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» sera toute entière au-dessus du sol, il en sortira un chérif. Ce » sera le vrai; ce sera celui qui délivrera la terre de nos » ancêtres du joug du Chrétien! Quant à moi, je vais vous quitter, mais je serai toujours au milieu de vous. Quand » l'heure de la délivrance sonnera vous me verrez apparaître à » côté du vrai chérif; mon épaule touchera la sienne. Son armée sera précédée par celle d'un saint homme qui sortira de la » fraction des Oulad-Sidi-Rahab. Cet homme sera son khalifa. » Vous pourrez ajoutér foi à ses paroles ! »

Après ce discours, Si Mohammed-ben-Sidi-Barkat donna à ses enfants le signe auquel ils pourraient reconnaître cet homme des Oulad-Sidi-Rahab qu'il leur annonçait, et il expira. Ce signe les descendants de Si Mohammed ne l'avaient jamais révélé. Les Oulad-Sidi-Rahab étaient une petite fraction de vingt-deux tentes. C'étaient des marabouts qui ne faisaient partie d'aucun ordre, d'aucune corporation religieuse, mais dont la réputation de sainteté s'étendait au loin.

En 1844, le général duc d'Aumale pénétrait avec sa colonne dans les montagnes des Oulad-Soultan. Un homme des SidiRahab, nommé Si Ahmed-ben-Si-Yahia, s'annonça par des actes de folie. Cette nouvelle se répandit rapidement. Les Braklia en entendirent parler et se figurèrent que c'était l'envoyé prédit par leur aïeut. Ils montèrent à cheval et allèrent s'assurer du fait. Mals à peine eurent-ils examiné la figure de l'illuminé Si Ahmed qu'ils s'éloignèrent de sa tente en disant aux populations que cet homme était un imposteur. Si Ahmed était vieux et le véritable envoyé, paraît-il, devait être jeune, faible, maladif et n'ayant que des alternatives de santé. L'affaire, qui aurait pu devenir grave à ce moment, en resta là. On cessa de s'occuper de Si Abmed et les visites que lui faisaient les fanatiques cessèrent d'elles-mêmes, son prestige naissant était tombé. Une parole des Braktia eût suffi alors pour enflammer les populations crédules, une parole de leur part suffit pour faire renaître le calme dans les esprits.

Vers le 10 mars 1860, le cheikh Bibi des Oulad-Amor allait à Batna et avertissait qu'un homme des Oulad-Sidi-Rahab, du nom

de Si Mohammed-ben-bou-Khentach, s'annonçait comme envoyé du chérif du Sous-el-Aksa. Le cheihk disait que le nombre des visiteurs était grand, qu'il augmentait tous les jours et ne dissimula pas son inquiétude. Enfin, Bibi ajouta que dans les réunions, qui se succédaient sans interruption le jour et la nuit, on parlait du Djahad, de la guerre sainte. Ces renseignements étaient bientôt confirmés de plusieurs côtés, et on apprenait qu'un nommé Si El-Arbi, bach adel des Oulad Sahnonn, et Si Ahmed-Bey, des Oulad-Mansour, hommes très remuants, s'étaient installés aux côtés de Bou-Khentach, qu'ils ne le quittaient pas el qu'ils étaient ses conseillers intimes.

Le colonel Pein, commandant la subdivision de Batna, fit immédiatement partir un officier des affaires arabes, afin de juger par lui-même la situation. Cet officier signalait bientôt qu'il n'y avait pas un instant à perdre pour empêcher la révolte naissante de se développer. Le colonel Pein, officier actif et résolu, sentait combien il était important de paraître promptement devant ce foyer de rébellion. Il n'hésita pas, et trois heures après la réception de l'avis du lieutenant du bureau arabe, il était en route pour Barika. Il emmenait avec lui deux escadrons du 8e chasseurs de France, un escadron de spahis et deux pièces d'artillerie. La petite colonne arrivait à Barika le lendemain soir, ne s'étant arrêtée que quatre heures pendant la nuit. Le lendemain, un bataillon de huit cents hommes devait la suivre. (zouaves, infanterie légère d'Afrique et tirailleurs).

