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CHAPITRE VII

LE COMMERCE

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I. Commerce des nomades avec le Tell. II. Commerce des nomades avec le Sahara. A). Commerce avec les oasis du Sud-Ouest; leurs relations avec le Sud-Est marocain, avec le Sud oranais, avec le Sud de la province d'Alger. B). Commerce avec les oasis autres que celles du Sud-Ouest.

Nous avons vu les nomades dans leur rôle de pasteurs et dans leur rôle accessoire d'agriculteurs. Il reste à voir leur rôle de commerçants.

Le nomade est un grand commerçant(). Il brasse du Nord au Sud et du Sud au Nord les produits algériens. Ces populations, dans leurs oscillations, deviennent, selon l'expression de Pascal, de véritables chemins qui marchent. Dans le mouvement d'oscillation qui chaque année les ramène vers le Nord, ils échangent les laines et les dattes contre l'orge et le blé, vendent du musc, du henné, des tissus, des tapis. Comme ils doivent faire leurs provisions de céréales pour toute l'année, ils dirigent vers le Sud des convois qui vont déposer les grains dans les ksour et les oasis, tandis que d'autres convois viennent porter les dates jusque sur le littoral, ou bien sont loués aux négociants européens et indigènes pour le transport des céréales.

Les déplacements commerciaux des nomades ne sont pas rigoureusement distincts des migrations pastorales; ils leur sont au contraire étroitement unis. Cependant il y a avantage à les étudier à part, parce que les premiers peuvent être modifiés et se modifient en fait beaucoup plus facilement que les seconds.

(1) VILLOT, p. 379-380.

Tout changement qui vient à se produire dans la situation politique, dans l'état social, dans les voies de communication retentit sur les courants commerciaux beaucoup plus vite qu'il n'affecte les habitudes de la transhumance. Les perturbations occasionnées parmi les indigènes par les soulèvements qui ont suivi la guerre franco-allemande en 1871, les événements insurrectionnels survenus en 1881 dans le sud de la province d'Oran, l'occupation du Touat en 1900, les remaniements des circonscriptions administratives, les progrès de la culture, la création de centres européens ou de villages de colonisation, l'avancement des voies ferrées ont été autant de causes de modifications dans les modes d'approvisionnement des nomades et le choix des centres où ils s'approvisionnent.

Les nomades vendent leurs troupeaux, leurs laines et d'une manière générale les produits de l'élevage. Ils achètent des grains et des objets manufacturés du côté du Tell, des dattes du côté du Sahara; de même, en Haute-Asie, les peuples pasteurs, Tartares, Thibétains, Mongols, vendent aux Chinois les produits de leurs troupeaux et leur achètent du thé et du millet (1). Etudions donc successivement le commerce des nomades avec le Tell et leur commerce avec le Sahara.

A l'époque turque, comme nous l'avons dit (2), les nomades payaient un droit appelé eussa pour accéder aux marchés du Tell. Ils venaient parfois jusque dans la vallée du Chélif, où le beylik leur permettait, moyennant un droit considérable, de venir cultiver des céréales sur des terrains lui appartenant (3). Ils vendaient des esclaves, des tapis, des haïks. Dans le Tell, le nomade échangeait une mesure de dattes contre trois mesures d'orge ou une mesure et demie de blé; dans le Sahara, une mesure d'orge ou une demi-mesure de blé contre trois mesures de dattes.

(1) HAHN, p. 152.

(2) P. 27.

(3) WALSIN ESTERHAZY, La domination turque dans l'ancienne Régence d'Alger, in-8°, Paris, 1840, p. 252.

Les nomades qui estivaient chez les Abd-en-Nour se réunissaient avant leur départ soit à Drâ-Tobal, soit à Ouldjet-MerabetSliman, et ouvraient un grand marché pour échanger les dattes et les vêtements de laine contre les grains; en même temps, ils payaient leurs impôts(). Les habitants des villes du Tell gagnaient beaucoup à ces échanges, et c'était un proverbe chez les marchands 3o dire: « Je gagnerai si les Arabes du Sud descendent ». On dit encore la même chose aujourd'hui à Tiaret et à Teniet-elHad:

