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teurs du Tell qu'on leur aura laissé la libre disposition des îlots cultivables de la steppe et de la zone mixte qui se trouve à sa lisière septentrionale, et où il faut leur constituer des réserves de pâturage. Il ne faut pas considérer l'industrie pastorale comme un mal inévitable, mais comme une des richesses de l'Afrique du Nord, au même titre que l'agriculture. «Est-il nécessaire, écrivait un publiciste (1) à propos du Sersou, de laisser improductifs plus de 300,000 hectares pour permettre à quelques centaines d'Arabes d'y mener leurs moutons pendant deux ou trois mois de l'année ? » - Est-il nécessaire, dirons-nous à notre tour, de condamner à périr plusieurs centaines de mille moutons pour récolter quelques hectolitres de blé dans les années les plus favorables? Il faut voir d'un même coup d'œil les deux aspects du problème et ne pas croire que tout est bénéfice parce qu'on aura reconnu qu'un district se prête à la culture et qu'on le lui aura livré.

Ce serait d'ailleurs singulièrement rabaisser la question que d'y voir le résultat d'erreurs administratives, ou même un épisode de la concurrence économique entre les colons et les indigènes. La colonisation russe gêne pareillement les populations pastorales de l'Asie en les privant de l'espace nécessaire pour mener la vie nomade à laquelle elles étaient habituées (2). Même conflit dans tous les pays de grand élevage, Australie, Etats-Unis, Argentine.

En Australie (3), les terrains qu'occupent les squatters leur sont disputés par les petits fermiers qui prétendent que certains districts intérieurs ne sont pas aussi impropres à la culture qu'on l'imaginait et qu'en beaucoup d'endroits on peut, avec des travaux d'irrigation, faire produire à la terre des récoltes. Le free selecter peut, lorsqu'il trouve à sa convenance dix acres dans le terrain dont le squatter n'est que le locataire, les acheter à l'agent du gouvernement et évincer le squatter si celui-ci ne consent à en payer dix fois la valeur.

(1) Pierre BATAIL (Dépéche Algérienne, 18 janvier 1904).

(2) SEMENOV, La Russie extra-européenne et polaire, in-8°, Paris, 1900, p. 106. (3) A. MÉTIN, Législation ouvrière et sociale en Australie et en NouvelleZélande, in-8, Paris, 1901, p. 18; - Works and Wealth of Queensland, Brisbane, 1897; - COGHLAN, A statistical account of Australia and New-Zealand, Sydney (annuel); - R. WALKER, Australian democracy, in-8°, Londres, 1897, p. 69.

Aux États-Unis), les rancheros du Texas ne disposent plus aujourd'hui des steppes qui séparent le Rio-Grande des sources du Missouri, depuis la fameuse Fence War (guerre des clôtures), où les agriculteurs eurent raison d'eux en reprenant pour leur compte les cours d'eau indispensables à l'arrosage des terres; ils ont dù forcément réduire, voire même abandonner leurs exploitations gigantesques. Aux corrales (parcs enclos), aux cowboys (bouviers) maîtres du territoire, ont succédé les fermes arrosées des settlers. Dans le Wyoming, même lutte, qui s'est terminée par la déroute des cattle men (hommes du bétail) en 1892 et la réforme de la législation dans le sens de la restriction des privilèges de l'élevage.

Dans l'Argentine (2), double évolution : les méthodes d'élevage se sont transformées, et dans beaucoup de contrées l'agriculture a pris la place de l'élevage. Il ne reste plus des anciennes mœurs pastorales que le caractère d'opérer comme autrefois sur de grands espaces et de ne réclamer aucun abri pour le bétail. L'étendue des terres mises en culture augmente constamment, et l'élevage se trouve graduellement refoulé. La charrue passe là où vivaient les bêtes à cornes, et celles-ci prennent la place des moutons, qui se voient refoulés vers les terres nouvelles. Le cultivateur reste quatre ou cinq ans sur une terre, y semant du maïs et du blé, puis la rend transformée et non épuisée à l'éleveur, qui jette pour l'occuper définitivement la graine de luzerne et d'autres graminées. Il y a donc en ce cas collaboration et non conflit de l'éleveur et de l'agriculteur. Mais néanmoins le nombre des animaux de race ovine diminue depuis quelques années en Argentine comme en Australie.

Le principe auquel il faut s'attacher pour résoudre les difficultés qui peuvent surgir dans l'Afrique du Nord entre les agriculteurs et les pasteurs est qu'on doit toujours préférer les intérêts de la forêt à ceux des pasteurs, et le plus souvent les intérêts de l'agriculture à ceux de l'élevage extensif. Encore faut-il qu'il s'agisse des intérêts réels et dùment démontrés de la forêt et de l'agriculture. Il ne faut pas condamner les nomades

(1) RONNA, L'industrie pastorale aux États-Unis (Bull. Soc. d'Encourag. pour l'industrie nationale, aoùt 1896, p. 60-62).

(2) EMILE DAIREAUX, L'élevage dans l'Argentine (Revue de Paris, 1" août 1903, p. 618-672). Cf. Bull. Off. Algérie, 15 juillet 1904, p. 213.

à mourir de faim et rendre les steppes toutes entières inutilisables et improductives pour essayer de faire pousser des arbres là où le climat ne permet pas leur existence. Il faut encore moins permettre à la culture européenne ou indigène de gêner les pasteurs, lorsque cette gêne n'est compensée par aucun avantage sérieux, et que cette culture s'exerce dans des conditions tellement précaires ou sur des surfaces tellement réduites qu'elle ne présente aucun intérêt économique.

CHAPITRE III

LES DIVERSES CATÉGORIES DE NOMADES

I. La migration pastorale; son degré de fixité. II. Essai de classification des nomades: 1° Indigènes quasi-sédentaires; 2° Nomades à parcours très restreint; 3° Nomades à campements distincts; 4° Nomades à estivage tellien; 5° Sahariens proprement dits. III. Tendance des migrations à se réduire. Migration et transhu

-

mance.

I

Les migrations des nomades de l'Afrique du Nord ont des causes multiples: le besoin d'échanges commerciaux, la nécessité d'aller faire la récolte des céréales dans le Tell, celle des dattes dans le Sahara, contribuent à rythmer leurs mouvements. Mais si on dissocie ces phénomènes pour les étudier séparément, on se rend compte que les nécessités inéluctables de l'industrie pastorale et de la transhumance demeurent la cause essentielle des migrations: le reste est accessoire.

Quand les récoltes commencent à mûrir(1), le nomade, chassé du Sahara par les ardeurs du soleil, gagne ses campements d'été. Les troupeaux engraissent à partir du mois de février, et le maximum d'embonpoint est obtenu vers la fin d'avril. C'est l'époque de la tonte. Les indigènes envoient des émissaires dans toutes les directions pour s'enquérir de l'état des récoltes, des prix probables des céréales sur les divers marchés; ils y dirigent leurs convois de chameaux, vont y vendre leur laine et leurs moutons. Les tentes sont ensuite portées à proximité des cultures,

(1) VILLOT, p. 379-380.

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