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noire le plus souvent, large de 75 centimètres à 1 mètre et de longueur variable suivant les dimensions de la tente qu'on veut construire (ordinairement 6 à 8 mètres). Ce sont les femmes qui tissent les flidj avec de la laine de mouton préalablement filée par elles, teinte par des teinturiers de profession et mélangée de bourre de palmier-nain (lif). On utilise aussi le poil de chèvre, et, au Maroc, on remplace parfois la fibre du palmier-nain par celle du pied de l'asphodèle (2). On voit souvent, près des tentes, les fils du métier à tisser tendus sur le sol en un long parallelogramme, avec la trame noire du flidj qui se dessine à l'une de ses extrémités : c'est un flidj en mauvais état qui a besoin de remplacement; l'industrie de la femme y pourvoit au fur et à mesure des besoins. Il faut onze flidj pour couvrir la tente, qui se divise en trois parties: le milieu (es-segf), qui renferme trois flidj, et les côtés (star), qui en comptent chacun quatre. La femme indigène coud d'abord les flidj côte à côte dans le sens de la longueur avec des aiguilles en bois; elle obtient ainsi une surface d'étoffe presque aussi large que longue.

La tente est soutenue par des montants en bois d'inégale longueur, variant de 1 mètre à 2m 50, et qui portent des noms divers. Ce sont deux rekiza, perches de 2 mètres, en thuya, sur lesquelles s'appuie la poutre horizontale (gontas) qui forme le sommet de la tente, les ouqaqif, au nombre de quatre, les amedda, au nombre d'une vingtaine environ, qui supportent la tente sur le pourtour; enfin, une quarantaine de piquets d'un pied de long qu'on enfonce en terre et auxquels on attache les cordes qui doivent tendre la tente.

Pour monter la tente, on plante en terre, sur une ligne qui sera la ligne de faîte de la tente, les rekiza; on fait reposer sur eux la partie centrale de l'assemblage des flidj; puis on fait tendre l'étoffe de toutes parts en ayant soin de disposer autour des montants du centre une série d'autres montants un peu plus

VON PFEIL, Geogra

MEAKIN, The Moors, in-8°, London, 1902, p. 145 et suiv.
phische Beobachtungen in Marokko, in-8°, Iéna, 1902, p. 51. TH. FISCHER,
Dritte Forschungsreise in Marokko, Hamburg, 1902, p. 102.
Trois mois de campagne au Maroc, in-8°. Paris, 1904, p. 29. -
WEISGERBER,
marocaines, 1905, t. IV, p. 105 et suiv.
Archives
Paris, 1905, p. 24.
EDMOND DOUTTÉ, Merrakech, in-8°,

(1) Je suis noire comme les tentes de Kedar, dit l'épouse du Cantique des Cantiques, 1, 5.

(2) EDMOND DOUTTÉ, Merrakech, p. 24.

courts (les ouqaqif), ménageant ainsi dans la partie centrale de la tente un espace de plusieurs mètres carrés où un homme peut se tenir debout habituellement. Les bords de la tente sont fixés à l'aide de cordes de laine aux petits piquets crochus solidement enfoncés dans le sol. Ces bords ne touchent pas la terre, de sorte que par tous les côtés de la tente, un homme à plat ventre peut s'insinuer dans l'intérieur. De cette façon, l'air se renouvelle et l'étoffe ne pourrit pas aussi facilement. Pour plus de commodité, les attaches de l'étoffe aux piquets sont aménagées sur plusieurs points de manière à permettre de détacher et relever les pans.

Une rigole est creusée à l'extérieur de la tente pour empêcher l'eau de pluie d'y pénétrer; enfin on la ferme du côté du dehors par une zeriba de jujubiers sauvages, de genêts épineux ou de

ronces.

L'intérieur de la tente se divise en plusieurs parties: côté des hommes, côté des femmes, khalfa des hommes, khalfa des femmes (les khalfa sont les parties basses occupant le pourtour de la tente), côté de l'intérieur du douar, côté de l'extérieur. Une couverture de laine tendue verticalement au milieu de la tente la sépare en deux.

