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en pierres sèches ou maçonnées, couvertes en tuiles, parfois pourvues d'un étage.

A la lisière sud de l'Ouarsenis (1), aussi bien dans le Sersou que sur la rive gauche du Nahr-Ouassel, beaucoup d'indigènes commencent à adopter la mechta; c'est une construction rectangulaire comme le gourbi, de grandeur à peu près équivalente, mais beaucoup mieux bâtie. La mechta est le propre du fellah, du propriétaire, qui donne à son droit une consécration puissante en élevant sur le sol qu'il possède, au vu et au su de tout le monde, une construction fixe. Sur la rive gauche du Nahr-Ouassel, où la propriété individuelle et la culture des céréales ont des racines anciennes et se sont développées plus vite, les mechta ne se comptent plus.

Les circonscriptions du territoire militaire où une évolution semblable se produit sont naturellement les régions voisines du Tell, correspondant aux cercles ou annexes de Mécheria, Saïda, Tiaret, Sidi-Aïssa, Bou-Saâda, Biskra, Khenchela et Tébessa:

Dans le cercle de Mécheria (2), les caïds et quelques notables possèdent des maisons à Mécheria; ils ont une tendance marquée à délaisser leur tente pour venir habiter ce village.... Les indigènes songent maintenant à posséder non seulement des biens mobiliers, mais encore des immeubles. Les plus aisés ont compris le défaut de solidité d'une fortune reposant entièrement sur le bétail; et pendant les années favorables, ils ont, par une sévère épargne, préparé les moyens de l'asseoir: c'est ainsi qu'ils sont devenus acquéreurs de maisons à Mécheria, à Aïn-Sefra, à Saïda, à Tlemcen même.

Dans le cercle de Saïda (3), ce sont également les indigènes aisés qui construisent des maisons et se créent des propriétés aux abords des points d'eau.

A Tiaret(), les nomades qui, de temps immémorial, allaient hiverner dans les environs du Chott, ont été obligés, à la suite de l'expédition du Touat, faute de moyens de transport, de stationner en grande partie dans le Sersou sur les campements d'été. Cette situation nouvelle les a mis dans la nécessité de se créer des abris plus confortables que la tente pour se garantir des rigueurs de l'hiver.... Leurs tendances à se fixer au sol ne sont pas dues uniquement à la diminu

(1) BOYER, notes ms.

(2) Rapp. Mécheria no 1. Cf. ci-dessus, p. 102.

(3) Rapp. Saïda no 1. Cf. ci-dessus, p. 102.

(4) Rapp. Tiaret n° 1. Cf. ci-dessus, p. 103 et 191.

tion des chameaux. Elles résultent surtout de l'évolution de la société arabe, qui, en matière de culture, s'est modifiée sensiblement au contact des Européens à la faveur de la paix. En somme, les indigènes du cercle sont désireux de se fixer dans le Sersou en y construisant des habitations européennes.

Dans l'annexe de Sidi-Aïssa (1), le nombre des maisons ou gourbis était de 1,103 en 1889, de 1,840 en 1901. Cet accroissement de 737 maisons pendant une période de douze ans est une preuve que les indigènes se sont attachés au sol, et que leur préoccupation est d'augmenter leur bien-être en même temps que leur sécurité.

A Bou-Saâda (2), il y a également augmentation constante des maisons et constructions de tout genre. Pour le cercle, ce chiffre, qui était de 7,173 en 1900, a passé à 7,561 en 1901.

Dans l'annexe de Barika (3), il est certain que les indigènes tendent autant que possible à se fixer au sol. Beaucoup bâtissent des gourbis et même des maisons, ne conservant la tente que pour accompagner les transhumances de leurs troupeaux. Cela tient à la plus grande sécurité de la région, qui leur permet de séjourner dans des habitations isolées, ce qu'ils n'auraient pu faire autrefois à cause des coupeurs de route et des voleurs. Mais cette transformation est lente, car la vie des indigènes est intimement liée à leur existence de pasteurs.