A Barika tout confirma au colonel Pein ce que lui avait signalé son officier des affaires arabes; la situation devenait de plus en plus critique. Il est utile de parler ici de ce qui contribua le plus à persuader aux populations que Bou-Khentach était le véritable. envoyé du vrai chérif du Sous-el-Aksa.

Un goum de quarante cavaliers des Braktia, en apprenant ce qui se passait chez les Oulad-Sidi-Rabab, était monté à cheval. Le gros de la troupe s'arrêta sur la limite des Oulad-Amor, et deux cavaliers seulement se dirigeaient secrètement vers la tente de Bou-Khentach où ils entraient. Après y avoir passé plusieurs heures, ils en ressortaient annonçant que Si Mohammed-benbou-Khentach était bien l'homme prédit par leurs ancêtres.

Tout le monde se rappela l'histoire du faux envoyé, Si Ahmedben-Yahia en 1844, et personne ne douta plus. Il est bon de remarquer que la maladie de Bou-Khentach datait précisément de seize ans, époque à laquelle avait disparu Ben-Yahia. Cette coincidence de dates ne prouvait-elle pas que quelques intrigants avaient depuis longtemps jeté les yeux sur ce jeune marabout et lui réservaient le rôle qu'ils faisaient jouer aujourd'hui? Quoiqu'il en soit, le chérif recevait de toutes parts de nombreuses visites; il était parvenu à attirer à lui les personnages les plus influents: les tolba, les cadis, ceux qui par leur instruction et leur caractère religieux en imposaient aux masses, avaient embrassé sa cause. La fraction tout entière des Oulad-Mansour s'était jointe à lui; la fraction des Oulad-Zemira, son cheikh en tête, après avoir résisté au premier entraînement, venaient de faire défection. Toute la montagne qui sépare la plaine de Sétif de celle du Hodna était impressionnée; la tente de BouKhentach ne désemplissait pas; gens de la plaine, gens de la montagne accouraient à lui, apportant de considérables offrandes. La tribu des Oulad-Nedja n'obéissait plus, son kaïd ne rendait compte de rien, son cadi avait envoyé ses deux fils à la Zemala du chérif : l'un y fut plus tard tué, l'autre blessé. Le cadi des Oulad-Sahnoun s'était également joint aux rebelles. Enfin, le personnage le plus menaçant du Hodna, Si Chérif, ancien cadi, homme qui par son âge, ses lumières et son caractère inspirait partout la confiance. Si Chérif qui avait si longtemps été en rapports amicaux avec nous, qu'on avait consulté tant de fois dans les affaires difficiles, Si Chérif venait d'embrasser lui-même la cause de la révolte. Comment de tels exemples n'auraient-ils pas porté les masses à s'engager dans la même voie?

Ou le voit, tout se préparait pour une levée de boucliers. Tous les visiteurs sortaient de la tente de Bou-Khentach impressionnés par son air de sainteté; il conservait toujours une attitude recueillie, il passait souvent la main sur son visage pâle et amaigri par la maladie, promenait lentement ses regards autour de lui et levait les yeux au ciel comme un homme inspiré. Il ne parlait presque jamais et ses seules paroles étaient celles-ci : . Que celui qui veut être à moi me suive; que celui qui ne veut

