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déplacements n'ont lieu que dans un rayon restreint, si l'on excepte quelques tribus comme les Hamama, les Neffet, les Fraichiche et les Madjeur, les Ouled-Menaâ, qui sont demeurés un peu plus nomades; ces derniers, qu'on trouve en hiver au Djerid, remontent en été jusque dans la région de Téboursouk. Les groupes de tentes qui remontent vers le Tell séjournent Souvent dans la plaine de Gamouda, qui joue dans l'élevage tunisien un rôle analogue à celui de Chellala en Algérie, et qui, ferti– lisée par l'Oued el Hatob, a toujours de l'herbe. Au delà, on utilise volontiers le couloir Sbeïtla-Sbiba-Le Kef, mais ni le relief, ni, jusqu'à présent, les cultures, ne gênent beaucoup la transhumance, et l'on peut passer à peu près partout (1).

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Il semble que plus on s'avance vers le Sud, plus les migrations devront être étendues et plus les indigènes seront contraints par la nécessité de remonter vers le Tell. Et c'est bien en effet ce que nous avons jusqu'ici constaté. Mais si les migrations sont nécessaires lorsque le pays ne peut nourrir les troupeaux pendant toute l'année, encore faut-il qu'il permette d'en élever un grand nombre au moins pendant quelques mois. Un proverbe indigène dit que le Tell guérit la pauvreté comme le goudron guérit la gale du chameau: mais il y a des pauvretés si grandes et si invétérées qu'elles sont inguérissables. Lorsqu'on avance dans le Sahara, on trouve des indigènes qui ne ressemblent plus aux grands et riches pasteurs de moutons que sont les Larbâ et les tribus de la région de Biskra. « La vie pastorale, dit M. Schirmer(2), ne suffit pas aux besoins du nomade saharien. Ce n'est plus l'existence plantureuse des grandes tribus algériennes, qui errent hors des villes, insoucieuses et hautaines, avec leurs chevaux, leurs chameaux, leurs chèvres et d'immenses troupeaux de moutons. Le nomade saharien ne peut songer à pratiquer en grand l'élevage du mouton et de la chèvre, car l'eau est trop

(1) MONCHICOURT, notes ms.

(2) H. SCHIRMER: Le Sahara, p. 272.

rare à la surface du sol. » Au pays du mouton succède le pays du chameau, pays misérable en toute saison, où les indigènes, Chaanba et Touareg, ne sont presque plus des pasteurs et passent au type brigand. Les hommes et les troupeaux, peu nombreux et très disséminés, gravitent autour des oasis, à l'existence desquelles ils sont plus ou moins associés.

C'est ainsi que l'ancien cercle de Ghardaïa (avec Ouargla et El-Goléa), malgré son immense étendue, ne comptait, en 1893, que 33,000 moutons, qui ne suffisaient pas à alimenter les marchés du Mzab(1), et qu'on ne pouvait guère songer à en accroître le nombre. Aussi les Chaanba-Berazga ou de Metlili ne sortent pas du territoire de l'annexe de Ghardaïa. Ils partagent leur existence entre l'Erg, la Chebka et l'oasis de Metlili. On les trouve ordinairement en hiver à l'ouest de la ligne Ghardaïa-Ouargla, en été à l'est de cette ligne (2). Ils poussaient autrefois jusqu'à l'Oued Seggueur, dans le Sud oranais, et se répandaient entre cette vallée et celle de l'Oued Zergoun; depuis 1891, l'accès de ces territoires, sur lesquels ils prétendent à tort ou à raison avoir des droits, leur ayant été interdit, ils restent dans le nordouest du cercle, entre l'Oued Mehaïguen et l'Oued Mzab, mais leurs troupeaux n'y trouvent que difficilement la nourriture qui leur est indispensable (3).

Les Arabes agrégés des villes du Mzab, Medabih de Ghardaïa, Ouled-Yahia et Debabda de Berrian, Attatcha de Guerrara, sont presque sédentaires (), réduits en quelque sorte à la condition de serfs de Mozabites.

