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I. INDIGÈNES QUASI-SÉDENTAIRES

Une première catégorie comprendra les indigènes quasisédentaires, chez lesquels l'agriculture l'emporte visiblement en importance sur l'élevage, mais qui ne sont pas aussi rigoureusement fixés au sol que les habitants des villes ou certains montagnards. Ils habitent alternativement la tente et le gourbi, ou bien ils habitent la tente toute l'année, mais ne la déplacent pas à plus de quelques centaines de mètres, le principal but de

mois de campagne au Maroc, in-8°, Paris, 1904). La grande famille des Beraber lato sensu, c'est-à-dire opposés aux Rifains et aux Chleuh, est en partie nomade; ils sont limités à l'ouest par une ligne joignant Merrakech à Rabat, au nord par la ligne Rabat-Meknes-Fès; on y distingue généralement un groupe occidental (Zaïr, Zemmour, Zaïan, Gerouan, Beni-Mguild), un groupe central (Beni-Mtir, Beni-Quaraïn, Aït-Youssi, Aït-Tserrouchen), un groupe occidental (Aït-Atta et Aït-Yafelman). Ils forment, à travers le Moyen-Atlas et le Haut-Atlas, dans tout le Maroc central, une longue trainée qui va rejoindre les nomades du Maroc oriental et des steppes de l'Algérie. La migration des Beni-Mguild a été décrite en particulier par W. B. HARRIS (The nomadic tribes of central Morocco, Geogr. Journ., 1897, p. 638). En automne, les Beni-Mguild descendent de l'Atlas; en même temps, les quatre tribus des Zemmour, des Gerouan, des Beni-Mtir et des Zaïan se resserrent, laissant aux nouveaux arrivants les terrains qu'ils occupaient depuis le printemps. Dès que le labourage est fini, ordinairement au début de mars, les Beni-Mguild plient leurs tentes et émigrent vers les montagnes; et la contrée qu'ils quittent est aussitôt occupée par les gens des tribus environnantes, chacune ayant son territoire déterminé. Les Zemmour et les Gerouan font un léger mouvement vers le Sud; les Beni-Mtir et les Zaïan se partagent la plus grande partie de la région dans laquelle ils sont voisins au printemps et en été, et au contraire séparés par les Beni-Mguild en automne et en hiver. En somme, le nomadisme des Beni-Mguild a un caractère assez alpin, puisqu'ils utilisent surtout en été les forêts et les pentes que la neige a recouvertes. Les Beraber stricto sensu sont des nomades à la fois montagnards, steppiens et sahariens; ils couvrent de leurs tentes tout le vaste quadrilatere compris entre l'Oued Ziz, l'Oued Dadės et l'Oued Dra. A l'ouest et au sud s'étendent les nomades du Sahara marocain, qui ne dépassent pas le versant sud du Haut-Atlas, et souvent mème de l'Anti-Atlas. Les principales tribus sont les Aït-Seddrat, les Aït-Jellal, les Ida-ou-Blal, les Aït-ou-Mribet. Du côté de l'Atlantique, comme le remarque ERCKMANN (Le Maroc moderne, in-8°, Paris, 1885, p. 123), les nomades, sauf de rares exceptions, n'apparaissent guère qu'au sud du Sous, voir même au sud du Draà (Aït-el-Jemel). Les Reguiba, les Ouled-Delim et les Chkarna s'étendent entre le Dra et l'Adrar, écumant le Sahara entre Tombouctou et Tindouf (DE FOUCAULD, Reconnaissance au Maroc, in-4°, Paris 1888, p. 346). Au delà, jusqu'au Sénégal, sont les peuplades errantes et sans cohésion du Sahara occidental connues sous le nom de Beïdan, les blancs, par opposition aux populations noires du Soudan et du Sénégal.

ce déplacement étant de se délivrer des parasites et de s'écarter un peu des souillures de toutes sortes que contient le sol sur lequel ils campent.

Cet état est celui d'une grande partie des indigènes du Tell. Telles sont par exemple les tribus de la vallée du Chélif, Attaf, Ouled-Khosseïr, Sbéah, Sindjès, etc. Avant la conquête française), ces tribus possédaient de vastes espaces, étaient surtout pastorales, et ne cultivaient que les grains nécessaires à leur consommation. Il y avait même une sorte d'assolement des pâturages; on modifiait chaque année les parcours de manière à les laisser se reposer. Aujourd'hui, les surfaces dont ils disposent sont très diminuées d'une part par la colonisation, d'autre part par l'augmentation de la population indigène. Ils ont passé peu à peu à la culture des céréales, qui les nourrit mal, par suite des vicissitudes du climat; seules, les cultures arborescentes amélioreraient leur situation, qui n'est pas brillante.

