Images de page
PDF
ePub

question que d'une simple barque montée par 50 guerriers: Vers l'année 1300, paraît-il, des pirates Thessaliens, commandés par Jason, traversèrent sur la barque Argo les détroits qui s'ouvrent sur le Pont-Euxin, pénétrèrent jusqu'au Phase (1), en pillèrent les bords, et revinrent, chargés d'or, dans leur patrie, par le chemin qui les avait amenés (2). L'un d'eux consacra le souvenir de cette course dans un de ces chants guerriers que les Aèdes psalmodiaient dans les festins des chefs, en s'accompagnant sur la lyre. On a raconté, plus tard, que ce poètehéros n'était autre qu'Orphée.

Ce fut une génération après, si l'on en croit les poètes, que les tribus helléniques se confédérèrent contre celles de l'Hellespont. Elles assiégèrent Troie, et, pendant les dix ans que dura cette expédition, promenèrent dans les pays voisins le carnage et la ruine. Après ces dix ans, une ruse leur livra la ville ennemie; mais à leur retour (1270), une tempête horrible dispersa leur flotte, et Ulysse, l'un des chefs de leur armée, resta encore dix ans sans revoir sa patrie.

Ce fut sur cette absence de dix ans qu'un poète Dorien, venu une vingtaine d'années après (1250), basa un récit où s'emparant du nom et de la gloire d'Ulysse, il exprima, dans une épopée gigantesque, ses propres opinions sur l'étendue, la forme et les divisions du plateau terrestre. J'ai dit ailleurs (3) que l'Odyssée de ce poète était le récit d'un voyage imaginaire fait autour du monde, en suivant

(1) Encore est-il douteux que Jason soit allé jusqu'au Phase. Les premiers poètes ne le disaient pas.

(2) L'Odyssée fait mention de cette expédition (08. p. 59): « Un » seul navire, dit Circé, a pu jusqu'ici traverser le passage des » Roches-Errantes: c'est Argo, si connue de tous, quand elle revint » de chez Aėtės; elle se glissa rapidement entre ces grands rochers; » mais elle n'y réussit que grâce à Junon dont Jason était le › protégé. »

(3) Hypothèse sur l'existence d'un poème Dorien, antérieur de 300 ans à Homère (Saint-Lô, 1879, chez Élie fils).

la mer extérieure qui, dans l'opinion de l'auteur, entourait l'ensemble des continents. Je n'en releverai ici qu'un élément c'est que les connaissances positives de l'époque étaient encore fort bornées et grandement défigurées par les fables. A l'Ouest, elles s'arrêtaient au détroit de Skylla, au Sud au cap Malée, à l'Est à la Troade. Vers le Nord pourtant, on avait des notions un peu plus éloignées, l'expédition de Jason peut-être avait révélé l'existence d'un grand fleuve que les Grecs nommaient Océan (1) et qui se jetait dans le Pont-Euxin; et l'on savait aussi qu'au nord de son embouchure, dans les plaines humides, basses et nuageuses baignées par cet immense courant, vivait une triste bourgade de Kimmériens.

Dans le même récit, le poète Dorien avait placé au

(1) Voici ce que ce poète Dorien, et d'après lui, Homère, ont dit de l'Océan Homère nous montre Ulysse racontant à Circé son voyage dans l'Adès, ou prairie de l'Asphodèle, demeure des ombres des héros (06. 2. 11): « Pendant tout un jour de traversée maritime >> nos voiles restèrent déployées, puis le soleil tomba et l'obscurité › nous cacha notre route. Le vaisseau arriva aux extrémités (aqua) » de l'Océan au courant profond. Là se trouvent un peuple et une » ville de Kimmériens enveloppés d'obscurité et de brouillards. >> Jamais le soleil brillant ne les éclaire de ses rayons, ni quand il » monte vers le ciel étoilé, ni quand il redescend sur la terre; mais >> une nuit funeste s'étend sur ces misérables mortels En arrivant >> en ces lieux, nous tirâmes le vaisseau sur le rivage, nous en >> fimes sortir les brebis et nous longeâmes encore le cours de › l'Océan jusqu'à ce que nous eùmes atteint l'endroit indiqué par » Circé. (08. ). 624). Je regagnai mon vaisseau: le flot l'emporta » sur l'Océan (od μ. 1). Quand le navire, continue Ulysse, eut quitté >> le courant du fleuve Océan, il parvint aux flots de la vaste mer, » puis à l'île d'Era. »

