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bergers, les achats de grains, lorsqu'ils sont nécessaires, sont faits par quelques indigènes, mandataires de leur famille ou de leur fraction. Les procédés de commerce que, dans une insécurité analogue, a connu notre Moyen-Age, grandes foires, caravanes de marchands armés, font place à des usages plus modernes. Comme le dit très justement le rapport de Marnia, le marché hebdomadaire a remplacé la foire annuelle. Quant au chemin de fer, les chameaux lui font encore une concurrence heureuse, surtout dans la province de Constantine; mais les Hamyan commencent à s'en servir pour les transports de grains; des modifications dans les tarifs, le matériel et les procédés d'exploitation, qui en feraient un outil mieux approprié aux populations à desservir, quelques prolongements de lignes (Ras-el-Ma, Berrouaghia, Aïn-Beïda), lui permettraient de rendre plus de services; 4o Enfin, toujours en raison de la sécurité, le commerce suit ses voies normales et naturelles, et les extraordinaires détournements de trafic que l'état de guerre cause par exemple au Maroc ne se produisent plus en Algérie, chacun allant désor mais faire ses achats là où il a avantage à se rendre.

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Les relations commerciales des nomades des steppes avec le Sahara sont sujettes à se modifier plus encore que leurs relations avec le Tell. Les relations avec le Tell reposent en effet sur des nécessités dont il n'est guère possible de s'affranchir ; il est « la mère » du nomade, c'est lui qui le nourrit, lui fournissant le grain qu'il ne produit pas en quantité suffisante, achetant les moutons et les laines. Les échanges avec le Sahara n'ont pas le même caractère. Que produit en effet le Sahara ? Rien, sauf la datte. Or, si la datte est un excellent aliment, riche en sucre et très nourrissant, elle n'est nullement indispensable au même degré que la farine et la viande. Comme c'est le seul objet d'échange que le Sahara puisse offrir à l'habitant des steppes, celui-ci pourra s'en passer ou le recevoir de seconde main, et ne se rendra dans les oasis pour y commercer que s'il peut y vendre les produits du Tell et des steppes à des prix assez

rémunérateurs pour compenser la longueur et les inconvénients du voyage. Enfin il faut tenir compte de la cessation du commerce des esclaves et de la disparition presque complète des relations avec le Soudan. Mais si les nomades n'ont pas besoin des ksouriens, les oasis autrefois ne pouvaient se passer des nomades. Par suite de l'absence de moyens de transport et par leur caractère même, les ksouriens, ceux du Touat surtout, étaient emprisonnés dans leur pays comme une araignée dans sa toile(). Ils étaient donc essentiellement tributaires de leurs voisins au point de vue commercial.

Les oasis du Sahara algérien se répartissent comme on sait en deux groupes : le bassin de la Saoura (Gourara, Touat, Tidikelt) en pente du nord au sud et le bassin de l'Igharghar (Ouargla, Oued-Rir, Biskra) en pente du sud au nord. Comme d'autre part l'occupation des oasis et les événements dont la région voisine du Maroc a été le théâtre dans ces dernières années ont modifié profondément le commerce du Sud, nous étudierons séparément les relations des nomades avec les oasis du Sud-Ouest (le Touat lato sensu) et avec celles, de l'Est, auxquelles nous joindrons les oasis du Mzab et d'El-Goléa, situées sur l'isthme intermédiaire.

Conformément à la méthode précédemment suivie, nous laisserons parler les rapports des officiers des affaires indigènes; les conclusions se dégageront d'elles-mêmes.

A.

COMMERCE AVEC LES OASIS DU SUD-OUEST

Nous distinguerons les relations des oasis avec le Sud-Est marocain, avec le Sud-Oranais et avec le sud de la province d'Alger.

10 RELATIONS AVEC LE SUD-EST MAROCAIN

Avant l'occupation française (2), les fractions qui commerçaient avec les oasis sahariennes étaient les Douï-Menia et les Ouled-Djerir,

(1) Capitaine FLYE-SAINTE-MARIE, Le commerce et l'agriculture au Touat (Bull. d'Oran, 1904, p. 4 du t. à p.).

(2) Rapp. Timmimoun, Beni-Abbès et Adrar. Cf. FLYE-SAINTE-MARIE, Le commerce et l'agriculture au Touat (Bull. d'Oran, 1904). NIEGER, Le Touat (Bull. Afr. fr., 1904, Suppl., p. 170 et 195).

les Beraber Aït-Khebbach, les Beni-M'hammed habitant l'Es-Sifa (district du Tafilelt), quelques rares négociants du Tafilelt, enfin les Ghenanema de l'Oued-Saoura. On empruntait la plupart du temps la vallée de la Saoura, exceptionnellement les deux autres routes longeant l'une la lisière est, l'autre la lisière ouest de l'Erg-er-Raoui. On apportait aux oasis de l'orge, du blé, des chameaux, des moutons, de la laine, du beurre, du fromage sec, de la viande séchée au soleil, enfin quelques cotonnades, du sucre, du café, achetés à Figuig ou au Tafilelt, ces dernières marchandises provenant surtout de Fès ou de Merrakech. Les transactions se faisaient presque exclusivement par échange direct des denrées importées contre des dattes, des esclaves, un peu de beurre et de tabac. Le trafic était en entier aux mains des consommateurs eux-mêmes, l'intermédiaire n'existant pour ainsi dire

pas.

