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d'ordinaire soff Gharbi et soff Chergui. Chacun de ces soffs s'efforçait d'élargir aux dépens de son voisin la bande de territoire orientée Nord-Sud dont il jouissait (1).

Que s'est-il produit pendant les premières années qui ont suivi la conquête ? Les indigènes ont-ils profité du désarroi et de notre ignorance pour imposer leur estivage dans des régions où ils ne venaient pas auparavant ? Il est très difficile de se prononcer sur ce point. Mais les migrations ont certainement subi quelques modifications:

Les migrations des nomades (2) n'étaient pas aussi régulières autrefois. Les Sahariens arrivaient bien quelquefois à s'entendre avec quelques tribus de la région, qui les autorisaient, moyennant une redevance, à faire pacager sur leurs terres. Mais, en raison des luttes continuelles de tribu à tribu et du manque de sécurité pour les Saha riens, ceux-ci ne venaient que très rarement au nord de l'Aurès, et seulement lorsque le manque absolu de pâturages les mettait dans l'obligation extrême d'accepter les exigences des gens des HautsPlateaux. Avant notre domination, ces migrations s'opéraient aux risques et périls des émigrants, qui étaient mis en coupe réglée par tous les habitants des territoires qu'ils étaient obligés de traverser. Il n'existait aucun droit fixe. Lorsque les nomades étaient en nombre suffisant pour résister, ils ne payaient aucun droit et se bornaient à remettre des dattes ou un peu d'argent aux chefs et aux personnages religieux de la tribu. Dans le cas contraire, chacun rançonnait les nomades à sa fantaisie et suivant l'importance de la caravane... Ces migrations, indispensables lors des grandes disettes, n'étaient pas une habitude avant notre arrivée. Maintenant elles sont régulières, et alors même que les pâturages ne font pas défaut au Sahara, les nomades viennent chaque année à époque fixe dans le Tell. En somme, ce sont les officiers des affaires indigènes qui ont les premiers facilité les achabas. Lorsqu'une tribu manquait de pâturage pour une cause quelconque, le chef du bureau arabe demandait à son collègue du territoire voisin l'autorisation de lui envoyer ses administrés. On usait de réciprocité. Les gens du Tell allaient chercher au Sahara un climat plus clément pour leurs troupeaux décimés par le froid. D'accidentelles qu'elles étaient autrefois, ces migrations sont devenues des coutumes aussi bien pour certains Telliens que pour les Sahariens eux-mêmes. Plus tard, on dut les réglementer, afin que la surveillance d'étrangers dans une commune autre que la leur fût rendue plus facile.

(1) JOLY, notes ms.

(2) Rapp. comm. m. Khenchela.

L'auteur du rapport exprime une opinion individuelle, qu'il ne faut peut-être accepter qu'avec quelques réserves, ou qui, du moins, ne s'applique qu'à la région qu'il vise.

Les migrations ont subi quelques modifications (1). Sous les Turcs, la sécurité des routes laissait à désirer; les nomades ne voyageaient qu'en groupes compacts de 700 à 1,000 individus, et ne se rendaient que dans les tribus amies. Aujourd'hui, les nomades voyagent par petits groupes de 10 ou 15 tentes, et viennent de préférence camper tous les ans dans les mêmes régions; mais si les pâturages manquent sur les points où ils ont coutume d'estiver, ils sont dirigés sur d'autres territoires.

Il n'est pas douteux que notre organisation administrative, nos limites de cercles et de communes ont porté des entraves aux migrations. Aujourd'hui, les tribus ou groupes qui veulent effectuer un déplacement en demandent préalablement la permission aux autorités dont elles dépendent; ces autorités, après s'être concertées avec l'administration du territoire dans lequel les indigènes veulent se rendre, accordent la permission demandée, fixent la date du départ, les points d'étape, en un mot veillent à ce que tout se passe régulièrement (2). Ces mesures sont prises. en vertu de l'article 34 du décret du 23 mai 1863 sur l'application du Sénatus-Consulte du 22 avril 1863, article ainsi conçu : « L'administration réglera annuellement les conditions auxquelles les tribus sahariennes seront admises à exercer sur les territoires des douars les anciens usages de dépaissance de leurs troupeaux. » En Tunisie, les choses se passent d'une manière analogue: les nomades ont besoin pour se déplacer de l'autorisation administrative et du consentement de la tribu chez laquelle ils vont estiver.