Le poète Dorien, qui mettait l'Adès au Nord de la terre, croyait que, pour y venir de la Grèce, il fallait traverser le fleuve Océan; indication qui se rapporte encore pleinement à l'Ister. C'est ce qu'il fait dire par l'ombre d'Anticlée que son fils était venu visiter dans l'Adès (oồ. λ. 156). « Il est impossible aux vivants de parvenir jusqu'à >> ces lieux; car, dans l'intervalle coulent de grands fleuves, des >> courants terribles et surtout l'Océan qu'il est impossible à un piéton » de traverser, s'il ne possède un solide navire. »

Sud de la terre plusieurs peuples merveilleux, les Phéaciens, les Kyclopes, les Géants, les Lotophages; nous ne parlerons ici que de deux d'entre eux, les seuls que l'érudition grecque ait plus tard voulu fixer en Libye.

Au dire de l'auteur, les Phéaciens tiraient leur origine des Dieux, ainsi que leurs monstrueux voisins, les Géants et les Kyclopes. Ils habitaient jadis, auprès de ces derniers, le pays d'Hypérie; mais les violences des Kyclopes les décidèrent à émigrer. Ils franchirent un détroit et allèrent habiter la fertile Schérie sous la conduite de Nausithoos, fils de Neptune et de la fille du Roi des Géants. Alcinoos, fils de Nausithoos, régnait encore sur eux, quand Ulysse vint échouer sur ces rivages. Le poète a fait des jardins d'Alcinoos un tableau délicieux. La demeure de ces peuples était fort éloignée, disait-il, de celle des hommes. Bien qu'habiles navigateurs et pourvus de navires qui se dirigeaient d'eux-mêmes à travers les mers, les Phéaciens n'avaient aucun commerce avec les humains; mais les Dieux venaient souvent leur rendre visite. Près d'eux se trouvait le Canton Réservé (Champ-Élysée), demeure de certains hommes auxquels les Dieux avaient accordé l'immortalité (Rhadamanthe, Ménélas, etc.) (1).

(1) 06 & 278. — « Le dix-huitième jour apparurent à Ulysse les montagnes ombreuses du pays des Phéaciens. »

[ocr errors]

Οδ ς 2. « Minerve se rendit au pays et à la ville des Phéaciens : ils avaient jadis habité les vastes plaines d'Hypérie, près des Cyclopes, hommes violents qui les maltraitaient et leur étaient supérieurs en force. Nausithoos, semblable aux Dieux, les fit émigrer hors de ces lieux et les conduisit à Schérie, où ils se fixèrent loin des hommes industrieux. »

Οδ η 56. << Nausithoos était né de Neptune, le Dieu qui ébranle la terre, et de Péribée, la plus belle des femmes. Celle-ci était la plus jeune fille du magnanime Eurymėdon, qui régna jadis sur les superbes Géants; mais celui-ci fit périr son peuple coupable et périt aussi lui-même. Neptune s'unit alors à sa fille Péribée, dont il eut Nausithoos qui régna sur les Phéaciens. »

[blocks in formation]

« Souvent les Dieux, nous apparaissent, dit Alcinoos

Quant aux Lotophages, il est aisé de remarquer qu'au moment où le poète fait entrer ce mythe dans son récit, il n'en sait plus la véritable signification. Il n'y voit plus qu'un peuple mangeant un fruit donnant l'oubli; la visite que lui fait Ulysse n'est plus qu'une simple aventure de voyages. Mais, dans l'origine, cette légende a dû avoir une physionomie funéraire. Le mot ATO a une ressemblance visible avec les mots lethum, mort, latere, se cacher, disparaître, Auto, déesse des ténèbres inférieures, av, se dérober, ara, oublier, Anon, oubli. On ne peut douter que le otor ne fût une nourriture qui donnait l'oubli au même titre que l'eau du Anon, le fleuve infernal. Cette nourriture et cette boisson procuraient la mort (lethum), en opposition avec l'ambroisie et le nectar, nourriture, boisson et lotion qui éloignaient la corruption des chairs.

