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de Saïd ben Driss, ou par les éclaireurs qu'elle pouvait détacher de ce côté.

Ils se hâtèrent de les réunir et gagnèrent précipitamment Temassinin, puis l'Erg de la vallée des Ighargaren, où ils arrivèrent vers la fin de la première semaine d'avril.

Leur intention était de rester quelque temps dans cette région pour chasser, mais la rencontre qu'ils firent presque aussitôt des Touareg Imanghassaten, qui venaient de recevoir la nouvelle du départ de deux Français de R'hadamès pour Rhât, et se disposaient à aller les attendre sur la route, modifia leurs premiers projets.

Ces deux Français étaient Norbert Dourneau-Duperré et Eugène Joubert.

Le premier, créole de la Guadeloupe, ancien commis de la marine au Sénégal, et, en dernier lieu, directeur de l'école arabe-française de Frenda, dans la province d'Oran, avait conçu le projet de se rendre directement d'Algérie à Timbouctou, en traversant par la voie la plus directe le pays des Touareg.

Bien que la situation politique du Sahara fût aussi peu favorable que possible à la réalisation de cette tentative, et malgré les avertissements qu'il avait reçus de différents côtés, il avait persisté à partir, sans se dissimuler d'ailleurs les dangers qu'il allait courir, et que l'expédition contre Bou Choucha devait rendre particulièrement graves.

A Tuggurt, Joubert, établi dans cette oasis, où il tenait un débit de liqueurs et faisait un petit commerce de détail, se décida à l'accompagner. Ils emmenèrent avec eux deux indigènes du Souf, Ahmed ben Zerma, qui avait déjà suivi M. H. Duveyrier dans son voyage chez les Azdjer en 1860-61, et El-Nasseur ben Tahar.

Les renseignements recueillis à Tuggurt et au Souf ne lui permettant plus de se faire la moindre illusion sur les chances de succès que pouvait présenter la traversée du Ahaggar, Dourneau-Duperré se décida à partir pour

Rhadamès, espérant tout au moins gagner ensuite Rhât sans difficultés.

La première partie de ce voyage s'effectua en effet dans de bonnes conditions.

Mais peu après son arrivée à Rhadamès, un premier incident lui donna quelques ennuis. Des rivalités d'influence, comme il s'en produit toujours en pareil cas, s'élevèrent entre Ahmed ben Zerma et Nasseur ben Tahar, et, croyant, sur la dénonciation d'Ahmed, que Nasseur cherchait à trahir, il le fit jeter en prison par le caïmacan turc qui commandait la ville.

La longue instruction ouverte ultérieurement à ce sujet n'aboutit à aucun résultat, et, vraisemblablement, les torts de Nasseur ben Tahar étaient assez discutables. En tout cas, Dourneau-Duperré avait eu raison de se débarrasser d'un serviteur sur lequel il ne pensait pas pouvoir compter. Malheureusement, il ne fit pas preuve de la même prudence dans une circonstance beaucoup plus grave. Il s'était adressé pour l'organisation de sa caravane à des Touareg Ifòghas, auxquels il loua quelques chameaux, ceux qu'avait déjà fournis Ahmed ben Zerma ne suffisant pas. Les Ifòghas devaient en outre servir de guides aux voyageurs qu'ils s'étaient engagés à conduire en toute sécurité jusqu'aux campements d'El-Hadj Ikhenoukhen (1).

Mais un certain nombre d'Imanghassaten, qui se trouvaient à Rhadamès, avaient fait de leur côté des offres de service à nos compatriotes. Ces offres ayant été déclinées, ils leur demandèrent impérieusement une somme de 5,000 fr. pour droit de passage sur le territoire de leur tribu.

(1) El-Hadj Ikhenoukhen, qui est mort à un âge très avancé, au mois de juillet dernier, était le chef politique de la confédération des Azdjer, ou du moins le personnage le plus influent de cette peuplade. Il avait fait à M. Duveyrier un accueil particulièrement favorable lors de son voyage de 1860-61 et Dourneau-Duperré avait naturellement pensé qu'il trouverait auprès de lui le même appui.

Dourneau-Duperré, croyant qu'El-Hadj Ikhenoukhen avait une autorité effective sur tous les Azdjer, pensant que les Ifôghas jouissaient d'une influence assez réelle pour faire respecter leurs promesses, et sachant d'ailleurs que les Imanghassaten, pas plus que les autres tribus Touareg, n'ont de territoire propre dans les limites des parcours communs à tout leur groupe, répondit à ses interlocuteurs, qu'en fait de droit de passage, il se bornerait à leur envoyer des balles s'il les trouvait sur sa route, et son attitude paraissant avoir produit sur eux l'impression qu'il en attendait, il crut n'avoir plus grand chose à redouter de ce côté.

Mais, en réalité, si El-Hadj Ikhenoukhen était en effet la personnalité la plus marquante des Azdjer, si quelques Ifòghas doivent à leur origine maraboutique une certaine autorité, il n'existe entre les différentes tribus des Touareg de l'Est, aussi bien qu'entre celles des autres confédérations, que des relations d'intérêt général, et l'indépendance de beaucoup d'entre elles vis-à-vis des autres est complète. C'est particulièrement le cas pour les Imanghassaten, qui sont presque toujours en luttes avec les Ifòghas et avec leur parti.