Dans l'annexe d'Ouargla, les Mekhadma, les Beni-Thour, les Chaanba-bou-Rouba allaient quelquefois jadis en estivage dans l'Oued Zergoun; leurs migrations vers l'Ouest ayant été interdites pendant l'insurrection des Ouled-Sidi-Cheikh (5), ils ne quittent plus jamais les environs d'Ouargla. Ils n'ont pas à eux tous 4,000 moutons.

(1) Pays du Mouton, p. 232 et 235.

(2) Rapp. Ghardaïa no 1. En été, ils se rapprochent des oasis, au moment de la récolte des dattes (Cap. REBILLON, notes ms.).

(3) Pays du Mouton, p. 231.

(4) Rapp. Ghardaïa. Cependant, quand les pâturages font absolument défaut, les moutons sont envoyés sur les territoires de Laghouat et de Djelfa (Cap. REBILLON, notes ms.).

(5) Rapp. Ouargla n° 2.

Dans le cercle d'El-Goléa, les Chaanba-Mouahdi n'en ont pas plus de 2,000; ils parcourent sans cesse le Sahara d'El-Goléa, sur un rayon de 130 kilomètres et même plus loin à l'ouest et au sud, se portant ici ou là suivant l'état des pâturages et la situation politique du pays(); mais cela ne constitue pas une migration à proprement parler.

De même, certaines tribus du cercle de Touggourt, telles que les Ouled-Saïah, les Saïd-Ouled-Ameur, très pauvres, ont plus de chameaux que de moutons (3,000). Ils ont quelques jardins et estivent dans le Sahara, où ils parcourent incessamment d'immenses territoires, toujours en mouvement sans règle fixe (2). Les Chaanba d'El-Oued n'ont que 800 moutons, qui pacagent toute l'année dans les dunes. Les Troud ne sont pas beaucoup plus riches; bien qu'ils aillent quelquefois pâturer chez les Nememcha, ils restent d'ordinaire au sud du Melrir et des grands chotts (3). Ils se partagent l'Erg oriental avec les tribus tunisiennes, tripolitaines, les Chaanba et les Touareg. Les vrais nomades en Tunisie demeurent en effet au sud du Djerid et du Nefzáoua. Ce sont les Merazigue, les Gherib, les Adara, les Ouled-Yacoub, qui nomadisent dans les dunes et les steppes au sud de Douz. Dans l'Arad, on rencontre aussi quelques grands nomades, comme les Beni-Zid et certaines fractions des Ourghamma, notamment les Touazine, et dans une moindre mesure les Ouderna et les Ghomerassen.

En arrière sont les Touareg). Ils sont très peu nombreux; comme l'a depuis longtemps dit M. Foureau, tous les Touareg du Nord ne pourraient réunir 1,000 combattants; encore leur serait-il impossible de les grouper sur un point. Ils ont quelques cultures entretenues par leurs serfs; les nobles passent leur vie dans les oued et les madher, paissant leurs troupeaux. Il y a d'assez beaux pâturages dans le Mouydir; mais en somme le bétail, moutons, chèvres, chameaux et ânes, est en infime

(1) CAUVET, Bull. de la Soc. de Géogr. d'Alger, 1904, p. 24. Le cap. REBILLON (note ms.) compte chez les Chaanba d'El-Goléa 350 moutons contre 1,900 chèvres. (2) Pays du Mouton, p. 437.

(3) Rapp. Touggourt n' 2; Pays du Mouton, p. 477. Sur les Troud, v. FÉRAUD, Kitab-el-Adouani, in-8°, Alger, 1868.

(4) E.-F. GAUTIER, La Géographie, 15 août 1904, x, p. 88; SCHIRMER, P. 273; Bull. Afr. fr., 1904, p. 208.

quantité. Ils ne mangent pas couramment de la viande, parce que leurs animaux sont leur seul article d'échange et leur principal moyen d'existence; ils n'en retirent qu'un peu de laitage et de beurre. Ils sont très misérables, et, la vie nomade ne leur procurant que des ressources tout à fait insuffisantes, le pillage était demeuré jusqu'à ces dernières années leur principal moyen d'existence.

