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Ce qui semble certain, c'est que ce ne fut pas le scutum qui fit donner aux Scythes leur dénomination; nous venons de dire l'origine de cet ethnique, et d'autre part, les Scythes désignaient le bouclier soit par le mot çaïl avec un c aspiré se rapprochant du ch allemand ou du c dur des Celtes, et se prononçant, selon les tribus: chail ou kail; certains même employaient une forme dérivée (la 5o), chilt, devenu en anglo-saxon schild.

Le mot chail, chil parait être le primitif (inusité aujourd'hui) de chellouh, tente, c'est-à-dire abri, couverture, protection (chose défensive). Il est passé à l'hébreu lors de l'invasion des Scytes en Palestine (1), sous la forme « cheliat, » et les Berbères l'ont aussi retenu sous cette même forme. C'était, en effet, dans l'antiquité, et c'est encore aujourd'hui, le nom du point de l'Algérie le plus élevé au-dessus du niveau de la mer, le djebel Cheliat, point culminant du massif de l'Aoures. Ce fut d'abord un nom commun et très usuel sans nul doute, car Procope, dans son récit de la guerre des Vandales, cite cette montagne en traduisant en grec son appellation locale: «mons aspis öpos ¿onis, le mont du bouclier. »

(1) RENAN, Histoire des langues scientifiques, p. 204.

Cette dénomination se retrouve également dans le Djurdjura sous une forme qui se rapproche davantage du vocable anglo-saxon: le col et la fraction que les Arabes nomment chellata est dit par les Berbères Ichelladhen, Tizi-N-Ichelladhen. A ce radical se rattachent aussi les Ichellihen (Oulad-Cheleh), près Batna, les chellala, les chellog de Frenda, les chellouk berbères du Nil blanc, etc. Dans d'autres tribus scythes, le mot caïl signifiait bien encore une arme, mais une arme offensive, la lance, l'arme par excellence, l'arme des nobles, interdite aux vassaux, comme cela se pratique encore, au dire de Barth, dans certaines tribus touareg, où les imrad (serfs) peuvent avoir toute espèce d'armes, excepté la lance et l'épée, réservées aux seules classes nobles, qui leur abandonnent le fusil, l'arme traîtresse analogue aux flèches, avec lesquelles, à distance, le poltron a raison de l'homme de cœur.

Plusieurs autres détails historiques ou linguistiques confirment cette noblesse de la lance, arme qui, dans le dialecte berbère des îles Canaries, se dit encore tamachek, tamacheg, c'est-à-dire celle de l'Amachek, de l'homme libre.

Les rapprochements géographiques étymologiques et ethnologiques peuvent être multipliés à l'infini quand on compare les Berbères aux races skythiques et gothiques qui peuplèrent l'Europe centrale et occidentale. Nous en citerons encore quelques-uns.

Les défilés du Taba et du Bounta, qui fermaient l'antique Dacie, ont leurs noms reproduits en Berbérie comme appellations de plusieurs montagnes ou défilés. Le djebel Bounta, près la Medjana, est devenu célèbre, en 1871, à la suite d'un beau succès remporté par le général Saussier sur le chef de l'insurrection Bou Mezrag ElMokrani (1).

(1) Bou Mezrag signifie « l'homme à la lance. » C'est un nom propre assez usuel en Algérie.

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Le Tanaïs scythe a vu longtemps son nom, dans l'antiquité, porté par une rivière qui se jette dans la petite Syrte, l'oued Tana, cité par Salluste.

Les Bructères de la confédération des Istevones correspondent bien aux ethniques berbères Brakta, et AïtAouana; les saxons Ingevones ont le même nom que les Igaouaen du Djurdjura.

Le roi goth Belimer ou Filimer a son nom, en Berbérie, appliqué à de nombreuses localités: Adrar Belimer (près Bougie), Enchir Filimer (Belezma), Bellimour, villages des régions de Bordj-bou-Arréridj et du Djurdjura.

Le roi Fervir, des Goths, rappelle le village de Farfar, dans les Zibans (si toutefois cette appellation ne vient pas de la Perse, où les Ferver étaient « de bons génies protégeant les hommes. »)

Dans toute la Berbérie, les Allemands sont, aujourd'hui encore, désignés assez souvent sous le nom de Nemza, Niemza, Nemcha, qui est resté l'ethnique d'une grande tribu de l'Aurès oriental, les Nemcha ou Nememcha, tribu à laquelle précisément plusieurs traditions locales attribuent une origine germanique. Ce mot Nemza, Niemza, étant encore usité chez les Slaves modernes comme désignation méprisante de leurs ennemis. héréditaires, les Allemands, il semble logique d'admettre qu'il fut dans le principe le nom d'une tribu saxonne hostile aux Slaves, qui étendirent cette appellation à tous les gens dont ils ne comprenaient pas le langage (1).

