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s'engageant à s'abstenir désormais de toute hostilité contre nos administrés et contre nos troupes et à ne plus donner asile à nos ennemis. A la suite de cette entente, les prisonniers furent relâchés. Ces négociations n'ont pas amené jusqu'ici la reprise des rapports commerciaux; elles ont eu du moins l'avantage d'habituer à notre contact ces gens imbus de préventions contre nous et de dissiper quelques-uns de leurs préjugés.

Négociants du Tafilelt. Aux caravanes des Beni-M'hammed se joignaient quelques négociants isolés du Tafilelt. Aucun Juif ne se rendait dans les oasis sahariennes, par suite de l'opposition mise par le grand rabbin du Tafilelt, à la suite de la conversion de quelquesuns d'entre eux à l'Islamisme.

Ghenanema de la Saoura. Sauf les Ghenanema, les habitants de la Saoura se déplacent peu; ils sont ksouriens, et comme tels, ils n'aiment pas beaucoup à voyager. Les Ghenanema se rendaient aux oasis, soit pour en piller les habitants, enlever des harratin et des esclaves, soit pour percevoir un droit de protection (la khaoua), qui se payait en nature ou en argent; moyennant ce paiement, les ksour étaient tranquilles et n'avaient rien à craindre des Ghenanema. Un autre motif les poussait à organiser tous les deux ans des caravanes à destination du Touat et du Gourara ; c'est que, les palmiers ne produisant bien qu'une année sur deux, l'année de bonne production dans la vallée supérieure de la Saoura, entre Kerzaz et Beni-Abbès, correspond justement à l'année de mauvaise production dans le Touat et inversement. Mais, en 1894, le sultan du Maroc lance sur les Ghenanema une harka qui les razzie à blanc; à partir de cette époque, les caravanes cessent presque complètement. Depuis l'occupation française, les Ghenanema trouvant un gain suffisant dans la location de leurs chameaux pour le convoi de la garnison de Beni-Abbès et dans la fourniture du bois et du drinn aux troupes, le mouvement commercial sur les oasis n'a pas repris.

En somme, par suite de l'état d'hostilité dans lequel nous vivons avec nos voisins de l'Ouest et de l'insécurité, le commerce du Touat avec le Sud-Est marocain se réduit à peu de chose. Presque exclusivement aux mains des Beni-M'hammed, il comprenait en 1903 250 charges diverses et 1,000 moutons. Il ne paraît pas avoir beaucoup augmenté depuis.

2° RELATIONS AVEC LE SUD-ORANAIS (1)

Le fait capital que tous les rapports mettent en évidence est la diminution du commerce des oasis avec le Sud-Oranais depuis l'occupation. Grâce aux efforts de l'administration, qui ne voyait pas sans

(1) Cf. S., Caravanes du Sud-Oranais au Gourara (1901-1902) (Bull. d'Alger, 1902, p. 244). Les caravanes du Sud-Oranais en 1904-1905 (Bull. d'Oran, 1905, p. 311). Les grandes caravanes du Sud-Oranais en 1904-1905 (Bull. Afr. fr., 1905, Suppl., p. 350).

inquiétude pour l'existence économique des oasis l'affaiblissement de ce courant commercial, nos tribus du Sud-Oranais ont repris la route du Gourara. En 1904, 4,500 de nos indigènes y ont amené environ 16,500 chameaux et la valeur totale de leurs importations a été évaluée à 700,000 francs. Mais ces chiffres ne semblent pas pouvoir être considérés comme une moyenne et on peut se demander si la reprise sera vraiment durable. La campagne de 1905 a été moins importante (6,700 chameaux seulement); la récolte des céréales a été mauvaise dans le Tell, et c'est d'elle, bien plus que de la récolte des dattes, que dépend la mise en route des caravanes.