⚫ pas être à moi reste chez lui. Le jour de la justice paraîtra » bientôt. Les notabilités qui ont joué le principal rôle dans celle insurrection ne quittaient jamais Bou-Khentach, répondaient pour lui et développaient adroitement et avec verve tous les moyens que Dieu, disaient-ils, avait mis entre les mains du chérif Bou-Khentach pour anéantir les Chrétiens. Un souffle de de ce chérif, répétaient-ils, suffira pour les disperser; à son geste les soldats chrétiens s'enfuiront, la poudre de leurs fusils se changera en eau; s'ils avancent, la terre s'entr'ouvrira sous leurs pieds pour les engloutir; les buissons de dis et d'alfa lanceront des projectiles et porteront la mort dans leurs rangs; enfin, un goum armé de toutes pièces devait apparaître au moment où on y pensait le moins et donner le coup de grâce à l'infidèle! Certainement chaque fois que les chérifs qui avaient précédé Bou-Khentach prêchaient la guerre sainte, ils employaient les mêmes moyens et leurs contes fantastiques ressemblaient beaucoup à ceux dont Bou-Khentach et ses acolytes berçaient les populations. Mais il faut avouer que leur apparition n'avait pas toujours été accompagnée de circonstances aussi extraordinaires. Il n'est donc pas étonnant que cette insurrection ait fait de si rapides progrès et que les esprits aient été si vivement agités. Il est permis de croire que Bou-Khentach n'était qu'un automate dont Si Ahmed-Bey et Si El-Arbi faisaient adroitement jouer les ressorts. Il est probable aussi que ces deux hommes avaient depuis longtemps réuni les matériaux d'une comédie dans laquelle le physique de leur jeune parent leur avait paru propre à remplir le rôle qu'ils lui réservaient. Une année à peu près avant l'apparition de Bou-Khentach, Si El-Arbi avait tenu un langage qui prouve qu'il se préparait de longue main à cette manifestation. Il avait dit, en parlaut de Si Sadok, l'agitateur de l'Aurès Cet homme est un imposteur. L'an prochain on aura peut-être des nouvelles du vrai chérif! »

Tout prouva que cette insurrection avait été bien ourdie. Huit cents tentes environ étaient réunies dans la Zemala de BouKhentach. C'étaient celles des gens les plus hardis que la crédulité et la haine du Chrétien avaient tout à fait subjugués, et qui n'avaient été arrêtés par aucune considération. Un nombre égal

de gens moins hardis, se réservant une porte de sortie pour le cas où tout ne tournerait pas comme l'annonçait le chérif, étaient venus en armes prendre part au combat. Beaucoup d'entre eux pouvaient espérer que leurs noms ne seraient pas connus et que, dans le cas d'un revers, ils pourraient rentrer chez eux et faire croire qu'ils n'en étaient jamais sortis. Nous ne reparlerons pas des visites nombreuses que recevait le chérif de la part de gens craintifs qui, ne sachant comment allier le respect qu'ils portaient au saint homme avec la peur de se compromellre visà-vis de nous, se contentaient de venir lui baiser la main et lui apportaient en larges aumônes un secours qu'ils n'osaient luí donner avec leurs armes.

Tous les renseignements recueillis après le combat du 25 mars, que nous allons raconter, s'accordèrent à prouver que partoul, dans la plaine comme dans la montagne, tout le monde se préoccupait de l'issue de la lutte. On avait vu des groupes en armes se poster sur les crêtes des collines pour saisir un indice de la défaite et s'élancer en avant. Si nos troupes avaient éprouvé un revers, de tous côtés des contingents seraient accourus comme des nuées de sauterelles se joindre aux combattants de la foi.

Voici maintenant la relation du combat acharné qui eut lieu le 25 entre nos troupes et les partisans de Bou-Khentach :

Le chérif avait deux Zemala, composées d'environ huil cents tentes, dressées l'une sur la rive droite de l'oued Drâ-el-Beïda et l'autre, la plus considérable, où il se trouvait lui-même sur la rive gauche. Pour communiquer entre les deux campements, il fallait traverser un ravin très escarpé et, par conséquent, d'un accès très difficile. Au Sud, cette Zemala avait une retraite d'un accès très facile par la plaine, et était dominée au Nord par une série de mamelons aux versants très boisés, très abruptes et aboutissant à une série de ravins inextricables.

Pendant que les troupes, sous les ordres du colonel Pein, s'avançaient du côté de Barika, le général Desvaux, commandant de la province, avait fait sortir de Sétif le général Nesmes

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