Les Ouled-Rechaïch, écrivait M. Vaissière en 1891 (4), habitent sous la tente; les propriétaires des rares maisons qu'on trouve sur leur territoire vont l'hiver, comme leurs frères, faire pâturer leurs troupeaux dans le Sahara. C'est ainsi que le caïd Belkassem, qui possédait à Zoui le groupe de maisons le plus important de la tribu, allait hiverner chaque année avec sa smala à Bir-Guerdane. Les OuledRechaïch ont une tendance à devenir sédentaires (5), et ont formulé en 1901 de nombreuses demandes en vue d'être autorisés à bâtir. Cette tendance à se fixer au sol est remarquable, mais elle ne saurait, pour de longues années encore, se caractériser nettement en transformant le nomade ayant des parcours sahariens en indigène réellement sédentaire.

A Tébessa (6), quelques indigènes se construisent déjà des habita tions en maçonnerie; pendant l'année 1901, 150 autorisations environ de construction de maisons ont été accordées, une trentaine de ces

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maisons terminées. Il importe de faciliter à tout indigène qui en a les moyens et le désir la construction d'une maison, avec obligation de planter quelques arbres dans un enclos attenant à cette maison.

La construction de maisons n'entraîne pas toujours et forcément l'abandon de la vie pastorale. En pays arch ou de propriété collective, l'indigène tient à faire acte de propriétaire en demandant à élever des constructions sur la terre à céréales qu'il cultive, sans renoncer pour cela à la coutume d'hiverner avec ses troupeaux dans le Sahara. L'indigène peut être attaché à la terre pendant la période des cultures, d'octobre à mai, et reprendre la vie pastorale une fois la moisson terminée; cette migration n'est pas incompatible avec l'idée de stabilité découlant de la possession d'un immeuble (1). Cependant, d'une manière générale et ces réserves faites, il n'est pas douteux que la substitution de la maison maçonnée à la tente, l'augmentation du nombre des maisons, de même que l'augmentation des surfaces cultivées, doit être regardée comme un signe d'une tendance à se fixer au sol.

A côté de cette évolution spontanée des indigènes de la lisière du Tell vers la vie sédentaire, il faut mentionner les tentatives administratives pour fixer les nomades dans des villages et les inciter à bâtir.

Dès l'époque de la conquête (2), un général en tournée dans le Sud engagea un jour quelques chefs à se construire des maisons; ils obéirent à un conseil qu'ils considéraient comme un ordre; quand le général passa de nouveau, les maisons étaient bâties, mais leurs habitants campaient à côté. Les chèvres avaient pris possession de la maison et montraient leurs têtes par les fenêtres. Pareille chose est arrivée, paraît-il, plus récemment, en Tunisie, avec le casernement qu'on avait construit pour les spahis à Maktar (3).

«La conquête française, écrivait Jules Duval(), transforme à

(1) Rap. Boghar no 1.

(2) M. WAHL, p. 203.

(3) PAUL BOURDE, rens. oral.

(4) J. DUVAL, Bull. Soc. Géogr. Paris, 1865, p. 98.

son gré les nomades en sédentaires. » Il y avait certainement beaucoup d'exagération dans cette assertion. On avait bien quelque action sur les chefs indigènes, auxquels on faisait élever des maisons de commandement ou bordjs, petites forteresses placées sur les voies de communication et où ils étaient à l'abri des attentats. On intéressait aussi leur vanité, en leur montrant l'agrément et l'utilité des établissements fixes (1). Mais les gens du commun demeuraient plus réfractaires.

Le Tableau des Etablissements français de 1852-54(2) réunit les renseignements recueillis, à la suite d'une enquête faite en 1853, sur les villages arabes, la transformation des tentes et des gourbis en véritables maisons pourvues d'un étage, la fixation des indigènes au sol. Bien plus, le caïd Saoudi, dans le cercle de Philippeville, avait créé, près de la Safsaf, un petit hameau européen composé de six maisons et dans lequel il avait installé trois familles allemandes. Le tableau est tracé avec l'optimisme ordinaire aux documents officiels. Cependant certains résultats ont été obtenus; dans cet ordre d'idées, on peut mentionner les tentatives du capitaine Lapasset dans la région de Ténès (village de la Smala(3)) et les récentes expériences de recasements dues à M. Varnier dans l'arrondissement de Sidi-bel-Abbès (4).

