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étaient nécessaires, sauf dans certaines années de disettes... La récolte des grains excédant les réserves de l'année peut même leur donner du profit et une augmentation de bien-être... Les Ouled-SidiCheikh de Géryville et les Hamyan viennent chaque année faire des achats de grains dans le cercle; suivant leurs besoins et le rendement des récoltes de la région, ils viennent par caravanes de 30, 50, quelquefois 100 chameaux; leurs approvisionnements terminés, ils regagnent leurs campements respectifs. Les achats se font au moyen d'espèces, et il n'y a pas échange de marchandises, ces caravanes n'apportant rien pour la vente. Marnia étant devenu le centre d'un marché important, où les transactions de toutes sortes sont faciles, l'indigène peut faire ses ventes et ses approvisionnements toutes les semaines. Le marché hebdomadaire a remplacé la foire annuelle, le commerce est de tout temps au lieu d'être limité à une époque déterminée.

Dans l'annexe d'El-Aricha (1), les Angad achètent leurs grains chez les Ouled-Abdelli et dans toute la région de Marnia. Ils ne vont plus comme autrefois chez les Ouled-Zair d'Aïn-Temouchent. Les Ouleden-Nehar vont comme toujours chez les Beni-Smiel, les Ouled-Mimoun, les Ouled-Riah et dans toute la région comprise entre Tlemcen et Oudjda en passant par Marnia. Lorsque la tranquillité régnait dans les tribus marocaines, ils allaient s'approvisionner chez les Angad, les Beni-Snassen, les Zekkara; les troubles de ces dernières années ont arrêté ce courant.

A Mécheria (2), on insiste sur les effets qu'a produit le rapprochement des centres européens. Le développement acquis depuis une dizaine d'années par les centres de colonisation installés à la limite des Hauts-Plateaux, l'établissement de la voie ferrée jusqu'à AïnSefra ont eu pour conséquence une diminution du nombre des caravanes que les nomades organisaient en vue de l'achat des grains dans le Tell. Avant 1880, les Hamyan effectuaient leurs achats de blé et d'orge dans les principales régions de production des céréales: les plaines de Tlemcen (Ouled-Mimoun), de Sidi-bel-Abbès, de la Mleta, d'Eghris. Lorsqu'une récolte abondante était signalée dans l'Est, ils atteignaient parfois Ammi-Moussa, Teniet-el-Had, Boghar même et certains points de la vallée du Chélif. Les centres d'acquisition variaient en raison des cours. Une région où la récolte avait été abondante était visitée de préférence. A de rares intervalles, on poussait jusqu'à Oudjda; les grains y étaient achetés à bas prix, mais l'insécurité constante sur le territoire marocain, les droits de passage ou de protection qu'il fallait payer rendaient de ce côté les transactions moins avantageuses. La confédération était plus groupée à cette époque que de nos jours; ses éléments n'avaient pas encore été péné

(1) Rapp. El-Aricha n° 2.
(2) Rapp. Mécheria no 1 et 2.

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trés par cet esprit d'individualisme dont on constate actuellement la manifestation; la sécurité était moins assise aussi dans la région comprise entre le Tell et les Hauts-Plateaux. C'était donc l'époque des grandes caravanes; 5 à 600 chameaux réunis constituaient un convoi de grains. Une centaine d'individus escortaient chacun de ces groupes. Ces voyages vers le Nord procuraient d'abondants profits aux Hamyan. Les dattes qu'ils rapportaient du Gourara pendant l'hiver, dans des conditions exceptionnellement favorables, étaient très recherchées par les indigènes telliens et payées très cher. Les bénéfices réalisés sur la récolte de ces fruits diminuaient sensiblement le prix de revient des grains.