Ainsi établie, la tente indigène présente, grâce à l'inégale hauteur et à la capricieuse distribution des soutiens, un aspect irrégulier qui n'est pas sans charme. Elle possède des qualités d'abri très sérieuses, dont on se rend compte seulement lorsqu'on a eu occasion d'en user. Elle ne se laisse pas traverser par la pluie. L'aération y est bonne et l'air circule incessamment. Les indigènes assurent qu'au plus froid de l'hiver ils sont très bien abrités par leurs tentes. Ils allument d'ailleurs du feu quand le besoin s'en fait sentir, non seulement pour la cuisine, mais pour se chauffer; le combustible est fourni le plus souvent par les déjections séchées des animaux domestiques, principalement des chameaux, soigneusement recueillies et mises de côté pendant l'été. La fumée s'échappe par une ouverture dans la partie haute de la tente.

On distingue deux sortes de tentes: la khaima et la achcha ou petite tente; cette dernière, faite avec de vieux flidj, est la tente des bergers: c'est elle qui se sépare quand on « divise la tente». Les tentes des Ouled-Sidi-Cheikh se distinguent par les

bouquets de plumes d'autruches qui les surmontent et qui sont plus ou moins gros selon la qualité du propriétaire ou la fortune de la famille (1). Les grands chefs, les sultans, ont des tentes de dimensions considérables (2): on peut voir à Chantilly celle d'Abdel-Kader; la tente du sultan du Maroc a également de très grandes proportions(3),

Aux yeux du vulgaire, le nomade est l'habitant de la tente, et la tente l'habitation du nomade. Cette notion n'est qu'approximativement exacte. Tous les nomades vivent sous la tente, mais tous les habitants de la tente ne sont pas nomades.

Dans le cercle de Marnia) par exemple, certaines tribus, comme les Msirda, les Beni-Mengouch, les Attia, le Khremis, le Kef, n'habitent que des maisons; les autres, telles que les Achache, Maaziz, Zemmara, Djouïdat, Beni-Ouassin, Beni-bou-Saïd, habitent bien sous la tente, mais ne déplacent leurs douars que rarement, et aucune n'est nomade.

Dans le cercle de Boghar), les Ouled-Allan et les Tittery vivent presque tous dans des gourbis; les Sahary vivent sous la tente; cependant les uns et les autres habitent la montagne et sont définitivement liés au sol: ce ne sont pas ou ce ne sont plus des nomades.

Un certain nombre de tribus, comme les Adaoura de l'annexe de Sidi-Aïssa (6), habitent alternativement la tente et le gourbi; pendant la mauvaise saison, ils résident dans des maisons ou des gourbis, et s'installent l'été sous la tente, qu'ils dressent presque

(1) DAUMAS, Le Sahara algérien, p. 230.

(2) TRUMELET, Les Français dans le désert, 2" éd., in-8°, Paris, 1885, p. 152 et 210.

(3) EUG.AUBIN, Le Maroc d'aujourd'hui, in-8°, Paris, 1904, p. 443 et suiv. Les Kirghizes habitent des yourtes transportables, faites de bois et de feutre. La porte est d'ordinaire au N.-E., opposée à la direction où le musulman se tourne pour prier. Il y a des yourtes coniques et d'autres en forme de coupole (KRAHMER, Russland in Asien, ш, p. 52).

(4) Rapp. Marnia no 1.

(5) Rapp. Boghar no 1. Cf. MAURICE POUYANNE, p. 1052.

(6) Rapp. Sidi-Aïssa no 1. Les Kirghizes ont quelquefois en hiver, au lieu de yourtes, des maisons en planches ressemblant aux cabanes des paysans russes (KRAHMER, Russland in Asien, ш, p. 32).

toujours à côté de l'installation d'hiver. De même, les indigènes de la lisière sud de l'Ouarsenis, Beni-Chaïb, Ouled-Bessem, Ouled-Amar, ont résidence d'été et résidence d'hiver; en été, ils habitent la tente, en hiver la mechta (étymologiquement, mechta veut dire maison d'hiver(1)).

Les indigènes du Tell qui habitent la tente ne peuvent pas être pour cela considérés comme nomades. Il peut leur arriver (2) de changer de campement plusieurs fois par an, mais ils agissent alors comme un propriétaire qui se déplace selon les besoins de son exploitation. Ils ont souvent des terres en plusieurs endroits différents, où ils vont labourer successivement. Il en est d'ailleurs de même chez beaucoup d'indigènes qui préfèrent le gourbi: ils peuvent avoir plusieurs de ces habitations pour surveiller telle ou telle parcelle, pour mener les bêtes dans les pâturages qui leur conviennent. Dans beaucoup de villages du Maroc, la tente, la nouala et la maison sont associées en proportions variables (3). Et chez les Touareg eux-mêmes on trouve des chaumières et des maisons). On ne peut donc pas plus opposer d'une manière absolue les habitants des tentes aux habitants des gourbis que les pasteurs aux agriculteurs; il y a entre les uns et les autres des transitions et des gradations.