Douï-Menia et Ouled-Djerir(1).

Pendant les cinq ou six années qui précédèrent l'année 1897, une sécheresse persistante se fit sentir au Tafilelt; pas une seule fois l'Oued-Ziz ne se remplit; dès lors, aucune infiltration ne se produisant, l'eau des puits devint rare, et les palmiers ne pouvant être que très difficilement arrosés, leur production alla s'affaiblissant; les dattes se vendirent à un prix élevé (2). Alors les Douï-Menia, avec leurs alliés les Ouled-Djerir, organisèrent des caravanes qui, empruntant la vallée de l'Oued-Saoura, se rendaient au Touat où ces fruits, par suite de leur abondance, étaient à très bas prix. Une charge d'orge s'échangeait couramment contre neuf ou dix charges de dattes. Ces caravanes étaient très fortes, elles se fractionnaient en sept groupes (un groupe par tribu) qui défilaient à un jour d'intervalle à Beni-Abbès. Elles transportaient au Touat de vieux effets, de la laine, des grains, de la viande séchée au soleil, du fromage, du sucre, du café et du thé, ces dernières denrées achetées à Figuig; elles y emmenaient aussi des moutons et des chameaux. Elles en rapportaient de l'argent et des dattes; celles-ci ne servaient pas seulement à leur nourriture, elles étaient également vendues aux Beni-Guil, aux Hamyan et aux habitants de Figuig. Vers 1897-98, la situation change. Les Douï-Menia se brouillent avec les Beni-Guil, qui, dans un combat livré sur l'Oued-Gherassa (affluent de l'Oued-bou-Dib), leur tuent 150 hommes. Dès lors, à quoi bon se procurer tant de dattes, puisqu'ils ne peuvent plus en faire le commerce avec leurs voisins du Nord? D'autre part, l'Oued-Ziz se met à couler, les palmiers bien arrosés produisent suffisamment pour la consommation des Douï-Menia et des Ouled-Djerir. Aussi le commerce avec les oasis sahariennes se ralentit; on ne voit plus que quelques caravanes s'y rendre afin de se procurer l'argent nécessaire aux achats au Tafilelt, les habitants de ce pays acceptant diffici

(1) Sur le commerce des Ouled-Djerir, voir aussi Bull. Afr. fr., 1904, Suppl., p. 280.

(2) Les marchés du Tafilelt sont d'ailleurs quelquefois fermés aux OuledDjerir et aux Douï-Menia par les Beraber,

lement d'échanger leurs dattes contre des animaux ou des produits du sol. En temps normal, les Filala ont suffisamment de dattes pour leur consommation et dès lors ils cherchent à se procurer l'argent nécessaire pour les achats des produits venant de Fès, de Merrakech ou de Figuig.

Le commerce du Gourara avec le Sud-Est marocain comprenait autrefois une caravane annuelle des Ouled-Djerir, 4 à 500 chameaux environ, important du blé, de l'orge, de la laine, des moutons, et visitant le Deldoul, l'Aouguerout, les Deramcha et le Tsabit, et une caravane annuelle des Douï-Menia qui a atteint 2 à 3,000 chameaux, chargés comme les précédents et atterrissant spécialement au Tsabit.