A El-Aricha (1), les tribus de l'annexe, Angad et Ouled-Nehar, n'envoyaient jamais de fortes caravanes dans l'Extrême-Sud, mais réunissaient ordinairement leurs animaux à ceux des Hamyan. En 1897-98, ils envoyaient 73 chameaux au Tafilelt, et en 1898-99, 216 chameaux au Gourara. C'est au Gourara qu'ils faisaient presque toujours leurs achats, et plus spécialement dans les ksour de Metarfa, Sahela et Ouled-Rached. Cette migration a été contrariée par le travail de l'alfa, car les chameaux employés au transport de l'alfa à la fin de l'été et en automne ne se trouvaient plus en état de supporter un voyage de longue durée. D'ailleurs, le travail de l'alfa est plus rémunérateur que le voyage du Sud et cela explique que les propriétaires n'aient pas réservé leurs animaux pour la seconde de ces opérations. Enfin, depuis 1897, les tribus de l'annexe n'ont plus fait le voyage du Sud en raison de la diminution du nombre de leurs chameaux. Les dattes rapportées du Sud étaient vendues dans une forte proportion, ce fruit n'étant pas considéré comme un objet indispensable pour l'alimentation courante. Aussi la privation actuelle ne s'en fait pas sentir et on ne cherche pas à s'en procurer. Les gens à leur aise qui en usent les achètent en petites quantités dans les villes.

Les Hamyan du cercle de Mécheria (2) étaient, pendant ces vingt dernières années, les intermédiaires d'un courant d'échanges important entre le Tell et les oasis sahariennes. Ils opéraient leurs acquisitions au Touat et au Gourara. A de rares intervalles, ils poussaient jusqu'au Guir, voire même jusqu'au Tafilelt. Mais ils devaient dans ce cas s'assurer, par de larges offrandes, par un droit de passage, la protection des habitants des régions visitées. Les bénéfices considérables réalisés par les caravanes stimulaient chaque année l'ardeur commerciale de ceux qui disposaient d'une certaine aisance; et la variété toujours plus grande des marchandises importées au Touat et au Gourara indiquait un souci d'augmenter encore les sources de gain. Les principales matières ou denrées transportées étaient la laine en toisons, valant de 1 franc à 1 fr. 50 au départ et vendue 4 francs au Gourara; le fromage en kharouba valant 2 francs, vendu 5 francs; le

(1) Rapp. El-Aricha n" 1 et 2.

(2) Rapp. Mécheria no 4 bis (interprète MARCHAND) et no 2.

beurre en kilos valant 2 francs, vendu 4 francs; la graisse, valant 0 fr. 80, vendue 3 francs; le sucre, valant 1 fr. 15, vendu 2 francs; le thé, valant 6 fr. 50, vendu 18 francs; le poivre, valant 3 fr. 50, vendu 10 francs; diverses épices, parfums, verroteries, dont l'écoulement assurait un bénéfice de 200 p. 100. Ces profits étaient encore accrus par la valeur qu'atteignaient chez les indigènes du Tell, au retour, les dattes reçues en échange au Gourara.

Notre occupation des oasis sahariennes a suspendu pendant deux ans ce trafic. Les indigènes ont retiré un profit plus immédiat et plus assuré de la location de leurs chameaux pour le transport et le ravitaillement de nos colonnes. D'autre part, les nombreuses pertes de chameaux survenues dans nos opérations militaires ont déterminé une diminution notable du troupeau que possédaient les Hamyan. Aussi ont-ils montré peu d'empressement à répondre aux sollicitations de l'autorité, qui les invitait à organiser la caravane annuelle pour le Gourara. Les Hamyan ne dissimulent pas leur appréhension d'une diminution importante des profits que ce trafic leur assurait auparavant. Ils se rendent compte des modifications économiques survenues dans les oasis sahariennes depuis que nous les occupons; ils savent que les produits locaux ont acquis sur place une plus grande valeur, en raison de l'accroissement de population déterminé par notre présence; et l'installation dans les ksour du Gourara et du Touat de négociants mozabites abondamment pourvus d'objets d'échange leur fait entrevoir une concurrence et par suite une réduction des prix de vente. Les avantages ne sont plus aussi considérables, les inconvénients du voyage restent les mêmes, bien que la sécurité diminue quelque peu les risques. Il semble donc que le commerce des nomades avec l'Extrême-Sud perdra peu à peu de son importance et qu'une défaveur croissante lui est réservée.

