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voisines des deux zones tempérées et leur succédant vers l'Equateur, où il tombe moins de 400 m/m d'eau par an. M. Rehbock (1) a cherché à évaluer la superficie occupée par ces régions sèches, et montre combien elle est considérable : dans l'hémisphère austral, 7 millions de kilomètres carrés (Australie, 4 millions; Amérique du Sud, 2; Afrique du Sud, 1); dans l'hémisphère boréal, la limite, en Asie, est assez difficile à tracer, parce que tout l'intérieur du continent est pauvre en pluies; si l'on compte seulement la partie située au sud du 45° parallèle, on a, pour l'hémisphère nord, environ 22 millions de kilomètres carrés, dont 11 millions pour l'Asie, 8,5 pour l'Afrique du Nord, 2,5 pour l'Amérique du Nord. Il y aurait donc en tout 29 millions de kilomètres carrés, 1/5o de la Terre, qui n'est pas cultivable sans irrigation.

Là où le sol est tout à fait stérile et l'absence de pluies à peu près absolue, l'homme est rare, vit de ressources accidentelles et hasardeuses, principalement du pillage des passants et des caravanes. Mais à la lisière des pays agricoles et des pays désertiques sont des territoires qui, bien que ne se prêtant pas à la culture, permettent de vivre, et de vivre parfois assez largement, de l'industrie pastorale et de l'élevage, à condition de quitter le pays lorsque le froid ou la sécheresse interrompent la végétation. Ces régions de steppes, intermédiaires entre les pays de cultures et les déserts, sont le domaine propre des nomades. C'est là qu'ils vivent avec leurs troupeaux de chameaux, de moutons, de chèvres, de chevaux, quelquefois de bœufs, allant à la recherche des pâturages d'été et d'hiver, se déplaçant avec leur tente et leur famille.

C'est surtout, c'est presque uniquement dans l'Asie et l'Afrique du Nord que sont les vrais peuples nomades en Asie, les Kalka, les Kalmouk, les Kirghizes, les Turkmènes; en Afrique, les Arabes, les Berbères, les Massaï, les Somali, les Peuls. Ailleurs, dans les deux Amériques, dans l'Afrique du Sud, en Australie, les animaux domestiques faisaient autrefois presque complètement défaut; depuis l'arrivée des Européens, il s'y est bien développé une forme moderne d'industrie pastorale, avec

(1) Th. REHBOCK, Der wirtschaftliche Werth der Subtropen (Intern. Geogr. Kongr., Berlin, 1, p. 545).

d'énormes troupeaux de moutons et de bœufs gardés par un très petit nombre de bergers; mais il n'est pas né là de véritables peuples pasteurs, vivant du lait de leurs troupeaux.

Les nomades asiatiques et africains deviendront-ils sédentaires? La question se ramène à celle de savoir si l'on peut cultiver le domaine où ils nomadisent. La culture est-elle possible? Le nomade doit disparaître devant l'agriculteur. La steppe au contraire ne se prête-t-elle pas à la transformation. agricole? Le nomade, seul en état de tirer parti des ressources qu'offre la nature, doit se maintenir. En d'autres termes, il s'agit de savoir dans quelle mesure le nomadisme est le résultat de facteurs historiques, dans quelle mesure il est imposé par les conditions géographiques et par la nature même du pays. C'est cette question que nous allons essayer de résoudre en ce qui concerne l'Afrique du Nord: il n'en est pas de plus grave, car de la réponse qui lui sera donnée dépend l'idée même qu'on se fait de l'avenir de la Berbérie, des transformations que notre domination pourra y introduire et de celles qu'au contraire elle doit renoncer à voir jamais s'effectuer.

II

L'Afrique du Nord (1) est, dans son ensemble, une haute terre, un énorme socle dont les chaînes montagneuses forment les rebords et les gradins. Il faut franchir ces rebords lorsque, de l'intérieur, on veut gagner soit la Méditerranée, soit le Sahara. Le trait le plus caractéristique de la contrée est sa division en une série de zones parallèles à la côte et se succédant du nord au sud. Les facteurs géologiques agissent dans le même sens que les facteurs climatiques et concourent à diviser le pays en bandes allongées et étroites.

