (loco cit.), que la pierre a été transportée par un Arabe depuis Chemtou jusqu'à l'endroit où elle a été trouvée. La Curia Jovis aurait été l'association de tous les habitants de ce pagus, tandis que la Curia Caelestia de la même cité aurait été l'un des groupes constitués dans le centre bâti de la colonie.

CHAPITRE IX.

CARACTÈRE DE LA COLONISATION ROMAINE DANS L'AFRIQUE

PROCONSULAIRE.

Deux grands faits semblent dominer et expliquer toute l'histoire de l'Afrique proconsulaire :

1o Les habitants n'en étaient pas des colons immigrés, des étrangers transportés par le gouvernement romain ou venus spontanément; c'étaient les enfants du pays, ici les descendants des navigateurs phéniciens, là les petits-fils des cavaliers numides.

2o Ces indigènes se transformèrent sous l'influence de la colonisation gréco-romaine; cette influence paraît avoir été plus ou moins réelle, plus ou moins profonde, suivant les époques, les régions, les classes sociales; mais apparente ou réelle, superficielle ou profonde, elle fut générale. Les sujets de Carthage et de Juba ne furent pas seulement vaincus et soumis par Rome ils furent aussi, dans une certaine mesure, assimilés par elle.

Comment s'accomplit cette métamorphose? Quels furent, dans cette œuvre, la part et le rôle des conquérants?

L'action du gouvernement impérial fut exclusivement administrative et politique. Les empereurs ne demandèrent à leurs sujets africains que d'affirmer en toute circonstance leur attachement à l'empire, leur respect pour les lois romaines, leur obéissance au proconsul, organe et représentant du pouvoir central. Reconnaître les souverains à leur avènement, payer les impôts soit au questeur de la province, soit aux procurateurs impériaux, soit aux fermiers adjudicataires de certaines taxes spéciales, adopter et employer le latin comme seule langue officielle, adorer la divinité de Rome et d'Auguste, et célébrer les cérémonies de ce culte : tels furent, d'une manière générale,

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