Aussi, bien que ce point n'ait pu être entièrement éclairci, semble-t-il probable que la réponse de Dourneau-Duperré à la demande qui lui avait été faite, demande exagérée, mais qu'il pouvait être utile de discuter, ait été en partie la cause des événements qui suivirent.

Les Imanghassaten envoyèrent, en effet, un mehari prévenir de l'arrivée de sa caravane ceux des campements de leur tribu qui se trouvaient près de la route qu'elle devait prendre, et, dans le Sahara, un semblable avertissement donné dans de telles circonstances équivaut à un arrêt de mort (1).

(1) Il semble probable qu'un indigène de Rhadamès, nommé ElHadj Theni, l'agent politique des Senoussiya dans la région et le

L'arrivée des Châamba acheva de décider les Imanghassaten campés dans les Ighagharen à massacrer nos compatriotes. Les Européens qui s'aventurent chez elles inspirent toujours aux peuplades sahariennes une mystérieuse terreur, et les Touareg, au nombre d'une dizaine tout au plus, bien que se portant au devant des voyageurs, hésitaient à les attaquer.

Mais Cheikh ben Bou-Saïd, Abd El-Kader ben Ghaouti et Diab ben El-Akhedar n'eurent pas de peine à triompher de leurs dernières craintes. La victoire de Saïd ben Driss à El-Botha était pour eux un nouveau motif de haine contre les Chrétiens, et l'occasion qui s'offrait était trop inespérée pour qu'ils n'en profitassent pas avec empressement. Leur résolution avait donc été prise rapidement, et, dès que les Imanghassaten furent tombés d'accord avec eux, ils partirent tous ensemble.

Ainsi qu'ont l'habitude de le faire presque tous les gens de leur tribu en pareille circonstance, les Châamba s'habillèrent comme leurs compagnons, le voile targui et le costume du pays assurant un incognito à peu près complet à ceux qui le portent; la petite troupe, forte d'une quinzaine de mehara (1), se dirigea rapidement vers le puits d'Ohaut, pour gagner ensuite celui d'InAzhar, sur la route directe de Rhât, que devait suivre la caravane de Dourneau-Duperré.

Par suite d'un retard dans ses derniers préparatifs, celui-ci n'avait pu quitter Rhadamès le 7 avril comme il en avait d'abord l'intention, et s'était mis en route le 12

chef du parti hostile à notre influence, a pris une certaine part aux agissements des Imanghassaten dans cette occurence.

(1) Les trois Châamba précités étaient accompagnés d'un nègre, El-Kheir, esclave de Cheikh ben Bou Saïd, et deux fils d'Abd-elKader ben Ghaouti, ou de Diab ben El-Akhedar, Messaoud et Ahmed, d'après un rapport du consul général de France à Tripoli. Ce rapport mentionnait également un nommé Drab ben, Ferah, qui n'est autre que Diab ben Abd-el-Kader. Tous ces indigènes sont actuellement campés avec Si Kaddour ben Hamza, qui les compte parmi ses serviteurs les plus dévoués.

seulement, n'emmenant en fait d'indigènes du pays que les deux Ifòghas (1) engagés comme guides et chameliers.

Le 12 au soir, la caravane s'arrêtait à peu de distance de la ville; puis, faisant ensuite de plus longues étapes, nos compatriotes campèrent successivement à H.-InTafarasin, En-Naga, H.-Massin, oued Djaabet-ed-Dib, et, enfin, le 17, près des ravins d'Agharghar-Mellel, à une quarantaine de kilomètres d'In-Azhar.

C'est là que les Châamba et les Imanghassaten les rejoignirent.

Précédés par un des leurs, qui, sous un prétexte quelconque, avait été reconnaître le camp, ils se donnèrent en arrivant pour un meâd, chargé de souhaiter la bienvenue aux explorateurs.

A leur vue, Dourneau-Duperré s'était d'abord alarmé et mis sur la défensive avec ses compagnons; mais il se laissa bientôt gagner par les protestations des Touareg, et leur fit un accueil empressé.

Le plan primitif du rezzou était de massacrer immédiatement les Français, s'ils se laissaient surprendre. Leur attitude n'ayant pas permis de mettre tout de suite ses projets à exécution, il fut rapidement convenu qu'on attendrait la nuit pour les tuer pendant leur sommeil. Les deux Ifôghas qui servaient de guides à la caravane ne s'y trompèrent pas; mais, suivant les usages du désert, ils prirent sans hésiter leur parti de la situation, et les assurances qu'ils donnèrent à nos compatriotes, ne contribuèrent pas peu à entretenir la confiance de ceux-ci qui, à leur instigation, offrirent au prétendu mead une abondante diffa.

Le repas terminé, Dourneau-Duperré, Joubert et Ahmed ben Zerma se couchèrent près de leurs bagages, pendant que les Châamba, les Imanghassatem et les Ifòghas se dispersèrent çà et là près de leurs mehara et des chameaux.

(1) Nassamoun-ag-Adda et Ahmed-oua-N'Taniden.

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