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Atba; le Tidikelt est également ravitaillé en blé et en farine par un indigène des Beni-Thour. On s'est passé de l'intermédiaire des Mozabites, qui sont d'ailleurs en très petit nombre à Ouargla. Quant aux Israélites, ils ne sont que trois ou quatre, exerçant les professions de boucher ou de bijoutier et ne se livrant pas à des opérations de quelque envergure. Mais des deux Européens habitant Ouargla, l'un est le représentant d'un gros commerçant israélite du Mzab (Daoud Haïm), qui a pour ainsi dire monopolisé le ravitaillement des Compagnies du Gourara et du Touat. En 1902, on estime que Ouargla a envoyé aux oasis 70 caravanes comprenant environ 1,640 chameaux et portant 3,250 quintaux, valant 275,000 francs. Le prix du transport par chameau entre Biskra ou Gabès et les oasis est de 65 à 70 francs. Mais la différence de prix de vente laisse une marge aux bénéfices. Le sucre est acheté à Gabès 75 francs la charge de 2 quintaux et revendu aux oasis 1 fr. 20 le kilo (1). Ce commerce du sucre apporté de Gabès a pris une grande extension depuis trois ans, et comprend au moins 500 charges par an (2). Dans le commerce de Tidikelt avec le Nord, la ligne Gabès-Ouargla-Insalah tend de plus en plus à submerger la ligne Ghadamès-Insalah, et l'importance commerciale d'Ouargla en est accrue.

Un autre fait nouveau est l'établissement de commerçants à demeure dans les oasis. Au Gourara, ils ont créé un village à Timmimoun (3), à proximité de la kasba. Leur nombre s'est accru peu à peu, et on en compte maintenaint 16, dont 4 Israélites, 7 Mozabites ou Arabes agrégés du Mzab, 4 Arabes, 1 Français. En même temps, le nombre des commerçants du ksar de Timmimoum augmentait notablement : il en existe 15; mais ces derniers sont seulement des intermédiaires entre les commerçants du nouveau village et leurs compatriotes. Les commerçants de Timmimoun accusent par an un chiffre d'affaires de 300,000 francs environ; on peut fixer aux 5/8 de ce chiffre l'importance de ce trafic avec des Israélites du Mzab, 2/8 avec des Mozabites, 1/8 avec l'Oranie. De même à Adrar (4), un élément nouveau s'introduit après l'occupation: le marché fixe alimenté par des marchandises commandées au dehors par des négociants, apportées sur leur ordre par des transporteurs soldés par eux et vendues ensuite dans la région. Les compagnies alimentent ce nouveau courant et lui servent de base, mais le Touat y prend goût, et les ksouriens, dès le milieu de 1903, sont de moitié à peu près dans les achats effectués au souk. En 1903, 4,136 charges arrivent ainsi au Touat, dont 1,032 par caravanes libres, et 3,104 pour le compte de commerçants (El-Goléa 1,397, Ouargla 290, Metlili 135, Oued-Souf 12, Ghardaïa 1,170). Ces chiffres

(1) Rapp. Timmimoun.

(2) Les sucres et les thés ainsi importés sont en majorité d'origine étrangère d'après le rapport d'Ouargla n° 3, d'origine française d'après le commandant LAPERRINE.

(3) Rapp. Timmimoun.

(4) Rapp. Adrar.

représentent le nombre de charges de chameaux, variant de 180 à 200-250 kilos, composées de marchandises diverses. Les commerçants d'Adrar ne comprennent dans leurs rangs aucun Européen ; ils se divisent en trois catégories: Arabes, Mozabites, Israélites, tous originaires du Sud-Algérien, à l'exclusion du Sud-Oranais qui n'y a pas de représentant; ainsi s'explique cette anomalie que les 407 charges importées par le port d'Arzeu et la Saoura reviennent comme origine expéditrice à des Israélites de Ghardaïa, pour le compte desquels ont agi des transitaires israélites d'Arzeu, de Géryville et du Kreider. Les Arabes sont titulaires de 4 grands magasins: 3 sont originaires de Ghardaïa-Laghouat, le 4 des Souafa d'El-Oued. Les Israélites sont de Ghardaïa-El-Goléa. Enfin un seul Mozabite est installé au Touat. Aucun de ces négociants ne s'est spécialisé dans un genre particulier de commerce; tous au contraire s'ingénient à fournir dans leur ensemble aux besoins de la population tant militaire que civile. Les 3,500 charges importées pour le compte des négociants se divisent en 1,875 pour les Arabes, 1,500 pour les Israélites, 125 pour les Mozabites. Au point de vue de la nature des marchandises, on compte 230 charges de cotonnades rouges et bleues, 70 de cotonnades blanches, 1,000 de laines, 200 de peaux, 1,800 de beurre, grains, denrées alimentaires, sucre, 2,000 de farine, pâtes et grains, 200 d'épices, café, thé, 350 de produits manufacturés, bougies, allumettes, 90 d'effets d'habillement en soie, fil, 60 d'effets de laine (burnous, houlis, etc.), 2,300 moutons, 180 chameaux. L'importation de boissons diverses et d'alcool est réduite à un minimum proche de zéro par suite de l'interdiction de la vente.