Les catégories que nous avons établies n'ont nullement la prétention d'être rigoureuses nous avons voulu au contraire montrer par quelle transition insensible on passe des fellahs du Tell aux grands nomades du Sahara. En somme, au point de vue économique, trois types se dégagent de cette énumération les fellahs du Tell, laboureurs et éleveurs de bœufs ; les pasteurs des steppes, éleveurs de moutons et de chevaux ; les vrais Sahariens, éleveurs de chameaux, et qui appartiennent plutôt au type brigand qu'au type pasteur. Les indigènes agriculteurs ne transhument pas parce que leur pays est assez favorisé pour les nourrir toute l'année par la culture; les indigènes de l'ExtrêmeSud et du Sahara proprement dit, Chaanba et Touareg, ne transhument pas non plus, parce qu'ils sont si misérables qu'ils n'ont pas de grands troupeaux et restent dans les immensités sahariennes avec leurs chameaux, à la recherche surtout d'un mauvais coup à faire. Entre les deux se trouvent les pasteurs, habitants des steppes, du pays du mouton, riches quoique non sédentaires.

III

Les migrations, avons-nous dit, se produisent chaque année vers les mêmes districts, variant seulement un peu d'étendue et de durée suivant les conditions atmosphériques. Y a-t-il des changements durables, une évolution? Il n'est pas très facile de le savoir. L'enquête de 1901, qui nous a fait connaître les changements survenus dans les lieux d'échanges des nomades, ne nous renseigne pas complètement sur les modifications des migrations pastorales. D'ailleurs, la diminution, si diminution il y a, se pro

duit en général d'une manière insensible chaque année, comme le remarque le rapport de Marnia), de sorte qu'il faudrait remonter assez loin dans le passé, et même à l'époque turque, ce qui n'est pas aisé, pour bien constater les diminutions dans l'amplitude des migrations. D'autres diminutions sont plus soudaines: ce sont celles qui se produisent à la lisière du Tell par suite des progrès des cultures des colons ou des indigènes; mais les rapports que nous avons utilisés n'y font guère allusion, et, à vrai dire, c'est surtout dans les communes mixtes qu'une enquête pourrait renseigner à ce sujet. Essayons cependant de grouper les indications que nous possédons sur les modifications récentes dans l'étendue des migrations pastorales.

C'est aux deux extrémités de l'Algérie, à la frontière Ouest et à la frontière Est, que des changements remarquables se sont produits, parce que la sécurité accrue, et faisant place à l'état de guerre d'autrefois, a transformé les conditions d'existence. C'est surtout dans la province d'Oran, au voisinage du Maroc, que ces modifications sont marquées. L'occupation des oasis du Touat n'a pas, comme on sait, supprimé l'insécurité, mais elle l'a en quelque sorte déplacée vers l'Ouest; d'où la possibilité pour les nomades algériens d'utiliser plus qu'ils ne le faisaient auparavant certains pâturages; d'où aussi la possibilité d'exécuter les transhumances par fractions moindres, la nécessité de rester groupés pour la défense n'existant plus au même degré :

Dans le cercle de Marnia (2), dès que disparut le danger des harkas ennemies venant razzier troupeaux et récoltes et que se fit moins sentir la nécessité de se grouper pour résister aux attaques subites, on vit les indigènes se disséminer de plus en plus en faibles douars, la propriété se diviser, et les terrains de parcours se restreindre dans de notables proportions. C'est donc au calme, à la tranquillité, à la sécurité qui ont succédé aux périodes d'effervescence, d'agitation, de troubles qu'il faut tout d'abord attribuer les modifications survenues. Puis, les travaux d'utilité générale que nous avons accomplis ont apporté de telles améliorations aux conditions de leur existence que leurs habitudes se sont peu à peu transformées. Nous avons établi des routes, des chemins, des ponts, capté des sources, aménagé des points d'eau, organisé des barrages, construit des maisons, développé les plantations, et par suite cantonné les indigènes

(1) Rapp. Marnia no 1. (2), Rapp. Marnia no 1.

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