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LES

BEN-DJELLAB

SULTANS DE TOUGOURT

NOTES HISTORIQUES

SUR

LA PROVINCE DE CONSTANTINE

(Suite. Voir les nos 133, 135, 136, 137, 140, 141, 142, 146, 147, 151, 152, 153, 154, 155, 160, 161, 162, 164, 165, 166, 167, 168, 169, 170, 173 et 174.)

Mais n'anticipons pas sur les événements. Il nous reste, en effet, à rappeler ici le retentissement et les conséquences que les événements de Djedda eurent chez la plupart des tribus du sud de la province pendant une période de deux ou trois ans, c'està-dire de 1858 à 1860. Au milieu d'un calme profond, alors que les populations jouissaient enfin de tous les biens que donne la paix, des insurrections éclataient encore sur divers points. Le fanatisme seul déterminait ces levées de boucliers, qui auraient assurément pris une gravité redoutable sans la bonne organisation de nos troupes. Ceux qui ne connaissent la vie intime de l'Arabe et le fond de son caractère se font difficilement une idée de sa crédulité, de sa facilité avec laquelle ce peuple prête l'oreille aux chérifs qui cherchent à exciter son fanatisme. Ce fanatisme, loin d'être éteint, se rallume toujours avec une vigueur

extraordinaire au souffle du premier imposteur venu qui prêche la guerre sainte.

L'agriculture développée, la sécurité et la facilité des communications, l'écoulement des produits, la richesse publique augmentée, voilà de quels avantages nous les avions déjà dotés à cette époque. Ils le sentaient bien, mais toutes ces considérations s'effaçaient devant le sentiment de haine qui leur faisait encore éprouver l'idée que la terre sacrée de l'Islamisme était souillée par le pied du Chrétien.

L'Arabe du Sud vit au jour le jour. Aujourd'hui est tout pour lui, il ne pense jamais au lendemain. Le seul avenir qui le préoccupe est celui que le Prophète promet aux fidèles. Il doit, pour voler à la guerre sainte, quitter sans hésiter sa famille, sa tente, saisir son fusil, sauter en selle: mourir sera pour lui une récompense. Combien ne doit pas être redoutable un peuple d'un caractère aussi impressionable? Soldat et cavalier par nature, frémissant au bruit de la poudre, aussi prompt à prendre ses armés qu'à brider son cheval attaché devant sa tente, toujours prêt à partir, sans s'occuper d'autre chose que d'examiner sa poudrière et de faire jouer la batterie de son fusil. Où le conduit-on? Il n'en sait rien et ne s'en préoccupe pas. On lui a dit qu'il allait gagner le ciel en combattant l'infidèle.... Rien ne peut l'arrêter. Joignez à cela que sa crédulité lui fait ajouter foi aux contes les plus absurdes; que son imagination est vivement frappée par des légendes et des prédications dont le merveilleux et le fantastique semblent à ses yeux être le cachet de leur origine divine. Que l'on se rende compte, enfin, de la rapidité avec laquelle se propagent les moindres nouvelles et l'on ne sera plus étonné du rôle important que les chérifs ont toujours joué chez les Arabes. Leurs têtes sont comme des grains de poudre qui s'emflamment spontanément.

Les deux énergumènes auteurs des nouvelles révoltes, dont nous allons successivement rappeler les épisodes, étaient Si Sadok-ben-El-Hadj et Si Mohammed-ben-bou-Kheniach. Le premier était originaire des Oulad-Sidi-Mansour, marabout des Oulad Youb. Il s'était toujours tenu dans la montagne de l'Ahmar. Khedou, près de Biskra, n'ayant jamais voulu vivre au contact

du Chrétien. Lors de l'insurrection de Khanga, il avait servi de lieutenant à Sidi Abd-el-Afid; puis, aux affaires de Zaatcha, il s'était mis à la tête d'un contingent de sept cents fusils pour défendre les assiégés. Ces antécédents démontrent suffisamment le caractère fanatique du personnage dont l'ardeur guerrière aurait dû se refroidir par les échecs subis naguère. Il a été démontré que Si Sadok avait reçu la visite d'émissaires arrivant secrètement d'Orient, comme il en était arrivé également dans les montagnes de la Kabylie orientale dont la population se révolta au même moment, c'est-à-dire à un signal simultaně parti d'un centre religieux quelconque, de la zaouia senoussienne probablement.

A dater de ce moment, Si Sadok entreprenait des tournées pastorales chez les khouans de l'ordre de Sidi Abd-er-Rahman dont il était le mokaddem dans cette région. Des réunions avaient lieu, et comme le meilleur moyen d'intéresser ses audileurs et de faire abonder les aumônes est toujours de parler contre les Chrétiens, le massacre de Djedda fut présenté comme le signal d'un mouvement général en faveur de l'Islamisme. Les imaginations se montèrent au récit de bruits exagérés et même absurdes habilement répandus. Nous pumes bien, un instant, fermer les yeux, afin de ne point augmenter l'influence du marabout Si Sadok, tout en surveillant ses menées. L'exaltation, si rien ne l'avivait, pouvait tomber d'elle-même, et au lieu de susciter des complications en punissant immédiatement les agitateurs, il semblait alors possible d'attendre un moment plus convenable pour arriver à ce châtiment sans déplacement de forces.