Les migrations ont lieu parfois individuellement, c'est-à-dire que l'autorisation de quitter le territoire est donnée à chaque chef de tente. Ils voyagent alors par petits groupes et sans cohésion c'est le cas par exemple des Ouled-Zian (3). Mais le plus souvent, les grands nomades du Sud viennent groupés par fractions (ferkas), sous la conduite des chioukh ou notables, à époque fixe, avec leurs troupeaux, leurs tentes et leur smala complète. Une fois arrivés sur leur territoire d'estivage, ils restent en général groupés, mais lorsque les pâturages ne sont

(1) Rapp. de la comm. m. des Eulma.

(2) V. aux annexes (II), à titre d'exemple et pour mieux fixer les idées, comment sont conçues ces autorisations.

(3) Rapp. comm. m. de l'Aurès, d'Aïn-Touta et de Boghari. (4) Rapp. comm. m, de Khenchela, des Eulma.

pas très abondants, il sont obligés de se fractionner. Comme il arrive parfois que les indigènes d'une même tribu sont campés dans des communes différentes, le chef est tenu de connaître les lieux de campement de ses administrés, qu'il visite quand les circonstances l'exigent.

Depuis quelques années, on observe une certaine tendance des indigènes à quitter leurs territoires sans autorisation et surtout à ne pas marcher groupés comme autrefois. D'autre part, des mesures ont été prises pour réagir contre ces habitudes. On a même fait un pas de plus, et dans ces derniers temps, pour aplanir les difficultés qui se sont élevées au sujet de l'estivage des Larbà, M. le général Bailloud, commandant la division d'Alger, a fait étudier un projet de réglementation plus détaillée de leurs migrations annuelles. Cet intéressant projet, qui d'ailleurs précise l'état de choses existant plutôt qu'il n'innove, marque une nouvelle étape dans la régularisation du nomadisme, et peut se résumer ainsi (1):

1° Envoi des demandes d'achaba dans le courant du mois de mars, c'est-à-dire assez à temps pour que les communes intéressées puissent les examiner et faire connaître leur réponse avant que les indigènes du territoire militaire ne commencent leurs migrations;

2o Reconnaissance complète des terrains de campements, des points d'eau désignés pour abreuver les troupeaux, de concert avec les administrateurs, antérieurement à la venue des Larbâ ;

3° Locations nécessaires des terrains appartenant à des colons, faites également de concert avec les autorités locales;

4 Pénétration après l'enlèvement des récoltes. Dans ce but, détermination à l'avance des chemins à suivre, avec une ligne de points d'eau pour chaque tribu, de façon à assurer la police, le bon ordre, le respect des propriétés et à éviter la destruction des pâturages existant sur les lignes de pénétration.

Les tribus des Larbå se disperseraient en éventail, à partir de la région Taguin-Chellala, pour gagner les points où elles doivent estiver. Elles seraient conduites sur ces points par fractions constituées, occupant en largeur l'espace le plus restreint possible, et les nezlas se succédant dans chaque tribu à un jour de marche, sans qu'aucune tente soit laissée en arrière.

Un ou deux officiers étaient autrefois chargés de guider et de surveiller la marche des Larbâ pendant leur transhumance. Cette prescription serait utilement remise en vigueur. Dans ce cas, un officier

(1) Rapp.du général BAILLOUD à M. le Gouverneur général de l'Algérie, 14 mars 1905.

désigné parmi les adjoints du bureau des affaires indigènes de Laghouat aurait à veiller à la direction générale de la marche et å prendre avec les autorités locales les mesures voulues pour sauvegarder les intérêts de tous les indigènes, aussi bien telliens que sahariens. Cet officier se rendrait à l'avance auprès du chef de l'annexe de Chellala, des administrateurs des communes mixtes de Boghari, de Teniet-el-Had et de l'Ouarsenis pour s'occuper de tous les détails de la migration. Il serait accompagné dans ses opérations par l'agha Djelloul, et s'il était besoin par les caids des tribus. Il reviendrait ensuite dans la région d'Aïn-Beïda, Taguin, Chellala et Belkeitar pour procéder à la mise en marche de la confédération, aussitôt après l'enlèvement des récoltes des terrains à occuper. Il surveillerait le mouvement général qui serait accompli sous sa direction. Cet officier rentrerait à Laghouat dès que les Larbâ auraient pris leurs campements d'été.