Chose remarquable, dans ce mème djebel Aores qui, si longtemps, fut le palladium de l'indépendance et de la liberté des Berbères, nous trouvons une tribu de l'oued Abdi presque exclusivement composée de roux et de blonds réputés autochtones, et qui disent descendre d'un homme du Nord nommé Bourk. Ce mot a le même radi

(1) Voir dans la Revue africaine, no 19, octobre 1859, une note de M. Berbrugger sur ce mot Nemza, auquel il attribue une origine byzantine.

cal que Berig, le fameux et légendaire ancêtre des Goths, qui, dans Jornandes (1), sortit de l'ile de Skanzia pour aller par mer porter partout la race des Goths. Et, non loin de là, on rencontre une grande rivière, l'oued Baga ou Bagaï, qui se jette dans un lac et rappelle le flumen Baga, que le même auteur donne comme sortant d'un grand lac de cette même Skanzia « qu'on peut appeler la fabrique des nations (Vagina nationum). » Jornandes cite encore une autre rivière de Baga, en Scythie. Ce nom rappelle également le Bagas ou Jupiter phrygien, le Baga, dieu des Perses, et enfin le Bog des Slaves, tous mots qui d'ailleurs ont une commune origine.

Le nom de Bourk, comme ancêtre éponyme, se retrouve aussi chez les Abdelnour de Constantine sous la forme Ouled Bergoug: Berg-ag = Bergi filii, les fils de Berg, mot composé où l'on retrouve l'inversion gothique du déterminatif.

Le nom de Baga, Bagaï, Vaga, Vacca, appartenait, en outre, dans l'antiquité, à diverses localités de l'Africa romana; preuve qu'il n'est pas d'origine vandale.

Nous nous arrêtons ici, pensant en avoir assez dit pour montrer combien est fondée l'hypothèse d'un apport considérable de Scythes ou Goths, dans le peuplement primitif de la Berbérie, par le détroit de Gibraltar et le littoral méditerranéen ou atlantique. Peut-être pourrait-on mème distinguer dans ce peuplement un rameau lettique ou slave; mais, personnellement, nous sommes trop ignorant des origines premières de ces peuples et aussi de leurs idiomes, pour essayer de justifier même sommairement la distinction que nous indiquons ici comme possible.

Disons cependant un mot des quelques indices sur lesquels nous basons nos conjectures.

(1) Jornandes, chap. IV et V. Lire aussi dans la Revue africaine la légende de Bourk, reproduite par M. le professeur Masqueray dans ses notes sur le Djebel Aores.

S'il est vrai que les Scythes sarmates soient bien les ancêtres des Slaves, on est frappé de l'importance primordiale de la femme chez ces nomades que les Grecs, pour cette raison, faisaient descendre des Amazones; nous expliquerons plus loin comment ce mythe des Amazones peut cacher un côté historique touchant aux origines berbères; mais, dès à présent, nous ferons remarquer que le mot Amazone, pour les Slaves, s'explique par

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étymologie qui est, au fond, identique avec celle que nous donne le berbère, car:

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O

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= S, factitif ou indice de la 1re forme

= enn, frapper, tonner.

« Ceux qui frappent, les Tonnants. »

De plus, il est à remarquer que, si on prend le sens plus ordinaire de qui est dire, on a pour ces Amazones, ancêtres des Slaves, dont le nom signifie les parlants, un terme reproduisant également la même idée de parler.

=

S, factitif, indice de la 1re forme

1 =enn, parler, dire.

les parleurs.

Parmi les ancètres ordinairement donnés à ces Slaves, nous avons aussi un peuple Scythe dont nous avons déjà parlé, les Antes. Or, ces Antes, qui disparurent au IVe siècle, peuvent bien avoir donné leur nom aux Slaves Vendes que l'on voit surgir peu après. Vende équivaut à Ou-ende, et le changement du T en Dest fréquent dans les idiomes gothiques. Ces Slaves, Ou-ende ou Vendes,

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