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AVANT-PROPOS

Le présent essai a pour objet d'exposer les conditions d'existence des nomades de l'Algérie et de rechercher si des modifications sont survenues dans ces conditions d'existence.

On a quelquefois prétendu en Algérie transformer radicalement les indigènes à coups de décrets; mais, pas plus que le Parlement d'Angleterre ne peut, dit un proverbe, changer un homme en femme, une mesure législative ne peut changer un barbare en civilisé, un nomade en sédentaire. En sens inverse, on a parfois déclaré que les indigènes sont immuables, et qu'aucune évolution ne se manifeste dans leurs mœurs ni dans leur situation économique: comme si la cessation de l'état de guerre n'était pas par elle-même une modification fondamentale dans la vie des indigènes. En réalité, ce n'est pas sur des théories abstraites qu'il convient de se faire une opinion, mais sur des faits bien constatés. Ce sont quelques-uns de ces faits que nous apportons ici. Ils sont pour la plupart empruntés à une enquête effectuée dans le territoire militaire de l'Algérie et dont il importe tout d'abord de définir l'objet.

Le 25 octobre 1901, le Gouverneur général de l'Algérie adressait la lettre suivante aux généraux commandant les divisions d'Alger, d'Oran et de Constantine:

MONSIEUR LE GÉNÉRAL,

Je vous serai obligé de faire établir une carte de chacune des circonscriptions administratives du territoire militaire, en utilisant dans ce but les feuilles déjà parues du 1/200,000', et, si elles n'existent pas encore, le 1/800,000 ̊. La carte ainsi dressée devra indiquer les limites de la circonscription en même temps que celles des tribus, toutes les fois que celles-ci auront un territoire nettement délimité. En tout cas, les lieux habituels de campement des nomades, à chaque saison de l'année, seront marqués à l'aide de l'inscription du nom répété de chaque tribu : en noir pour l'hiver, en vert pour le printemps, en rouge pour l'été, en bleu pour l'automne, ou par tout autre procédé de lecture facile. Pour les grands nomades qui viennent estiver jusque dans le Tell, Larbâ, Sahary, etc., il sera nécessaire d'indiquer, par un trait orange, l'itinéraire le plus généralement suivi par eux pour gagner leurs campements d'été, souvent fort éloignés de la circonscription administrative de laquelle ils dépendent. Ces dernières indications seront, s'il y a lieu, portées sur une feuille spéciale du 1/800,000 ̊. . Veuillez agréer, etc.

RÉVOIL.

Le 22 novembre 1901, 'le Gouverneur général prescrivait aux généraux commandant les divisions une enquête au sujet des modifications paraissant être survenues dans l'existence des nomades, par la lettre suivante :

MONSIEUR LE GÉNÉRAL,

Tout me porte à croire, d'après les renseignements qui me sont fournis de divers côtés, que depuis quelques années et notamment depuis nos expéditions dans l'Extrême-Sud, les conditions d'existence de nos grands nomades des Hauts-Plateaux se sont modifiées dans d'assez fortes proportions. Les tribus qui, jusqu'alors, avaient paru rebelles à toute idée de culture, commencent à s'attacher au sol.

Chaque année elles ensemencent des étendues de plus en plus grandes de terrains et séjournent plus longtemps dans les régions qui se prêtent le mieux au développement des céréales. Leurs troupeaux de chameaux, décimés tant par la maladie que par les convois auxquels ils ont été employés en 1900 et 1901, n'ont pas été reconstitués. Les sommes considérables payées à la suite des opérations militaires par l'administration de la guerre aux indigènes des Hauts-Plateaux et du Sud auraient servi, parait-il, à acheter le plus souvent des bœufs, des moutons et des grains. Aussi les transhumances à grande distance, les caravanes allant au loin échanger des marchandises, se sont faites de plus en plus rares; chacun reste chez soi, augmente son bien-être et tâche de se procurer sur place tout ce qui est nécessaire à son existence.

Telles sont, Monsieur le Général, les grandes lignes de l'évolution qui semble se produire et avoir pour résultat de fixer davantage l'indigène au sol

qu'il n'occupait jusqu'ici que d'une façon intermittente. Il m'a paru intéressant d'en étudier les causes et les conséquences probables et, pour cela, de recueillir les opinions de ceux qui, vivant au milieu des nomades, sont plus que tous autres à même de connaître les modifications qui se produisent dans les conditions d'existence de ces derniers depuis quelques années.