Jusqu'au mois de novembre 1858, le mouvement séditieux n'avait pas fait encore de grands progrès. Si Sadok sembla même un instant effrayé du rôle qu'il allait jouer; mais un de ses fils, Si Brahim, connu pour son exallation et son fanatisme agissait en son nom et parcourait incessamment les tribus. Triomphant de l'hésitation de son père, il lui faisait écrire des lettres pour appeler à la guerre sainte. Une de ces lettres, apportée dans les premiers jours de novembre à Sidi-Okba par un nommé BouGriba, devait être lue sur le marché. Lorsque les gens de cette

oasis essayèrent de s'y opposer pour ne point être compromis, Bou-Griba se réfugia dans la maison du mokaddem de l'endroit el appela à lui les fanatiques du village.

Avant que ces faits ne fussent connus à Biskra, quelques tentes des Lakhadar du Sud, dont le nombre augmenta bientôt jusqu'à cinquante, pénétrèrent dans nos jardins de l'oasis, s'y retranchèrent, y crénelèrent les murs et appelèrent à eux les partisans de Si Saddok. Ce fait devient le signal de la révolte.

Afin de prendre les mesures nécessaires pour comprimer l'insurrection, maintenir les tribus nomades et les oasis, le général Gastu, chef de la province, autorisa le général Desvaux, commandant à Batna, à se porter avec la cavalerie dont il disposait sur le théâtre des événements. Quelques escarmouches avaient eu lieu entre les goums du Kaïd-ben-Chennouf et les rebelles dont le nombre augmentait. Le marabout, renseigné par les émissaires qu'il entretenait dans toutes les directions, répandit alors fort habilement le bruit que des événements sérieux appelaient toutes nos forces chez les tribus en révolte de la Kabylie orientale, qu'il nous était impossible d'envoyer des renforts dans le Sud, et que le moment d'agir vigoureusement était arrivé. Ces nouvelles ébranlèrent bien vite les fractions qui hésitaient encore.

La colonne expéditionnaire de Kabylie avait heureusement terminé ses opérations et, dès le 19 décembre, après un repos bien nécessaire à des troupes qui, pendant près d'un mois, venaient de subir des pluies torrentielles dans cette contrée difficile, le général Gastu dirigeait sur Biskra trois bataillons et un escadron, ce qui allait porter à quatre bataillons et quatre escadrons les forces du général Desvaux devant Mechounech.

Le général Desvaux attaquait les rassemblements ennemis dans ses retranchements de la montagne et les dispersait en leur faisant éprouver de grandes pertes. Quant au marabout Si Sadok, poursuivi activement par nos goums sous la conduite du caïd Si El-Mihoub-ben-Chennouf, après avoir vainement cherché à gagner le Sud par la vallée de l'Oued-el-Arab, il dut se rendre le 19 janvier. Le 20, il était ramené, avec quatre-vingt-huit prisonniers de sa famille ou ses serviteurs, au camp du général

Desvaux, établi à El-Ksar. La prise de Si Sadok termina cette insurrection.

Celle provoquée par Bou-Khentach, en 1860, faillit être plus grave. C'est dans la fraction des Oulad-Sidi-Rahab, marabouts des Oulad-Derradj, qu'un homme fort obscur jusqu'alors se révéla tout à coup. Ces marabouts, appelés Oulad-Sidi-Rahab ou Braklia, différaient par leurs mœurs et leurs usages de ce que sont d'habitude les gens de cette caste : ils montaient à cheval et passaient autrefois pour les gens les plus belliqueux du Hodna. Ils avaient figuré dans toutes les guerres, leur valeur était passée en proverbe et depuis notre installation dans le Sud, chaque fois qu'un goum avait été attaché à nos expéditions, les cavaliers des Rahab s'étaient toujours faits remarquer par leur entrain et leur bravoure.

Il y a un peu plus d'un demi siècle un vieillard de cette tribu, nommé Si Mohammed-bou-Sidi-Barkat, se voyant à l'article de la mort fit placer sa tente en dehors du douar qu'il habitait, convoqua ses enfants et leur dit :

"

Éloignez-vous et laissez-moi seul. Si cependant la nuit, ajouta-t-il, un cliqueté d'armes, un bruit de chevaux venaient » à frapper vos oreilles, gardez-vous de vous déranger. Quand le jour sera venu, réunissez-vous à ma tente, car j'ai à vous faire une révélation importante. »

D

Le lendematin matin, ses fils s'étant rendus à son appel, il leur annonça qu'un jour viendrait où l'Algérie serait prise part les Français: Oui, mes enfants, le pays que vous habitez sera ⚫ envahi par l'infidèle! Dieu le veut. Soumettez-vous à ses arrêts. Mais le jour de la délivrance viendra. Avant qu'il n'arrive, il ⚫ s'élevera de tous côtés des hommes se disant chérifs envoyés » de Dieu. Il en viendra de l'Est, il en viendra de l'Ouest. › Gardez-vous de croire à leurs paroles, car ce seront tous des imposteurs. Ils chercheront à vous entraîner dans l'aîme; ne • les écoutez pas! Le vrai chérif viendra du Sous-el-Aksa

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(Maroc). Sa mosquée, dont les murs sont déjà hors de terre,

» se dégagera insensiblement du sable qui l'entoure. Quand elle

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