En 1900-1901, il y a un arrêt complet dans le commerce des oasis, qui sépare nettement deux périodes. Lors de l'occupation d'Igli, les Douï-Menia prennent nettement parti contre nous et attaquent nos convois. Dès lors, craignant des représailles, ils cessent toutes relations commerciales avec les oasis. Malgré les assurances formelles que nous ne leur tiendrions pas rigueur de leurs attaques, nous ne réussissons à les attirer dans la Saoura que vers le milieu de 1902; ils commencent alors à apporter de l'orge, qu'ils vendent à des prix avantageux (18 à 25 francs le quintal). Trouvant un débouché suffisant pour leurs produits, et rencontrant à acheter sur place les dattes nécessaires à leur consommation (en 1902, la production de ces fruits a été très abondante dans la Saoura), les Douï-Menia, sauf de très rares exceptions, ne se rendent pas dans les oasis; quelques permis de circulation sont délivrés pour aller vendre au Touat quelques centaines de moutons. En 1903, l'eau fait complètement défaut dans le Guir qui ne se remplit pas; dès lors, les Douï-Menia ne font pas de cultures dans la vallée. D'autre part, le Ziz lui-même coule assez peu; la récolte de céréales, si abondante en 1902, est ordinaire en 1903. Aussi peu de caravanes viennent dans la Saoura. Des permis de circulation sont délivrés à 200 hommes environ des Douï-Menia nonralliés conduisant 500 chameaux pour aller vendre des moutons, de la laine, des chameaux, de la viande boucanée, du fromage au Touat. En août 1903 se produit contre le poste de Taghit une attaque à laquelle prennent part un grand nombre de Douï-Menia; la crainte des représailles les empêche de reparaître cette année-là sur le territoire de l'annexe et du côté des oasis. Depuis lors, la situation est restée à peu de chose près la même. Les Douï - Menia ralliés, propriétaires de jardins aux Beni-Goumi, trouvent à y constituer leur approvisionnement de dattes. Ils le complètent ensuite, si cela est nécessaire, au Tafilelt, soit directement, soit par l'intermédiaire des non-ralliés. C'est de même aux Tafilelt que les Ouled-Djerir, ralliés ou non, s'approvisionnent. Mais, depuis 1903, la grande modification. qui s'est produite dans cette région, paraît être le développement du marché de Beni-Ounif(1),

(1) Bull. Afr. fr., 1905, Suppl., p. 228.

Beraber.

Avant l'occupation de la Saoura par les Français, les Beraber Aït-Khebbach venaient au pâturage jusqu'à une vingtaine de kilomètres à l'ouest de l'Oued-Saoura. Ils organisaient des caravanes qui, partant de leurs campements, gagnaient le Touat par la vallée de la Saoura. Ils emportaient des cotonnades, étoffes, filali achetés au Tafilelt, des moutons, de la laine, des chameaux, et rapportaient en échange des dattes et de l'argent. Ce commerce ne se ralentit pas sensiblement jusqu'à l'occupation de l'oasis par les Français. Dès notre apparition, les Beraber Aït-Khebbach prennent parti contre nous; ils nous combattent à Sahela-Metarfa en aoûtseptembre 1900, attaquent le poste de Timmimoun le 18 février 1901, nous livrent combat à Charouïn (fin février 1901) et El-Hassira (3 mars). C'est encore aux Beraber-Aït-Khebbach qu'il faut imputer l'attaque d'Hassi-Rzell (16 juillet 1903), dans la Saoura, dirigée contre un détachement de la compagnie saharienne du Touat. Malgré nos invitations, où ils voient sans doute des embûches, ils s'abstiennent de commercer avec nous.

Beni-M'hammed. - Les Beni-M'hammed sont sédentaires ; ils habitent des ksour dans le district d'Es-Sifa (Tafilelt). C'étaient les véritables négociants, transportant les marchandises de toute nature provenant du Tafilelt, de Fès, de Merrakech, à l'exclusion presque complète de la laine, du beurre, des moutons, etc. En échange, ils recevaient l'argent nécessaire à leur commerce. Eux aussi se sont livrés à des actes d'hostilité contre nous; ils sont d'ailleurs les alliés des Aït-Khebbach au même titre que les Ouled-Djerir le sont des Douï-Menia. Mais soit qu'ils fussent plus confiants, soit qu'ils eussent besoin d'aller commercer au Touat ou recouvrer des créances (1), ils y dirigent, dès le début de 1902, quelques caravanes. Bientôt, des commerçants Beni-M'hammed s'installent à demeure dans les ksour du Timmi, pour y débiter leurs produits. C'est l'ouverture de l'ère nouvelle, car de nombreux mercantis, négociants mozabites, arabes et israélites viennent s'installer à Adrar et y ouvrir boutique. Leur vente, restreinte au début à l'élément militaire, va peu à peu s'étendre aux Touatiens et créer le courant qui, en 1903, tend à se substituer à l'ancien ordre de choses. Mais en juillet 1903, les hostilités ouvertes l'ont arrêté. Un instant, en 1904, on avait espéré une reprise des opérations commerciales des oasis avec les Beni-M'hammed et par eux avec les Aït-Khebbach. En effet, au moment où l'attaque d'HassiRzell s'était produite, une caravane des Beni-M'hammed venait d'arriver au Touat. Convaincus de connivence avec nos agresseurs, les indigènes qui la composaient avaient été arrêtés et internés dans le Sud algérien. La djemaå des Beni-M'hammed, dès qu'elle connut cette mesure de répression, s'empressa de réclamer la grâce des prisonniers, protestant de leur innocence. Des pourparlers s'engagèrent alors, à la suite desquels un miad des Beni-M'hammed et des Aït-Kebbach se rendit à Beni-Abbès pour y demander la paix,

(1) Bull. d'Oran, 1905, p. 346.

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