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se décider à abandonner un chameau sur deux, menaçant d'en venir aux armes si on leur demandait d'avantage. Le mead dut s'en contenter. Toutefois, la demie satisfaction qu'il avait obtenue ne lui parut pas suffisante, et un marabout révéré des Ahl-Ech-Cheikh (1), qui l'accompagnait, invoqua en partant les malédictions du ciel contre les Touareg, qui, sans les abrndonner complètement à eux-mêmes, n'avaient pas fait preuve d'un grand empressement à défendre leurs intérêts.

L'année suivante, il ne plut pas au Ahaggar. C'était le commencement d'une des périodes de sécheresse si fréquentes dans le Sahara et elle s'est prolongée sans interruption jusqu'au printemps dernier. Les Touareg attribuèrent naturellement cette calamité à la malédiction qui pesait sur eux et, pour se venger, recommencèrent aussitôt leurs incursions contre l'Adrharh qu'ils n'ont cessé depuis de piller et saccager tous les étés.

L'intervention des Ahaggar en faveur des Oulad-Silla, bien qu'elle eût été assez modérée, avait indisposé les Medaganat, qui entrèrent dès lors en relations avec les Imanghassaten des Azdjer. Cette tribu nombreuse, très pillarde, est, comme les Iboguelan des Ahaggar, fort redoutée. Pauvre, et, par suite, belliqueuse, elle ne vit guère que de pillage, et est notamment en lutte constante avec les autres fractions de la confédération dont elle fait partie.

Mohamed-ag-Dadda, l'un de ses chefs, avait eu des difficultés quelque temps auparavant avec un indigène des Ifoghas, nommé Khelil, à la suite d'un vol de quelques chameaux enlevés à celui-ci, et qu'il avait été forcé

(1) On appelle Ahl-Ech-Cheikh, dans la région de Timbouctou, toutes les peuplades qui subissaient jusqu'à ces dernières années l'ascendant religieux des Bekkaya. Depuis la révolution sociale et politique qui les a chassés du pays, diverses influences se disputent leur succession au point de vue religieux; dans l'Adhrarh, un marabout de ces districts, Baba Ahmed ould Bahdi, paraît l'avoir emporté sur ses compétiteurs.

de lui rendre. Il vint demander aux Medaganat de l'aider à se venger. Quatre d'entre eux (1) répondirent à son appel, et, avec une dizaine de ses parents, formèrent un rezzou de 15 mehara qui se réunit à Amguid. Delà, par Aïn-El-Hadjadje, l'expédition se dirigea vers Alezzi et l'Oued Tikhammalint sur la route de Rhat, où était campé Khelil. Les autres campements des Ifoghas étaient assez loin, et sa tente se trouvait seule. Deux Touareg et deux Medaganat s'en rapprochèrent sans bruit pendant la nuit et, quand, réveillé par ses chiens, il sortit pour voir ce qui se passait, tous quatre se jetèrent sur lui. Ils s'en rendirent facilement maîtres, et l'emmenèrent à Mohamed-ag-Dadda qui, après l'avoir fait attacher, le roua de coups de bâton. Quand il parut à peu près inanimé, on le laissa sur place, et, après avoir chargé sur ses chameaux, au nombre d'une trentaine, la tente avec tout ce quelle contenait, le rezzou battit en retraite. Les Ifoghas, prévenus trop tard pour poursuivre les ravisseurs, envoyèrent un mead au Ahaggar. Ils étaient en paix avec les tribus du pays. L'agression à laquelle avaient pris part les Medaganat leur fut donc vivement reprochée, sans que d'ailleurs on essaya de leur reprendre le butin qu'ils avaient fait. Ce second incident rendit cependant assez tendues les relations des Medaganat avec leurs hôtes. Néanmoins l'automne se termina sans événement particulier. C'était l'époque à laquelle les caravanes vont s'approvisionner de dattes au Tidikelt, dans l'Aoulef, à Akabli, à Sali, et les Touareg ainsi que les Châamba, avaient intérêt à éviter tout dissentiment assez grave pour provoquer les coups de main qui eussent été la conséquence inévitable d'une rupture.

Néanmoins, leurs relations ne s'améliorant pas, le manque d'eau finit par produire de nouvelles difficultés à l'entrée de l'hiver. Il n'avait pas plu depuis l'automne

(1) Messaoud ben Chraïer, El-Akhedar ben Horrouba, Mohamed ben Abd-el-Hakem et Belkheir ben Miloud.

précédent, et les puits de l'Oued Tirhedjert se trouvaient alors presque à sec. Les Medaganat, entourés de nombreux campements chassés du sud par la sécheresse, se décidérent à partir pour l'Oued Gharis, afin de gagner ensuite l'Arak du Mouydir. Mais les Kel-Ahamellel les y suivirent, et des discussions ne tardèrent pas à s'élever entre eux, de plus en plus vives. Un jour, enfin, on en vint aux mains: Messaoud ben Chraïr reçut un coup de sabre, et un de ses compagnons, Ali ben Telmoucha, attaché à un arbre, fut bâtonné par les Imghâd. Le lendemain même, les Medaganat décampèrent tous, craignant une attaque générale qu'ils n'auraient pu repousser, et, brusquant leur mouvement, ils allèrent s'installer dans la vallée inférieure de l'Arak. Les Kel-Ahamellel, satisfaits de les avoir chassés de l'oued Gharis, ne poussèrent pas plus loin, ce qui leur permit de passer dans cette région sans être davantage inquiétés la fin de l'hiver et le printemps de 1876,