⚫ L'occupation des oasis n'a fait d'ailleurs qu'accélérer une décadence déja commencée. La proximité des centres de colonisation et par suite la facilité, la sûreté des achats de grains ont eu pour conséquence une dépréciation de la datte. Ce fruit entrait autrefois dans l'alimentation presque au même degré que les céréales. A cet époque, le cours des grains dans le Tell était plus élevé qu'aujourd'hui. Par contre, les dattes étaient prises avantageusement en échange par les nomades du Gourara. Notre installation dans les oasis sahariennes a créé chez leurs habitants des exigences contrastant avec la facilité qu'ils montraient autrefois. Le taux des échanges s'est modifié dans le rapport de 1 à 4. La charge de dattes, que les Sahariens abandonnaient pour 10 toisons, n'est plus cédée maintenant que pour 30 ou 40. Or, cette élévation du prix des produits gourariens coïncide avec un abaissement des cours des grains. L'extension des cultures dans le Tell jusqu'à la lisière des Hauts-Plateaux, qu'elles ont même franchie, a accru la production et par suite réduit le prix d'achat. Si l'on considère que la datte n'entre plus dans l'alimentation que comme un superflu, si l'on envisage d'autre part la longueur, les fatigues du trajet à accomplir pour se procurer cette denrée, on conçoit que les Hamyan préfèrent vivre d'orge achetée de 10 à 15 francs et de blé de 25 à 30 francs

le quintal, plutôt que d'ajouter à leur nourriture des dattes valant de 30 à 40 francs les 100 kilos.

D'autre part, les oasis sahariennes ne sont plus comme autrefois des marchés d'esclaves. L'occupation du Soudan français, celle plus récente de Tombouctou, avaient déjà apporté une entrave sérieuse au commerce des captifs. Notre installation au Touat, au Gourara, au Tidikelt a fait disparaître complètement l'odieux trafic. Les caravanes venues des Hauts-Plateaux n'ont donc plus l'espoir de se procurer des nègres, si ce n'est par le moyen de rares achats clandestins. Par suite, ils ne sont plus sollicités par des avantages de nature à compenser la longueur et les fatigues du voyage qu'ils entreprenaient chaque année. Il y a donc tout lieu de croire que les caravanes des Hamyan dans l'Extrême-Sud perdront de plus en plus de leur importance. Cependant, en décembre 1901, sous la pression de l'autorité, les Hamyan avaient tenté de reprendre la route des oasis : 500 des leurs, avec 2,384 chameaux, s'étaient rendus au Gourara. Mais l'année suivante, ils ne voulurent pas participer au voyage, sous prétexte qu'ils avaient pu acheter dans le Tell assez de grains pour assurer leur subsistance et que leurs chameaux avaient besoin de se refaire. En 1903, les Hamyan s'abstinrent encore. C'était une diminution de près d'un tiers dans le trafic qui s'opérait avant la conquête et qui atteignait approximativement 300,000 francs aux importations, 600,000 francs aux exportations. Les conséquences en étaient d'autant plus fâcheuses que les ksour qui recevaient les Hamyan (Telamna, Charouïn, etc.) étaient également ceux qui avaient le plus de relations avec les tribus de l'Ouest; en outre, les Hamyan avaient la réputation de commerçants faciles, vendant volontiers à crédit : c'est par eux seulement que le Gourara se rassasiait. Aussi l'autorité militaire s'efforça-t-elle d'obtenir la reprise des convois des Hamyan; en 1904, ils se décidèrent à partir. Plus de 1,200 d'entre eux se mirent en route, emmenant 4,700 chameaux et emportant plus de 178,000 fr. de denrées diverses ou d'argent monnayé. Mais, en 1905, leur nombre diminua 700 Hamyan seulement se rendirent aux oasis, n'emmenant que 3,100 chameaux et 80,000 francs de denrées. C'est qu'ils avaient appris que les dattes se vendaient à bon compte sur l'Oued Ziz; ils voulurent en profiter, comme aussi des bonnes dispositions momentanées des Beraber. 250 d'entre eux se rendirent au Tafilelt avec 1,100 chameaux qu'ils ramenèrent chargés de dattes.