Dans la région de Tlemcen (2), beaucoup d'indigènes sont des demi-nomades, en ce sens qu'ils changent de campement très souvent, sans toutefois s'éloigner d'un lieu déterminé. Un douar reste toujours dans un périmètre donné ; les indigènes décampent pour aller planter leurs tentes un peu plus loin, sans jamais s'éloigner ni changer de territoire du reste, l'administration s'y refuserait. Cependant les Beni-Ournid, qui en été campent chez eux, aux environs de Terni, viennent en partie passer l'hiver dans les Beni-Ouazzan, où ils louent du terrain pour

semer.

Les indigènes de la commune mixte de Teniet-el-Had (3) se déplacent, mais dans leur douar même; ils n'émigrent pas. Quelques propriétaires envoient en hiver leurs troupeaux sous la conduite de bergers dans l'annexe de Chellala, mais ne s'absentent jamais de leurs douars avec leur famille.

Les habitants des plaines de Sétif(4), et d'une manière générale de l'immense plaine ondulée qui s'étend de la Medjana à

(1) Commission d'étude des améliorations à apporter à la vallée du Chélif, in-8', Alger, 1899, p. 113.

(2) M. POUYANNE, La propriété foncière, p. 1008.

(3) Rapp. comm. m. Teniet-el-Had.

(4) FÉRAUD, Rec. de Constantine, 1871-72, p. 24.

Tébessa, vivent en douars sous la tente et changent de campements plusieurs fois dans l'année, selon les exigences du moment, sans franchir le périmètre de leur tribu. C'est seulement dans les mauvaises années qu'ils vont chercher des pâturages chez les tribus voisines, avec lesquelles leurs rapports sont réglés par des conventions traditionnelles. Mais, comme on le verra tout à l'heure, beaucoup d'entre eux confient des troupeaux aux tribus sahariennes, qui les emmènent passer l'hiver dans le Sud.

A la lisière du territoire militaire, il y a également quelques tribus quasi-sédentaires. Dans l'ancien cercle de Saïda (1), les Hassasna, qui occupent la partie septentrionale du territoire, ne se déplacent jamais; pendant la saison froide, ils envoient une partie de leurs troupeaux dans les plaines qui avoisinent le chott. Dans le cercle de Boghar, les Ouled-Allan et les Tittery sont presque sédentaires (2). Les Ouled-Allan sont 7,800; ils ont 52,000 hectares, dont 30,000 cultivables; placés à la lisière du Tell et des steppes, le nord de leur territoire est presque partout arable et propre à la culture des céréales, sauf sur les crêtes dénudées et sur quelques versants escarpés; dans cette région se sont concentrées leurs habitations fixes maisons, dechras, gourbis, où ils passent l'hiver et la saison des labours. Au delà de cette zone est une région d'une largeur moyenne de 8 kilomètres, composée de mamelons ondulés couverts d'alfa, généralement pierreux, entre lesquels se trouvent des terres d'alluvions d'une grande fertilité; après ce territoire de transition vient une vaste plaine inclinée vers le sud, dont les bords se relèvent près du massif de Birin, dans les tribus des OuledMokhtar et des Mouïadet-Cheraga. C'est là que vont camper au printemps ceux des Ouled-Allan qui ont des troupeaux (la moitié environ de la tribu). Les Tittery ont une grande partie de leurs terres dans la montagne, où ils habitent le plus souvent dans des gourbis. Ils ne font aucune migration hors de leur territoire, et vont seulement au Nord ou au Sud suivant la saison.

(1) Pays du Mouton, p. 316. Les deux tribus des Hassasna ont été remises à l'administration civile en 1903; l'annexe de Saïda, transformée alors en poste du Kreider, a été également rattachée au territoire civil le 1" janvier 1906. (2) M. POUYANNE, p. 1052, d'après le Sénatus-Consulte. Cf. Pays du Mouton,

p. 37.

Dans l'annexe de Sidi-Aïssa (1), les Adaoura, qui habitent la partie montagneuse du territoire qu'on appelle le Tell de SidiAïssa, résident pour la plupart dans des maisons ou des gourbis. pendant la mauvaise saison et s'installent l'été sous la tente, qu'ils dressent presque toujours à côté de l'installation d'hiver. Dans l'Aurès, une bonne partie de la population de l'AhmarKhaddour, de la vallée de l'Oued-el-Abiod, du Djebel-Chechar est presque sédentaire (2).