Campés d'abord dans l'Arak, ils s'avancèrent peu à peu vers le Maâder de Deggarlt, et y séjournèrent assez longtemps, puis vinrent s'établir près de la Koudiya de Tiouindjiguin, là même où Saïd ben Driss les avait razzés en 1874.

Indépendamment des événements qui avaient ainsi marqué l'année 1875, il s'était produit pendant l'été un autre incident dont les conséquences devaient être tragiques.

Salem ben Chraïr, l'un des chefs des Medaganat, en allant vendre, dans le courant de juin, à In-Salah, quelques charges de viande boucanée, y rencontra un groupe de Touareg et de Zoua, qui se préparaient à aller razzer du côté d'Ouargla.

Il se décida aussitôt à les accompagner, ainsi que deux Châamba d'El- Goléa (1), et le rezzou fort de 13 mehara (2) quitta le Tidikelt le 1er juillet.

(1) Mohamed ben Cheikh ben Djoudi et Hamona ben Cheikh. (2) Le rezzou comprenait outre Salem ben Chraïr, Mohamed ben

Il arriva le seize à H.-bou-Rouba en passant par H.Oulad-Messaoud, au sud de Foggarat-el-Zoua, par la gorge d'Aguelman, l'oued El-Ethel, H.-Insokki, DaïatSafsaf et H.-Djemel.

Après deux jours de recherches inutiles, pendant lesquelles trois mehara poussèrent une pointe jusqu'à H.-el-Bakra, il fut décidé que, les environs d'Ouargla paraissant complètement déserts, l'expédition se rabattrait dans la direction de Metlili, et, le 19 au soir, elle arriva à H.-el-Hadjer. Là, deux des Oulad-Ba-Hammou, dont les mehara étaient trop fatigués pour suivre plus longtemps, reprirent le chemin d'In-Salah. Leurs compagnons continuèrent alors leur route, et, le 22 à 8 heures du matin, découvrirent de loin, à un kilomètre des puits de Noumerat, où ils voulaient aller boire, une nezla de quinze tentes.

La plupart des hommes de ces tentes, qui appartenaient toutes à la fraction des Oulad-Allouch des ChâambaBerezga, étaient alors à El-Ateuf. Deux seulement s'y trouvaient présents, et le kebir du douar, Cheikh ben Tahar avec trois autres, faisait boire les chameaux aux puits.

A la vue du rezzou, les deux hommes restés au campement, les femmes et les enfants se sauvèrent précipitamment pour aller rejoindre ceux-ci en leur portant des armes. Sans perdre un instant, Cheikh ben Tahar envoya deux de ses neveux âgés d'une quinzaine d'années, l'un à El-Ateuf, l'autre à Metlili, pour donner l'alarme; puis, dès qu'ils furent partis sur de bons mehara qu'ils montèrent sans selles, il se porta au-devant de l'ennemi avec les cinq hommes dont il disposait. Pendant ce

Cheikh ben Djoudi et Hamona ben Cheikh : cinq Touareg des KelKhela, Neffeni Ould Zidir, Cheikh Mohamed et El-Meneir, ses fils, Mohamed Ould Sidi Ali et Idda-ag-Guemmam; trois Oulad-BaHammou: Bou Hafs ben Rabab, Kadi et Abd-el-Kader Ould Cheikh; deux Zoua: Ahmed, et Cheikh ben Mohamed ben El-Hadj elRahamni.

temps-là, les Châamba qui avaient aperçu près du douar sept chameaux appartenant à des Mozabites, s'en étaient emparés, et les Touareg, mieux montés, avaient couru jusqu'aux tentes; mais ils n'y trouvèrent pas grand chose, et revinrent presque aussitôt, emportant seulement un tellis, une peau de bouc, et un burnous.

L'un d'eux cependant (1) qui avait devancé ses compagnons, voyant attachée au piquet, sa selle sur le dos, la jument de Cheikh ben Tahar, s'était empressé de la dérober; mais, en essayant de la mettre au galop pour aller couper le passage aux deux messagers envoyés au Mzab et à Metlili, il fit un faux mouvement et tomba, entraînant la selle, dans les étriers de laquelle il se trouva pris, sous le ventre de la bête. Il parvint à se dégager en coupant les sangles avec son sabre, mais non sans blesser assez grièvement la jument qui se trouvait dans un état de gestation avancé, et qu'il dut, par suite, abandonner.

(A suivre).

LE CHATELIER.

(1) Neffeni Ould Isdir.

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