Au Tidikelt (1) sont également établis des représentants de maisons d'El-Goléa et du Mzab. Les Israélites du Mzab (Daoud Haïm, Youssef ben Birès et d'autres moins importants) ont des représentants à Insalah. Ils ne paraissent cependant fournir qu'une assez faible partie du commerce, environ le quart. Le reste revient aux Mozabites. Les représentants d'Insalah sont d'ailleurs tous Arabes, sauf deux Israélites et deux Européens, un Français et un Espagnol; ces derniers, qui ne font qu'un chiffre d'affaires insignifiant, ont eu la peu brillante idée de spécialiser dans le commerce des boissons et des denrées d'alimentation pour la troupe.

En somme(2), avant notre occupation, le commerce des oasis se faisait en entier avec le Sud oranais et le Sud marocain; c'était un commerce d'échanges dont les dattes et l'orge formaient la base. Les indigènes autrefois ne se dessaisissaient de leurs dattes que contre d'autres denrées comestibles et non contre de l'argent, qui ne les aurait pas empêchés de mourir de faim (3). Aujourd'hui, le commerce s'est complètement modifié. Les Compagnies sahariennes, vivant sur le pays, y laissent la plus grande partie de leur solde; les caravanes

(1) Rapp. In-Salah.

(2) Rapp. d'ensemble du commandant militaire des oasis.

(3) X, Notes sur le bassin de la Zousfana (Bull. d'Alger, 1904, p. 5).

de l'Est viennent en plus grand nombre et vendent contre de l'argent. Mais le nombre des caravanes du Sud oranais a diminué et la consommation en dattes des Compagnies ne compense pas cette réduction.

Si la diminution du commerce avec le Sud oranais provenait uniquement de l'insécurité des routes et des avantages de la location pour les convois militaires, la diminution du transit cesserait avec les causes qui l'ont provoquée; mais il est à craindre que cette diminution ait des causes plus profondes. Les indigènes du Sud oranais, trouvant à bien vendre leurs moutons et à s'approvisionner dans le Nord de toutes espèces de denrées, arrivent à ne plus tenir aux dattes. Que faire des dattes non consommées ? Quelle culture conseiller pour remplacer les dattes? La culture des céréales, qui semble se développer au Gourara et au Touat, fournira peut-être une solution partielle de la crise (1). On songe aussi à créer un troupeau de transport qui donne au commerce du Touat l'autonomie et la mobilité qui leur font défaut (2).

La question (3) de l'équilibre commercial du Touat est loin d'être résolue. Le problème se pose toujours inquiétant, car si l'une des faces semble s'être éclairée, celle de l'apport dans la région des denrées nécessaires à l'existence des ksouriens, l'autre reste obscure, celle de l'écoulement des produits du pays et de leur transformation en argent monnayé.

La physionomie du pays a beaucoup changé. Le commerce de vente et achat contre argent (4) se substitue de plus en plus au commerce d'échange. Le commerce de caravanes disparaît devant le commerce en boutique (5) fait par des Arabes, des Juifs du Mzab et des Mozabites. Les Européens qui sont aux oasis ont le tort d'être seulement marchands de goutte; or, le Commandement a dû interdire la vente de l'absinthe et de l'anisette d'Espagne, qui grisaient les nègres et les harratin, occasionnaient des rixes et des coups de couteau. Il est regrettable qu'il n'existe pas de commerçant européen sérieux, qui pourrait faire de bonnes affaires d'une part, les Compagnies sahariennes ont besoin de pain, de viande fraîche, de farine, de vivres de toutes sortes; d'autre part, les populations demandent du filali, du thé, des ustensiles en cuivre, etc. (6)

(1) Rapp. Timmimoun.

(2) FLYE-SAINTE-MARIE (Bull. d'Oran, 1904). (3) Rapp. Adrar.

(4) Rapp. division d'Oran.

(5) Rapp. du commandant militaire.