Depuis 1880, les itinéraires suivis par les caravanes des Hamyan vers le Tell ont peu varié ; leur étendue a pourtant diminué. Le développement de la colonisation dans la zone comprise entre le littoral et la chaîne limitant le Tell a eu pour conséquence la création de nouveaux marchés plus proches des Hauts-Plateaux. L'extension toujours croissante donnée à la culture des céréales en a réduit le prix, et actuellement les indigènes peuvent sans grands déplacements se procurer du blé et de l'orge à Saïda, à l'Oued-Taria, à Perrégaux, à Lamoricière, etc. La force de l'habitude, le souci d'effectuer leurs achats dans les meilleures conditions possibles les poussent à fréquenter encore les régions plus éloignées d'Eghris (Mascara), de la Mleta, de Tlemcen. Cependant ils ont peu à peu déserté Tlemcen (1). L'extension de la sécurité résultant de la présence de l'autorité française jusqu'au Sahara facilite la mise en route de caravanes partielles. Aussi de nos jours les indigènes s'acheminent vers le Tell par petits groupes, poussant devant eux de 20 à 50 chameaux. Les plus aisés manifestent une préférence naissante pour les transports par voie ferrée. Les tarifs sur nos chemins de fer algériens sont pourtant encore assez élevés et parfois plus coûteux que les transports à dos de chameau. De Saïda à Mécheria, la tonne de grains par wagon complet de 5,000 kilos (tarif spécial n° 6) paie 20 fr. 02 et 30 fr. 62 au tarif général; de Tlemcen à Ras-el-Ma, les prix sont de 19 fr. 83 les 1,000 kilos au tarif général, 13 fr. 28 au tarif spécial. De ces deux marchés, Tlemcen et Saïda, les plus rapprochés de Mécheria, les indigènes ont avantage à utiliser le chemin de fer; leur

(1) En 1894, le Conseil municipal de Tlemcen prit une délibération demandant le rattachement à la subdivision de Tlemcen de la tribu des Hamyan, incorporée depuis 1885 à la subdivision de Mascara et faisant partie de l'annexe de Mécheria. En transmettant cette délibération, le sous-préfet de Tlemcen faisait remarquer que la disjonction de cette tribu avait occasionné des pertes sensibles non seulement à la région de Tlemcen, mais à celle de Sebdou que ces indigènes traversaient pour se rendre sur le marché de Tlemcen, y écouler leurs produits et y faire leurs acquisitions. M. Cambon répondit en invoquant les raisons de politique générale pour lesquelles il n'était pas possible de revenir sur la décision prise. «Les populations, ajoutait-il, restent libres de fréquenter le marché qui leur convient; il est probable que si Tlemcen était reliée aux Hauts-Plateaux par une voie ferrée, la situation se modifierait d'elle-même. »

tendance à donner plus de développement à l'élevage du mouton les amène à diminuer le nombre de leurs chameaux ; ils apprécient d'ailleurs la sûreté et la rapidité des transports par voie ferrée.