Je vous serai en conséquence obligé de faire fournir le plus tôt possible, par chacun des officiers commandant les cercles, annexes et postes de votre division, sauf ceux placés à la tête des circonscriptions de nouvelle création de l'Extrême-Sud, un rapport dans lequel ils exposeront leurs idées personnelles sur :

1° La diminution du nombre des chameaux possédés par les indigènes de leur territoire, les causes et les conséquences inévitables de cet état de choses. (Pour Oran): La difficulté que l'on a pour organiser les caravanes qui doivent se rendre au Gourara ne provient-elle pas de cette situation? 2° Le changement survenu dans les mœurs des nomades et les tendances qu'ils ont à se fixer davantage au sol;

3 L'importance plus grande donnée par eux aux labours et aux cultures diverses;

Les achats devenus plus fréquents de bêtes ovines ou bovines;

5 Le résultat que ces transformations paraissent devoir produire au point de vue économique, politique ou social.

Je vous serai de plus reconnaissant de vouloir bien, en me transmettant les documents dont l'établissement est prescrit ci-dessus, me faire connaître également votre manière de voir sur la situation d'ensemble des nomades de votre division.

Veuillez agréer, etc.

RÉVOIL.

Le 2 mai 1902, des renseignements complémentaires étaient demandés par la lettre suivante, adressée au général commandant le xixe Corps :

Monsieur LE GÉNÉRAL,

J'ai l'honneur de vous accuser réception des travaux que vous m'avez adressés au sujet des modifications survenues dans les conditions d'existence des nomades du territoire militaire.

..... Pour compléter cette étude, je désirerais recevoir encore des renseignements sur les changements qui se sont produits dans les itinéraires des migrations que ces nomades accomplissent périodiquement vers le Nord ou vers le Sud, dans le but de se procurer les grains ou les dattes nécessaires à leur alimentation. Ces changements, comme vous le savez, ont eu pour causes principales les perturbations occasionnées, parmi nos indigènes, par les soulèvements qui ont suivi la guerre franco-allemande en 1871 et par les événements insurrectionnels survenus en 1881 dans le sud de la province d'Oran.

Dans cet ordre d'idées, je vous serai très obligé de vouloir bien prescrire à MM. les Généraux commandant les divisions de faire établir, dans chaque cercle ou annexe, une notice répondant aux questions suivantes :

1 Dans quelle région ou tribu du Tell chacune des tribus du cercle ou de l'annexe allait-elle faire ses achats de grains jusqu'en 1880 ?

2° Où va-t-elle les faire maintenant ?

Ces achats annuels ont amené beaucoup de nomades du Sud à contracter des alliances dans le Tell et même à s'y fixer. Il s'est ainsi créé de véritables colonies de ces nomades dans la région tellienne, comme celle des Ouled-Sidi-Cheikh dans la région de Lamoricière. Il est à noter que, dans l'Ouest, Abd-el-Kader avait cherché à grouper la plupart de ces colonies pour s'appuyer sur elles, par exemple les Hamyan de la Mékerra et ceux des environs d'Arzeu, qui sont des Hamyan Cheraga ou Trafi. Quelles sont ces colonies ? Les rechercher et les énumérer.

4 Dans quelle région du Sud, ou, s'il est possible de préciser, dans quelle oasis chaque tribu du Sud algérien allait-elle faire ses achats de dattes jusqu'en 1870 ?

5° Où achète-t-elle maintenant les dattes dont elle a besoin ? Ces lieux d'achat ont beaucoup varié depuis une trentaine d'années telle tribu qui allait jadis au Touat va maintenant au Mzab ou à Ouargla. D'autres ne se rendent plus aux points de production, mais achètent les dattes de seconde main.

Je désirerais être fixé aussi exactement que possible sur tous ces points et je vous serais très reconnaissant de me faire parvenir, dans les mêmes conditions que le travail précédent, celui qui sera établi sur ce sujet par les officiers des affaires indigènes des trois divisions.

RÉVOIL.

Le 16 octobre 1903, le Gouverneur général ordonnait une nouvelle enquête, au sujet du commerce dans les Oasis Sahariennes :

Notre installation dans les oasis sahariennes doit avoir eu pour conséquence l'augmentation de notre commerce dans ces pays nouvellement occupés, et il importe dès maintenant d'en connaître l'extension.

Je désirerais en particulier être renseigné sur le développement du trafic qui s'est opéré depuis l'année 1900 entre les habitants de ces régions d'une part et les centres d'El-Goléa, d'Ouargla et du Mzab d'autre part 1" par l'intermédiaire des Mozabites; 2° par celui des Juifs d'Ouargla et du Mzab; 3° s'il y a lieu, par celui des Européens habitant les localités précitées.

Il serait également intéressant de savoir quelle importance a prise, depuis la même époque, le commerce des oasis par la voie de la Zousfana et les ports d'Arzeu ou d'Oran.

La question se divise donc en deux parties bien distinctes: A) Commerce des oasis avec le Sud de la division d'Alger; B) avec l'Oranie par la Zousfana. Je vous serais reconnaissant de vouloir bien faire réunir par les bureaux arabes intéressés les documents précités, qui devront me parvenir par votre intermédiaire dans un délai aussi court que possible.

JONNART.

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