La partie centrale de la Berbérie, c'est-à-dire l'Algérie, est la plus compacte. A l'est, les eaux, les vallées et les communications se dirigent vers la mer orientale, vers le golfe des

(1) AUGUSTIN BERNARD et EMILE FICHEUR, Les Régions naturelles de l'Algérie (Ann. de Géogr., 1902); AUGUSTIN BERNARD, Hautes-Plaines et Steppes de la Berbérie (Bull. d'Oran, 1898).

Syrtes c'est la Tunisie. A l'ouest, le massif se désarticule, donne naissance à des chaînes plus distinctes et s'ouvre vers l'Océan Atlantique: c'est le Maroc. En Algérie, entre les plis voisins de la Méditerranée et ceux qui confinent au Sahara s'étend une vaste zone intérieure de hautes plaines, dont les eaux ne parviennent pas à la mer, et qui sont occupées en leur centre par des dépressions fermées, les chotts. Ces cuvettes sont le dernier résidu des grands bassins lacustres qui ont occupé ces régions pendant le tertiaire et le quaternaire. C'est une zone où le plissement a été moins intense, et où les formations qui supportent les terrains d'atterrissements sont affectées seulement de larges ondulations. Quelques crêtes montagneuses émergent seules comme des îlots, à demi-enterrées sous l'énorme épaisseur des alluvions. Une phase sèche ayant succédé à une phase très humide, a empêché les eaux courantes d'achever le modelé du sol, et les matériaux de l'érosion sont restés sur place, parce que les cours d'eau n'ont pas eu la force de les conduire à la mer.

Il n'y a pas dans l'Afrique du Nord, comme on le dit quelquefois, une seule et unique zone de « hauts plateaux » s'étendant d'une manière continue de l'Atlantique à la côte tunisienne, ni même de l'Oranie à la Tunisie. Mais si ces formes de relief sont dues surtout à l'inachèvement du modelé et à l'interruption de l'érosion par les eaux, les mêmes causes doivent produire les mêmes effets en beaucoup de points de l'Afrique septentrionale. La plus importante série de hautes plaines est celle qui va de la Moulouïa au Hodna. Elle comprend le Dahra marocain, les hautes plaines de l'Oranie, d'une altitude moyenne de 1,000 à 1,200 mètres, la région des Zahrez, un peu moins élevée (800 mètres); enfin le bassin du Hodna, dont l'altitude n'est que de 400 mètres. Les plaines de la province de Constantine, qui s'étendent de la Medjana à Tébessa, ont un caractère un peu différent; elles sont plus ondulées, plus morcelées et interrompues par de plus nombreux tronçons de chaînes.

Les hautes plaines ne sont guère qu'une manière d'être de l'Atlas Saharien. La transition est insensible dans certaines parties, et la différence résulte seulement de la part plus ou moins grande des arêtes et des reliefs. L'Atlas Saharien, mur de soutènement des hautes terres de l'Algérie, est constitué par des

plissements très simples et très uniformes, quelquefois de vrais gradins, si longs et si bas qu'ils représentent la simple esquisse d'un gauchissement des couches, restées horizontales sur de vastes espaces(). Le type orographique dominant est celui de plaines assez larges séparées par des crêtes arides de peu d'épaisseur. Quoiqu'il atteigne en certains points plus de 2,000 mètres, l'Atlas Saharien a une altitude relative assez faible au-dessus des hautes plaines qui le précèdent au nord. Même les parties les plus accidentées, comme le Djebel-Amour et l'Aurès, ont une sorte de relief en creux; de profonds cañons entament les massifs, mais c'est l'aspect de plateau qui domine en général entre les vallées. L'Atlas Saharien se compose de trois faisceaux principaux de plis: celui du massif de Figuig et des monts des Ksour, celui du Djebel-Amour et des monts des Ouled-Nayl, enfin celui de l'Aurès et ses prolongements. Les chaînes de la partie orientale de la province de Constantine constituent l'amorce des chaînes tunisiennes, caractérisées par la simplicité des chaînons, leur faible longueur, leur discontinuité, la variabilité de leur orientation, la fréquence des petits massifs à base circulaire ou elliptique, c'est-à-dire des dômes (2).