Mais ces tentatives ont eu le Tell pour théâtre. Dans les steppes et le Sahara, avec les véritables nomades, les échecs ont été plus fréquents. Les Russes en ont d'ailleurs éprouvé de semblables avec les Kirghizes (5). On voit, près de Djelfa, à Aïn-Mahbet, un village où l'on avait tenté de grouper des nomades en leur construisant des maisons et une mosquée; le tout fut abandonné et tomba rapidement en ruines. Près d'Aïn-el-Ibel se trouve un ksar en ruines où le général Margueritte a cherché en vain à retenir les nomades de la région. Les tentatives plus récentes de Doucen et de Chegga-el-Ftaït n'ont pas été plus heureuses.

(1) Tableau des Établ. fr., 1846-1849, p. 720.

(2) P. 346-383.

(3) F. LAPASSET, Mémoires sur la colonisation indigène, Alger, 1848. Cf. CHARLES RICHARD, Du Gouvernement arabe, in-8°, Alger, 1848, p. 63 et suiv. Il faut citer encore une étude inédite du lieutenant, plus tard général DE COLOMB, De l'amélioration de l'agriculture chez le peuple arabe, décembre 1849, où l'auteur préconisait l'organisation de douars modèles.

(4) J. VAN VOLLENHOVEN, Essai sur le fellah algérien, p. 261 et suiv. (5) Scott. Geogr. Mag., 1902, p. 402.

Le village de Doucen (1), poste des Ouled-Djellal, appartenait à la tribu des Bouazid, qui fut privée de ses biens par application du séquestre à la suite de l'insurrection de 1876. La commune vint en aide de ses deniers aux indigènes de cette tribu pour leur permettre d'édifier leurs habitations et de planter leurs jardins. Tous les efforts qu'il fut possible de faire furent faits et continuent à l'être pour fixer les Bouazid dans ce village, dont la prospérité devait assurer le relèvement de la tribu. Jusqu'à présent, aucun résultat bien satisfaisant n'a été obtenu, et il ne semble pas probable qu'avant longtemps le village devienne florissant.

Dans le cercle de Touggourt (2), des efforts persévérants ont été faits dans le but de sédentariser la petite tribu des Ftaït, qui possède au centre de ses parcours un terrain susceptible d'être cultivé et irrigué sur une superficie assez étendue. Cette tribu a été demi-sédentaire il y a un peu plus d'un siècle; elle possédait un petit village construit en pierres sur un mamelon qui domine une assez vaste plaine autrefois occupée par des plantations de palmiers. Ce village, appelé Chegga-el-Ftaït, fut incendié par les Troud d'El-Oued et l'oasis fut abattue. Depuis ce désastre, les Ftaït avaient renoncé à reconstruire leur village et à reconstituer leur oasis (3). En 1890, le commandement parvint à décider les Ftaït à replanter quelques palmiers au lieu dit Hachanat, dans une région voisine de leur ancien village. Ces plantations réussirent très bien et furent un encouragement pour les indigènes. En 1894, sous la pression de l'autorité locale, quelques essais de culture furent entrepris au pied du mamelon autrefois occupé par le village; les résultats furent très satisfaisants. Aussi, dans le but d'encourager les efforts des indigènes, la commune installa sur un des puits anciens une noria à manège actionnée par un chameau. Le puits étant particulièrement abondant, et la noria donnant un très gros débit, l'autorité locale espérait pouvoir faire décupler au moins la superficie cultivée. Il n'en fut rien.

On essaya alors de faire reconstituer le village de Chegga-el-Ftaït, espérant attacher un peu plus ces indigènes à leur sol. Un plan du village projeté fut établi, le lotissement du terrain à bâtir fut fait, ainsi que celui des terres cultivables, et la répartition des lots fut exécutée par la djemaâ sous la direction du commandant supérieur. La commune fit élever une mosquée au centre du village, et en deux années, grâce à la pression exercée sur le caïd, les maisons furent en partie construites. L'eau étant très abondante à faible profondeur, on promit aux indigènes de leur établir de nouvelles norias au fur et à mesure de leurs besoins, à condition qu'ils s'engageraient à utiliser

(1) Rapp. Biskra n' 1.

(2) Rapp. Touggourt n° 1.

(3) Les habitants du village de Ba-Mendil, dans l'oasis d'Ouargla, ont passé de la même manière à la vie nomade, à la suite de la destruction de leur village par les Mekhadma en 1829 (CARETTE, Origine et migrations des tribus de l'Algérie, in-8°, Paris, 1853, p. 207).

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