De même (1) qu'ils se rendaient périodiquement dans le Tell pour constituer leurs approvisionnements de grains, les Amour du cercle d'Aïn-Sefra allaient chaque année au Gourara ou aux Beni-Goumi pour y effectuer leurs achats de dattes. Ils partaient tous ensemble, ne formant qu'une seule caravane, et visitant tantôt le Gourara, tantôt les oasis de la Zousfana, tantôt, mais plus rarement, le Tafilelt (district d'El-Ghorfa), suivant les renseignements qui leur parvenaient sur la qualité et l'abondance des récoltes. Ils partaient à l'effectif

(1) Rapp. Ain-Sefra.

moyen de 1,000 chameaux et 300 hommes sous les ordres d'un chef désigné, se séparaient dans les oasis sahariennes pour la facilité des achats et se remettaient en route pour le retour au jour fixé par le chef de la caravane.

Les Amour continuent à faire leurs achats de dattes au Gourara et aux Beni-Goumi. En 1900, 1901 et 1902, ils n'ont point visité ces oasis parce qu'ils avaient à assurer le service des convois de nos colonnes et qu'ils se trouvaient dans la nécessité de laisser reposer leurs animaux fatigués. En 1903, dès que les Amour ont eu quelques chameaux disponibles, ils ont repris la route du Gourara et envoyé aux oasis une petite caravane de 26 hommes avec 130 chameaux. L'année suivante (1904), comme toutes les tribus des hauts plateaux oranais, ils ont fait un effort plus considérable. Leur caravane fut alors forte de 200 personnes avec 820 chameaux. Les bénéfices réalisés ont été évalués à plus de 47,000 francs. En 1905, ils sont encore partis au nombre de 150 avec plus de 600 chameaux; les bénéfices réalisés ont été estimés à près de 33,000 francs. Les Amour font également des achats de dattes dans les oasis mêmes de la région à MoghrarTahtani et Foukani, à Tiaret, à Figuig et à Fendi, mais les récoltes de ces palmeraies sont toujours insuffisantes pour leurs besoins, et s'ils se trouvent dans l'impossibilité d'entreprendre leurs voyages vers le Sud, ils complètent leurs approvisionnements par des achats faits à Aïn-Sefra, aux caravanes venues du Tafilelt.

Les nomades de l'annexe de Saïda (1) se groupaient et envoyaient des caravanes dans les oasis sahariennes pour échanger les produits de leurs troupeaux et des grains contre des dattes. Avant de se mettre en route, ils cherchaient à connaître la région où la récolte avait été la plus abondante. D'une manière générale, les oasis les plus visitées étaient celles de Tamentit, Timmimoum, Ouled-Saïd et Debdoul. Les indigènes des Hassasna ne se rendaient pas au Gourara en caravanes, parce qu'ils ne possédaient pas de chameaux; ils chargeaient les Rezaïna de leur acheter des dattes et d'opérer toutes transactions pour leur compte.

L'occupation par la France des régions du Gourara, de l'Aouguerout, du Touat et du Tidikelt a complètement modifié la situation économique de ces pays et la nature des transactions. Elle a même fait disparaitre aux yeux des indigènes l'attrait que pouvait présenter pour eux la perspective d'un voyage dans ces pays qui échappaient à notre domination et où ils arrivaient en sauveurs et en maîtres. Les dattes, par suite d'une récolte moins abondante, a-t-on dit, mais aussi à cause de la consommation qu'en font les garnisons, ont augmenté de valeur, c'est certain; mais il est nécessaire d'ajouter que les ksouriens ont pu en vendre sur place contre argent monnayé, ce qui les a dégagés de l'obligation où ils étaient autrefois de se munir de

(1) Rapp. Saïda no 1 et 2. L'annexe de Saïda est aujourd'hui (1906) rattachée au territoire civil. V. ci-dessus, p. 78, note 1.

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