La limite méridionale de l'Atlas Saharien, qui est la limite même de l'Algérie au point de vue morphologique, se place là où les chaînons plissés font place aux terrains d'atterrissements d'origine continentale, qui recouvrent peut-être les derniers et les plus faibles de ces plis. La géographie physique du Sahara septentrional (3), entre l'Atlas et le Hoggar, est des plus simples. Au Hoggar ou massif central targui s'adossent les plateaux gréseux du Mouydir et du Tassili des Azdjer. Une grande auréole de plateaux crétacés, comprenant le Mzab, le Tademayt, le Tinghert, la Hamada-el-Homra, les plateaux du Sud-Tunisien, sépare les deux bassins du Melrir à l'est et du Gourara à l'ouest, recouverts d'alluvions tertiaires et quaternaires. Le bassin du Melrir ou bas Sahara s'incline du sud au nord et renferme les oasis d'Ouargla, de l'Oued-Rir (Touggourt), des Zibans (Biskra)

(1) ET. RITTER, Le Djebel Amour et les monts des Oulad-Nayl (Bull. Serv. carte géolog. de l'Algérie, Alger, Jourdan, in-8°, 1902).

(2) L. PERVINQUIÈRE, La Tunisie centrale (Ann. de Géogr., 1900).

(3) AUGUSTIN BERNARD et N. LACROIX, Historique de la pénétration saharienne, in-8°, Alger, 1900.

et du Djerid tunisien. Le bassin du Gourara ou de l'Oued-Saoura, formant le haut Sahara (700-300 m.), a sa pente générale du nord au sud et contient le chapelet des oasis du Gourara, du Touat et du Tidikelt. Deux grands massifs de dunes, l'Erg occidental et l'Erg oriental, occupent une surface importante dans chacun des deux bassins hydrographiques.

Au point de vue des migrations des nomades, les quelques données morphologiques à retenir paraissent être les suivantes : d'abord, l'existence de vastes plaines où rien n'arrête le regard, indéfiniment semblables à elles-mêmes pendant des centaines de kilomètres, sans une pierre, sans un rocher, sans un arbre; ni vallées, ni collines, rien de l'harmonieuse combinaison des formes de relief qu'on trouve par exemple en France, de simples ondulations à grand rayon, avec de faibles différences de niveau). L'Atlas Saharien d'Algérie et de Tunisie renferme de nombreux couloirs faciles à suivre, orientés Sud-Ouest-Nord-Est; même dans ses parties les plus hautes et les plus accidentées, il ne forme pas un obstacle très sérieux; il est toujours possible de le franchir ou de le tourner. Mais c'est le climat qui importe, beaucoup plus que le relief, pour la définition des causes géographiques du nomadisme.

La quantité des pluies varie beaucoup dans l'Afrique du Nord d'un point à un autre. Situé entre la Méditerranée et le Sahara, ce pays, comme l'a dit M. Schirmer(2), subit l'influence alternative d'un bassin d'évaporation et d'un foyer de chaleur. Tout ce qui peut faire varier le climat à courte distance s'y trouve réuni : la proximité plus ou moins grande de la mer, l'altitude, l'exposition déterminent des régions climatiques très différentes les unes des autres. La somme de pluies reçue permet de distinguer le Tell, pays des arbres et des fellahs, la steppe, ou pays des graminées et des pasteurs, le Sahara ou région non cultivable, sans eau, sans arbres et sans cultures, sauf dans les oasis et par irrigation (3). Pour apprécier le climat, il faut tenir compte de l'ex

(1) BATTANDIER et TRABUT, L'Algérie, in-18°, Paris, p. 111.

(2) H. SCHIRMER Le Sahara, in-8°, Paris, 1893.

(3) Les indigènes ne distinguent que le Tell et le Sahara. Tell signifie la colline (plur. Tilal); Sahara signifie primitivement blanc mêlé de rouge, fauve (fém. d'ashar); puis le mot a signifié plaine, pays non cultivé, enfin plaine déserte (d'après M. René Basset).

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