Avant 1881 (1), c'est-à-dire avant l'occupation permanente et définitive par nos troupes de la région de Mécheria et d'Aïn-Sefra, les Amour se trouvaient dans l'obligation de constituer chaque année de grosses caravanes pour aller chercher dans la région tellienne les grains nécessaires à leur subsistance. Etant donné la longueur et le peu de sécurité des routes qu'ils étaient ainsi appelés à parcourir, les nomades se.concertaient d'avance sur le choix de la région où ils devaient faire leurs achats, et toutes les tribus de la confédération se mettaient en route en ne constituant qu'une seule caravane avec un chef désigné. Jusque vers 1860, cette caravane, forte de 5 à 600 chameaux et de 3 à 400 fantassins, à laquelle parfois s'adjoignait celle des Ouled-Sidi-Cheikh, allait s'approvisionner de préférence dans la région de Fès, où s'était établie une colonie d'Amour, et où pouvaient s'effectuer les achats dans des conditions bien plus avantageuses que partout ailleurs. Les Amour cessèrent toutefois peu à peu de se rendre régulièrement chez leurs frères de l'Ouest, l'insécurité du pays entre Aïn-Sefra et Fès augmentant les difficultés d'une route longue et pénible et, à partir de 1860, ils conduisirent presque exclusivement leur caravane dans le Tell de la province d'Oran et dans la région d'Oudjda, que du reste ils visitaient déjà avant cette époque, mais d'une façon irrégulière. Lorsque les relations qu'ils entretenaient avec les Hamyan permettaient aux Amour de traverser le pays de leurs redoutables voisins, ils allaient effectuer leurs achats à Tlemcen, à Sidi-bel-Abbès, chez les Djaffra et à Sebdou. En réalité, ils se rendaient ensemble dans le Tell, se disséminaient pour faire leurs achats et se rassemblaient à un point et à une date déterminée pour le retour. Lorsqu'au contraire ces relations de bon voisinage avec les Hamyan étaient troublées, et c'était le cas le plus fréquent, les Amour, passant par Oglat-es-Sedra et Ras-el-Aïn des Beni-Mathar, se rendaient à Oudjda pour constituer leurs approvisionnements. Leur absence durait une quarantaine de jours; et leurs dangereux et pénibles voyages ne s'effectuaient pas toujours sans incidents. La forte organisation que nous avons donnée à la région des Hauts-Plateaux et au sud de la province d'Oran, les moyens de communication que nous avons créés ont entièrement modifié les coutumes des nomades, qui, trouvant actuellement et en tout temps sur le marché d'Aïn-Sefra les grains venant du Tell, n'éprouvent pas la nécessité de faire ailleurs leurs achats. Toutefois, de petites caravanes, principalement composées de Souala, se rendent encore à Tlemcen et Bedeau pour s'y approvisionner et surtout pour y vendre leurs moutons, leur laine et leur beurre.

(1) Rapp. Ain-Sefra no 2.

Dans l'annexe de Saïda (1), les Rezaïna et les Hassasna s'approvisionnaient autrefois de grains à Taria et à Mascara, les autres tribus à Tlemcen et à Sidi-bel-Abbès. Actuellement, les indigènes cultivent sur les territoires qu'ils occupent et achètent des grains sur les marchés du Tell lorsque leur récolte est insuffisante. Ils visitent de préférence les points cités plus haut.

Dans le cercle de Géryville (2), on n'observe pas de modification bien sensible. Les Trafi font leurs achats de céréales à Tiaret, Saïda, Frenda, Teniet-el-Had, Relizane; les Ouled-Sidi-Cheikh fréquentent surtout Tiaret et Frenda, quelque peu Zemmora et Ammi-Moussa ; les Laghouat du Ksel et les Ahl-Ouïakel vont aussi surtout à Tiaret, Frenda et Relizane.

Au moment de la fondation du poste de Tiaret (3) (1843), les récoltes en céréales des Harrar et des Ouled-Khelif étaient très faibles, et ils étaient obligés de compléter leurs approvisionnements en procédant à des achats dans la région tellienne. Ces achats s'effectuaient dans les communes ou districts de Mascara, Frenda, Zemmora, Ammi-Moussa, Renault, Ouarsenis et Teniet-el-Had. Quelques années plus tard, les indigènes du cercle reconnurent qu'ils avaient tout intérêt à étendre leurs cultures, de sorte que vers 1860 ils faisaient à peu près face à leurs besoins. Ce développement progressif continuant à s'accentuer, ils n'étaient plus obligés en 1880 de s'approvisionner dans d'autres régions. Bien au contraire, ils pouvaient, leur subsistance assurée, vendre une partie de leurs grains.