Dès le moment de l'entrée des nomades dans le territoire civil et pendant la durée de leur séjour, le bach-agha Lakhdar et l'agha Djelloul seraient, comme par le passé, chargés de la surveillance des Larbâ.

II

« L'Afrique du Nord, dit Masqueray(", se compose de montagnes où des familles, même très faibles, peuvent se fixer et se défendre, et de steppes à travers lesquelles les tribus les plus fortes sont forcées de se déplacer de pâturage en pâturage. Il y a plusieurs degrés entre ces deux manières de vivre; il est même juste de dire que la plupart des tribus africaines sont plus ou moins nomades, plus ou moins sédentaires. »

On comprend combien il est difficile, dans ces conditions, de donner une nomenclature et une classification des nomades. « Les indigènes des plaines, dit Villot (2), que le public s'est habitué à désigner sous le nom d'Arabes, se divisent en deux catégories les Arabes à parcours restreint, qui cultivent sur les hauts plateaux et dans les vallées du massif maritime, et les Arabes er-Rehala ou nomades. La transition entre ces deux catégories est pour ainsi dire insensible; à mesure qu'on marche vers le Sud, les Arabes à parcours restreint ont des oscillations de plus en plus grandes. »

(1) E. MASQUERAY, Formation des cités chez les populations sédentaires de l'Algérie, in-8°, Paris, 1886, p. 15.

(2) VILLOT, p. 296.

Le fait d'habiter sous la tente n'indique pas forcément qu'on ait affaire à des nomades, car beaucoup de tribus du Tell qui ne se déplacent pas habitent la tente. « Les tribus du Tell (1) exploitent la terre les unes à l'aide de fermes bâties en pierre, en pisé ou en branchages, les autres en vivant sous la tente. >> On distingue parmi les indigènes du Tell les graba, haouach, bit-ech-chaar(2), et on les oppose aux Arab Rehala ou Guitana(3),

Fréquemment, dans une même tribu, une fraction est plus sédentaire, parce qu'elle a plus de terres de culture, et une autre plutôt nomade, parce qu'elle a plutôt des troupeaux et des pâturages. Ou bien, dans une même fraction, un douar ou même un certain nombre de familles sont plutôt nomades, d'autres douars et d'autres familles étant sédentaires. Enfin le fait pour une tribu de ne pas sortir du territoire de son cercle, de son annexe ou de sa commune mixte n'est pas non plus un élément de classification suffisant; on choisit assez généralement ce criterium, à cause de son caractère administratif, et parce que c'est celui qui importe le plus au point de vue de l'impôt, de la police, etc. Mais les circonscriptions administratives sont plus ou moins étendues, conformées de façons très diverses. En outre, la nécessité de la migration ne résulte pas seulement de la nature du territoire, mais encore de la richesse plus ou moins grande d'une tribu en troupeaux. Il faudrait donc toujours, en même temps qu'on énonce le nom d'une tribu, indiquer le chiffre de sa population et de son cheptel.

Essayons cependant de noter les transitions insensibles qui nous conduisent des indigènes presque sédentaires aux grands nomades du Sahara (4).

(1) Exposé des motifs du Sénatus-Consulte de 1863, p. 38. Cf. Exposé de l'état actuel de la société arabe, in-8°, Alger, 1844, p. 20 et suiv.

(2) Habitants du gourbi, du haouch, de la tente.

(3) R. J~,, décamper, et, s'établir dans une contrée (JOLY, Revue Africaine, 1904, p. 9).

(4) Nous laissons de côté ici les nomades marocains, sur lesquels les renseiguements sont trop incomplets pour permettre une classification dans le genre de celle que nous essayons pour les nomades algériens. Notons seulement que, contrairement à une opinion assez répandue, il y a des nomades au Maroc. Les Beni-Ahsen sont des demi-nomades, qui oscillent entre le marais et la forèt; demi-nomades aussi les habitants des plaines de l'Ouest, Chaouïa, Doukkala, etc., qui associent, dans des proportions variables, l'agriculture et l'élevage et oscillent entre la zone côtière et la steppe (v. WEISGERBER, Trois

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