En Tunisie, les indigènes cherchent à rester le plus possible chez eux. Lorsqu'il est nécessaire de faire transhumer les troupeaux, ceux-ci partent sous la conduite de quelques bergers, mais le gros de la tribu ne bouge pas. Il y a d'ailleurs transhumance double, comme dans la province de Constantine.

II. NOMADES A PARCOURS TRÈS RESTREINT

A côté de ces indigènes presque sédentaires et nettement agriculteurs, il faut placer une nombreuse catégorie de nomades à parcours très restreint: disons, pour fixer les idées, 20 à 50 kilomètres. Ils habitent une région demi-tellienne, où l'agriculture a encore un rôle notable. Ils sont néanmoins obligés de changer de campements, à des époques d'ailleurs indéterminées, pour procurer aux troupeaux des pâturages intacts en échange de ceux qu'ils ont épuisés, sans s'éloigner toutefois de leurs territoires respectifs (3). C'est le cas des indigènes qui habitent à la lisière du Tell (Boghar, Chellala), le bassin du Hodna (BouSaâda, Sidi-Aïssa), ou encore les parties les plus montagneuses de l'Atlas Saharien: monts des Ksour (Aïn-Sefra), Djebel-Amour (Aflou), Aurès (Khenchela). C'est le cas aussi des indigènes de la plus grande partie de la Tunisie, où la steppe et la terre cultivable s'entremêlent comme les cases d'un damier("). Passons en revue les nomades de cette espèce.

(1) Rapp. Sidi-Aïssa no 1. Cf. Pays du Mouton, p. 405.

(2) Pays du Mouton, p. 443.

(3) Pays du Mouton, p. 16 et 405.

(4) MONCHICOURT, notes ms.

Dans le cercle d'Aïn-Sefra (1), les migrations habituelles des nomades ne se font que sur des espaces relativement restreints; les Amour et les gens des ksour se déplacent fort peu. Il en est de même des tribus de l'annexe d'Aflou, à l'exception des OuledYacoub (2); les points d'eau les plus fréquentés par chacune d'elles constituent leurs lieux de campement habituels; la richesse du Djebel Amour en pâturages et en eaux explique suffisamment cet état de choses.

Dans l'annexe de Chellala (3), les tribus ne quittent pas le pays en général et n'ont pas de migrations périodiques; lorsque les pâturages leur font défaut sur un point, les tentes se portent sur un autre point plus favorisé. C'est seulement en cas de sécheresse absolue qu'un certain nombre de tentes s'en vont isolément dans les territoires voisins de l'annexe, mais sans s'en écarter beaucoup et sans suivre d'itinéraires fixes. Par contre, le territoire de Chellala reçoit en hiver des nomades des communes mixtes de l'Ouarsenis, de Teniet-el-Had et de Boghari. Dans la commune mixte de Boghari), les indigènes les plus nomades sont les Bouaïch, les Abadlia, les Zenakra, et une partie des Aziz; leurs migrations ne se font qu'individuellement, c'est-à-dire que le chef de tente ne quitte son territoire que s'il est régulièrement autorisé par l'administration locale. Les Beni-Lent, les BeniMaïda descendent aussi du versant sud de l'Ouarsenis, leur séjour habituel, en nombre variable suivant que l'hiver est plus ou moins doux, la neige plus ou moins abondante et persistante, la zone du Sersou qui leur appartient plus ou moins riche en pâturages. Dans le cercle de Boghar(5), les Ouled-Mokhtar, les Mouïadat, les Rahman, oscillent un peu entre le Nord et le Sud; ils remontent quelquefois, lorsque la sécheresse les y contraint, dans les communes mixtes de Berrouaghia et de Boghari, mais ces déplacements s'accomplissent individuellement, sans itinéraire fixe; il n'y a pas de migrations régulières et en masse. Il

(1) Rapp. Aïn-Sefra no 1, et Pays du Mouton, p. 312.

(2) Pays du Mouton, p. 271.

(3) Pays du Mouton, p. 61.

(1) Rapp. comm. m. Boghari.

(5) Pays du Mouton, p. 37. Les Ouled-Mokhtar étaient des djouad chargés par les Turcs de contenir les Ouled-Nayl et les autres tribus du Sud (URBAIN, Tableau des établ. fr., 1843-44, p. 424).

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