Dans l'annexe d'Aflou (4), les Ouled-Yacoub-Zerara, seuls nomades de la circonscription ne possédant pas de terres de culture, allaient acheter leurs grains à Zemmora, Ammi-Moussa, Tiaret, Teniet-elHad et Chellala. Les autres tribus se bornaient à acheter l'orge et le blé nécessaires pour parer à l'insuffisance des récoltes effectuées par elles; elles faisaient ces achats à Tiaret, Teniet-el-Had et Chellala. Actuellement, le marché d'Aflou a pris une réelle importance et de nombreux indigènes venant des régions avoisinantes y apportent chaque année de grandes quantités de grains; c'est le cas notamment pour les Harrar, les Sahari (Tiaret) et les Meggane (Chellala). Grâce à ce mouvement d'importation, les indigènes de l'annexe ne possédant pas de chameaux peuvent s'approvisionner sur place. Mais ceux d'entre eux qui disposent de moyens de transport continuent comme par le passé à se rendre dans les centres indigènes ci-dessus, ce qui leur permet d'effectuer leurs achats à des prix plus avantageux et d'éviter les frais supplémentaires résultant du transport des grains entre la région tellienne et le Djebel-Amour.

(1) Rapp. Saïda no 2.

(2) Rapp. Géryville no 2.

(3) Rapp. Tiaret n° 1.

(4) Rapp. Aflou no 2.

Il est incontestable (1) que les habitants des Hauts-Plateaux, comme ceux du Sud, possèdent un sol incapable de subvenir à leur consommation. Par suite, l'indigène reste dans ces régions le client et le tributaire de l'habitant du Tell. Il faudra absolument qu'il vienne s'approvisionner auprès de lui. En revanche, il amènera ses nombreux moutons, dont il a un fort excédent, et qui lui procurent le plus clair des ressources lui permettant de fournir à ce ravitaillement. Que la production du sol devienne égale ou supérieure aux besoins, c'est un ralentissement dans le commerce des marchés où viennent se ravitailler les nomades, et les producteurs doivent se préoccuper de chercher ailleurs des débouchés. Nous ne croyons pas que cette hypothèse puisse être envisagée de sitôt en raison du peu de garanties qu'offrent les Hauts-Plateaux pour les récoltes... Etant donné l'inconvénient des labours pour l'élevage, il vaut mieux, semble-t-il, encourager les échanges d'ailleurs n'en est-il pas ainsi dans toutes les nations européennes? Le producteur et le consommateur n'ont qu'à y gagner.

La facilité plus grande des communications, l'extension donnée au commerce, la création de marchés et de centres nouveaux permettent aux indigènes de s'approvisionner souvent dans des endroits où jadis on n'eût trouvé aucune ressource. Mais cependant les centres d'approvisionnement sont restés à peu de chose près les mêmes; le marché de Chellala, très important et très suivi, est surtout un lieu de transactions de moutons, et les gros arrivages de grains y sont rares; il en est de même pour les dattes. On remarque cependant une légère augmentation de ces produits depuis quelques années. La récolte des céréales ne suffit à la consommation de la population que dans les années très bonnes, exceptionnelles. Trois points, situés à peu près à égale distance de Chellala, 110 kilomètres environ, sont visités de préférence par les indigènes; ces points sont : Teniet-elHad (Meggane, Zenakha-el-Gourt, Chellala), Tiaret (Ouled-Ahmed, Zenakha-el-Gourt) et Boghari (Chellala, Ouled-Sidi-Aïssa-el-Ouerq, Ouled-Sidi-Aïssa-Souagui, Zenakha-el-Gourt). Ajoutons le centre de Vialar, dont le marché important est très suivi par nos gens. Parfois ils ne craignent pas de se rendre jusqu'à Sétif et Khenchela, s'ils apprennent que les grains sont à bas prix sur ces marchés et moins cher que dans les villes voisines.

Dans le cercle de Boghar(2), les tribus trouvent à s'approvisionner sur place en céréales; elles achètent des grains sur les marchés de Boghari et Berrouaghia.

Dans le cercle de Djelfa (3), on fait remarquer que les voyages des indigènes pour acheter des grains ou des dattes ne peuvent être confondus avec les véritables migrations pastorales. Ils sont exécutés

(1) Rapp. Chellala no 1 et 2.

(2) Rapp. Boghar no 2.

(3) Rapp. Djelfa no 2.

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