Il est clair que, dans ces conditions, les indigènes peuvent assez facilement substituer la maison à la tente, et c'est ce qui

(1) BOYER, notes ms.

(2) M. POUYANNE, Propriété foncière, p. 213 et 751. Cf. ibid., p. 1008.

(3) E. Doutté, Merrakech, p. 284. Archives marocaines, t. IV, p. 106. La nouala, peu répandue en Algérie, est comme on sait une cabane en brauchages, ordinairement cylindro-conique, d'aspect soudanien.

(4) Sur l'habitat chez les Touareg, v. DUVEYRIER, Touareg du Nord, p. 403. Bull. Afr. fr., 1903, Suppl., p. 214; 1904, Suppl., p. 208. Les Touareg du Nord, dit M. F. Foureau, habitent des tentes de cuir de zébu précédées d'une sorte de pelite cour formée de nattes maintenues verticales par une série de piquets, mais ce n'est là bien entendu que le logement des Touareg un peu aisés; la masse se contente souvent d'une anfractuosité de roche ou d'un tamaris un peu épais, sur les branches duquel on étale quelques loques, et voilà la maison construite, maison que l'on échange pour une autre semblable lorsque la végétation des environs a été absorbée par les troupeaux. (Documents scientifiques de la Mission saharienne, p. 843.)

paraît se produire dans certaines régions(). Au Maroc « il n'est pas rare de voir des tentes dont les pans s'arrêtent beaucoup au-dessus du sol et sont attachées à des claies de roseaux entrelacées d'épines, ce qui donne à la demeure un caractère permanent on surprend là sur le vif le passage de la vie sédentaire à la vie nomade » (2).

Les Abd-en-Nour vivaient tous sous la tente avant la conquête française (3). Ils ont d'abord construit des mechta ou des gourbis couverts en chaume pour abriter quelques laboureurs laissés auprès des cultures; puis, peu à peu, un grand nombre de familles ont renoncé à la vie nomade pour se fixer définitivement sur un point. La mechta a cessé d'être un campement d'hiver, comme le nom le ferait supposer. Les agglomérations pourraient presque être qualifiées de villages, car on y trouve quelques groupes de maisons parfaitement construites, bâties en maçonnerie de chaux et plâtre et couvertes en tuiles. Les nouvelles habitations ont ordinairement deux pièces de sept à huit mètres sur quatre ou cinq, avec un hangar pour les animaux. Elles forment un carré fermé de trois côtés. Dans la cour intérieure sont parqués les moutons et les chèvres. De petites tours rondes, de 3 mètres sur 2, sont formées par les approvisionnements d'oukid ou combustible (bouse de vache pétrie en tourteaux, séchée au soleil et enfermée avec soin dans la zeriba). Autour de chaque mechta sont les silos, les emplacements pour battre le grain et mettre la paille en meules. La conséquence de la création des mechta, qu'il vaudrait mieux nommer dechera ou villages, est la fixation graduelle des populations. Mais les indigènes ont encore leurs tentes, qu'ils dressent au printemps à côté des mechta ou sur leurs champs quand ils sont trop éloignés de l'habitation. Toute la famille. reprend alors l'existence nomade; le campement se transporte tantôt sur un point, tantôt sur un autre.

Chez les Beni-Sliman"), depuis vingt ans, un certain nombre. d'indigènes ont substitué à leurs cabanes en branchages et en torchis recouvertes de diss des maisons moins primitives faites

(1) Il y a en Tunisie 57,000 maisons et 81,000 tentes (H. PENSA, L'avenir de la Tunisie, in-8°, Paris, 1903, p. 76). Nous n'avons pas ces chiffres pour l'Algérie. (2) EDMOND DOUTTÉ, Rev. génér. des Sciences, 1903, p. 264.

(3) CH. FÉRAUD. Rec. de Constantine, 1861, p. 264.

(4) JOLY, Bull. d'Alger, 1904, p. 158.

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