Les migrations (2) amènent un afflux intense de vie commerciale dans les régions où elles s'exercent, et il est indiscutable que c'est pendant l'estivage que s'effectuent là les transactions les plus actives. Les nomades arrivent avec leurs moutons et leur laine. Ils apportent aussi de l'argent monnayé, et, suivant un usage constant, une bonne part de cet argent est prêtée aux indigènes du pays pour payer leurs moissonneurs. La somme est rendue sans intérêts, et généralement en grains, dont les Larbà s'approvisionnent en grande quantité, tant pour leur nourriture que pour leurs transactions à Laghouat et dans les ksour. Grâce à ces achats et échanges toujours très importants, les céréales du pays s'écoulent chaque année avec une sérieuse majoration sur le cours ordinaire, ce qui permet aux producteurs, tant européens qu'indigènes, de réaliser un bénéfice qu'ils escomptent et qui leur ferait certainement défaut si les caravanes ne venaient plus enlever les récoltes sur place. Les cours des céréales, qui étaient de 15 francs le quintal à la fin de juillet 1904, se sont élevés à 19 francs dès que les Larbâ ont paru. Or, les quelques spéculateurs européens, israélites ou indigènes qui font des affaires de grains dans le pays, voient avec regret se produire la hausse qui leur enlève de beaux bénéfices; ils cherchent donc par tous les moyens à rester les maîtres du marché. Le même fait a été constaté pour les transports. Les quelques rares charrettes qui roulent sur la route entre Teniet et Tiaret font payer des prix exorbitants pour les transports, alors que les nombreux chameaux des nomades les effectuent à très bon marché (2 fr. 50 la charge de 200 kilos de Vialar à Tiaret). Les habitants attendent donc autant que possible la venue de ces chameaux pour faire transporter leurs matériaux ou leurs denrées, ce qui mécontente fort les propriétaires de charrettes. Il en est de même des prêteurs d'argent, généralement usuriers, qui seraient beaucoup plus satisfaits de pouvoir prêter eux-mêmes, à gros intérêts, au moment de la récolte, l'argent nécessaire pour payer les moisson

(1) FÉRAUD, Les Abd-en-Nour (Rec. de Constantine, 1864). Sur la grande foire de Saneg, v. URBAIN, Etabl. fr., 1843-44, p. 424.

(2) Rapp. du général BAILLOUD du 14 mars 1905 au sujet de l'estivage des Larbà. Cf. p. 55.

neurs, et dont les Larbâ font l'avance gracieuse à leurs amis du Tell. C'est donc de la concurrence des Larbà que voudraient se débarrasser les faiseurs d'affaires et surtout quelques agioteurs peu recommandables, et il ne faut pas chercher ailleurs les raisons de l'opposition bruyante faite à nos grands nomades.

Bien que les Sahariens (1) aient des besoins plus limités que les gens du Nord, leur séjour dans le Tell entraîne toujours quelques transactions. On leur vend des grains, quelques chevaux, des ânes, des figues sèches, on leur achète des dattes en régimes, des dattes sèches, de la confiture de dattes (rars), des nattes en alfa. Les négociants européens, israélites et mozabites leur vendent un peu de quincaillerie (récipients en métal, lampes, chaînes, etc.), de l'épicerie, de la droguerie, des tissus européens pour turbans et robes de femmes, de la verroterie.

Aux Eulma (2), les indigènes du pays trouvent des avantages à la migration des nomades, en raison surtout des transactions qui s'établissent avec eux et de la main-d'œuvre qu'ils fournissent pour la moisson. Les Européens trouvent en eux également de la maind'œuvre et des transporteurs pour leurs récoltes. Quelque temps avant leur départ pour le Sud, les nomades se dispersent dans la commune pour s'approvisionner en blé et en orge. Pour trouver la qualité et le prix qui leur conviennent, ils n'hésitent pas à parcourir de très grandes distances.

A Fedj-Mzala (3), les nomades apportent des dattes et des abricots secs; ils achètent sur place du blé et de l'orge. Les transactions s'élèvent à 6,000 francs environ 2,000 francs pour les dattes, abricots et autres produits du Sud, et 4,000 francs pour les achats de blé et d'orge faits dans le pays.

Aucune tribu n'a de centre d'approvisonnement où elle se dirige d'une manière absolument fixe; la recherche du bon marché est le mobile qui fait choisir une région plutôt qu'une autre. Des modifications assez sensibles se sont produites dans les relations commerciales des nomades avec le Tell, modifications qui sont consignées dans les divers rapports:

Dans le cercle de Marnia (4), qui appartient à la région tellienne, les tribus ont toujours récolté ou acheté sur place les grains qui leur

(1) Rapp. comm. mixte Khenchela.

(2) Rapp. comm. mixte des Eulma.

(3) Rapp. comm. mixte Fedj-Mzala.

(4) Rapp. Marnia no 4 et 2. Cf. p. 129 et 189.

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