(6) Nous mentionnons ici, pour mémoire seulement, le commerce des oasis avec le Sud, qui ne rentre pas dans notre sujet. Ce commerce doit se subdiviser en commerce avec les Touareg et commerce transsaharien. Le commerce avec les Touareg est peu considérable; il comporte l'échange de grains, d'étoffes, de dattes, contre du beurre, des moutons, des chameaux, des mehara et des objets en cuir. Il a un peu augmenté depuis les dernières reconnaissances au Hoggar et la pacification qu'elles ont amenée. Le commerce transsaharien est insignifiant du Nord viennent quelques charges de dattes

En résumé, l'occupation des oasis sahariennes a profondément modifié, comme on devait s'y attendre, les directions et les modes du commerce. Au point de vue des directions, la province d'Alger et même la voie Gabès-Ouargla tend à se substituer aux voies du Sud marocain et du Sud oranais; mais cette modification n'est peut-être pas définitive et le commerce reviendra sans doute, en partie au moins, vers la Zousfana, à mesure que la sécurité se rétablira de ce côté. Au point de vue des modes de commerce, le négociant mozabite ou israélite, du fond de sa boutique, commande maintenant les denrées au fur et à mesure de ses besoins et se substitue au commerce par caravanes. L'exportation, déjà très faible, disparaît presque par suite de l'extrême pauvreté du pays. Il n'y a plus d'esclaves, et les dattes ne trouvent plus preneur, parce qu'on ne les rapportait guère que pour ne pas revenir à vide. D'ailleurs, les dattes du bassin oriental sont meilleures et plus proches. L'occupation française a donc achevé de tuer le commerce d'exportation du Touat. Quant au commerce d'importation, il a plutôt augmenté, mais d'une manière tout à fait artificielle, par suite de l'établissement des troupes et d'un embryon d'administration, établissement qui produirait le même résultat en un point quelconque du globe, si déshérité qu'on le suppose.

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COMMERCE AVEC LES OASIS AUTRES QUE CELLES
DU SUD-OUEST

Le commerce des nomades avec les oasis du bassin oriental n'a naturellement pas subi des perturbations aussi profondes que celles qui ont été amenées dans le commerce du Sud-Ouest par l'occupation française.

et de tabac, du Sud quelques bandes de coton. Un coup mortel lui a été porté lorsque l'occupation du Niger par les Français est venu entraver le commerce des esclaves et apporter au Soudan les produits de l'Europe à meilleur compte vià Sénégal-Niger que vià Sahara. La seule chance de le voir reprendre un peu d'importance, d'après le commandant Laperrine, serait peut-être de l'aiguiller vers l'Aïr et Zinder, pour lutter au moyen du chemin de fer du Sud-Oranais contre la ligne Tripoli-Mourzouk (Rapp. du commandant militaire des oasis et Rapp. In-Salah. Cf. LAPERRINE, Bull. Afr. fr., 1905, Suppl., p. 43).

C'est jusqu'au Djebel-Amour à peu près que s'étend la zone d'attraction du bassin de l'Igharghar, auquel nous rattachons le Mzab et El-Goléa. Quelques tribus se montrent plus spécialement commerçantes et adonnées au transport des dattes: telles sont notamment les Ouled-Nayl, les Larbâ, les tribus du cercle de Biskra. Le commerce s'effectue assez fréquemment par troc: on échange du beurre, de la laine, des moutons, parfois des grains contre des dattes.

Dans l'annexe d'Aflou (1), les Ouled-Yacoud-Zerara achètent leurs dattes au Mzab, à El-Goléa et surtout à Ouargla. Les autres tribus ne dépassent pas le Mzab. Les indigènes de l'annexe ne disposant pas de moyens de transport achètent les dattes de seconde main sur le marché d'Aflou.

Les gens de l'annexe de Chellala (2) n'effectuant jamais, sauf au moment des insurrections, des déplacements considérables, se bornent à acheter leurs dattes soit aux Larbâ ou aux Ouled-Nayl qui traversent leur région pour aller estiver, soit aux Mozabites qui les font venir de Ghardaïa, d'Ouargla ou de Touggourt. Quelquefois cependant des gens de l'annexe ayant fait marché pour aller avec leurs chameaux effectuer des transports au Mzab en rapportent des dattes pour utiliser le retour de leurs animaux; mais ce n'est là qu'une exception.

Les nomades du cercle de Boghar (3) envoient très rarement des caravanes se ravitailler dans les oasis du Sud algérien. Les dattes sont importées en partie par des caravanes de Bou-Saâda et des OuledZekri (du poste des Ouled-Djellal); la plus grande part provient des achats effectués à Djelfa, Laghouat et Ghardaïa par les indigènes du cercle qui vont vendre des grains sur ces marchés ou qui s'y rendent pour le compte de négociants mozabites.

Les tribus du cercle de Djelfa (4) vont chaque année régulièrement dans l'Oued-Rir pour y acheter des dattes; leurs centres principaux sont Touggourt et Temacin. Elles vont aussi un peu à Ouargla, aux Ouled-Djellal, dans les Ziban (Biskra et Tolga) et au Mzab (Guerrara). En 1903 (5), ils se sont rendus en nombreuses caravanes à Ouargla. Ils ont apporté de la laine et du beurre, et acheté des dattes. 80 caravanes environ, comprenant 300 individus, ont vendu à Ouargla 400

(1) Rapp. Aflou n° 2.

(2) Rapp. Chellala no 2.

(3) Rapp. Boghar no 2.

(4) Rapp. Djelfa no 2.

(5) Rapp. Djelfa du 6 juin 1903.

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