Quoi qu'il en soit, notre poète n'y a vu qu'un fruit doux comme le miel (1), et ses commentateurs, par la suite, n'y ont pas cherché autre chose.

à Ulysse, car nous les touchons de près, aussi bien que les Kyclopes et les tribus farouches des Géants. >>

Οδ ζ 204.

« Nous demeurons à part, les plus éloignés qui soient sur la mer fluctueuse, et aucun autre des vivants n'a commerce avec

nous. »>

on 321. « On t'y conduira, dusses-tu aller bien au delà d'Eubée. Or, c'est un pays fort éloigné, à ce que rapportent certains de nos Phéaciens qui l'ont visité, en y conduisant le blond Rhadamanthe allant voir Tityos, le fils de la terre. Ils accomplirent sans peine ce trajet en un jour et le ramenèrent ensuite en sa demeure. Toi même tu reconnaitras combien nos vaisseaux sont rapides.

[ocr errors]

of 557. « Nos vaisseaux n'ont pas besoin de pilotes; ils savent les pensées et les désirs des hommes. >>

(1) od. t. 90. —(Ulysse débarque sur une terre inconnue et envoie deux des siens à la découverte) : « Ceux-ci arrivèrent chez les Lotophages et se mêlèrent à eux. Ces étrangers ne méditaient pas la mort de nos compagnons, mais ils leur donnèrent à manger du lotos. Or, celui qui a goûté du fruit du lotos, doux comme le miel, »> ne veut plus revenir sur ses pas pour rapporter des nouvelles et

II

Une génération environ après la composition de cette Odyssée primitive (1200), les Doriens de l'Olympe se portèrent sur le Péloponnèse, sous la conduite des Héraclides, et expulsèrent de ce pays les Achéens et les Ioniens. Ceux-ci émigrèrent en masse sur les côtes d'Asie. Ce fut là que, deux siècles après, naquit Homère, et qu'il composa une nouvelle Odyssée. Il s'empara, d'ailleurs des aventures attribuées par le poète Dorien à Ulysse; mais il n'hésita pas à en remanier la géographie, d'après les notions nouvelles qu'on possédait de son temps. La principale de ces altérations consista à rejeter dans les mers Occidentales les courses d'Ulysse, qui, dans l'épopée originale, représentaient une circumnavigation de la mer extérieure. Ce nouvel itinéraire, le seul qui ait été connu des commentateurs des temps plus modernes, a eu pour résultat de faire assimiler, à divers points de la Sicile et de l'Italie, les demeures imaginaires des Lestrygons, des Phéaciens et des Kyclopes, en même temps que les îles aussi peu réelles d'Æa, d'Ogygie et des Sirènes.

Dans le nouveau poème, les Lotophages restèrent seuls au Midi, non pas, il est vrai, qu'Homère les y ait placés avec précision, mais parce qu'au début de la tempête de dix jours qui fit perdre à la flotte d'Ulysse tout sentiment de sa position réelle, le poète avait mis en scène le vent Borée, éloignant le héros du cap Malée (1); cela

» reprendre la mer. Mes compagnons avaient résolu de rester avec » les Lotophages à y savourer le lotos et à oublier le retour (voTOU » TE λabsota). Je les ramenai par force aux vaisseaux malgré leurs » cris. >>

[ocr errors]

(1) 08. t. 80. « Comme je doublais le cap Malée, les flots, le courant et le Borée me repoussèrent et m'emportèrent loin de Cythère. De là, nous fùmes, pendant neuf jours, ballotés par des vents per

« PrécédentContinuer »