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Le rapport du cercle de Tébessa insiste aussi sur la culture des arbres à fruits (1). Sur la demande d'un grand nombre d'indigènes du cercle, plusieurs milliers d'arbres fruitiers ont été distribués gratuitement par la commune. Les résultats n'ont pas toujours été aussi favorables qu'on pouvait le désirer, pour plusieurs causes. Les indigènes ignorent encore les notions les plus élémentaires d'arboriculture; leur instruction sera l'œuvre de longues années; ils sont portés à considérer qu'ils ont assez fait quand ils ont mis les plants en terre; les travaux de clôture, d'arrosage régulier et d'entretien ne sont pas encore entrés dans leurs habitudes. En outre, ils sont pressés de recueillir le fruit de leurs fatigues; or, l'olivier ne donne souvent de feuilles que deux ans après sa mise en terre; les indigènes planteraient plus volontiers des abricotiers et des amandiers. Il serait utile d'entretenir aux frais de la commune un pépiniériste européen qui serait chargé non seulement de surveiller et de diriger les travaux des pépinières communales déjà existantes, mais aussi et surtout de parcourir les divers points où les indigènes tenteraient des plantations et de leur donner des conseils. Le rapport conclut que la transformation de quelques-uns des nomades en arboriculteurs n'est pas un fait accompli; qu'il y aura des tâtonnements et des insuccès, mais que cependant cette transformation doit se produire sur certains points dans un délai plus ou moins long et que nous devons la favoriser de tout notre pouvoir. Un arrêté du Gouverneur général du 8 mai 1900, accordant des primes aux créateurs d'olivettes, y aidera puissamment. . Dans l'Extrême-Sud tunisien, que le voisinage de la mer et l'altitude moindre mettent dans des conditions différentes de celles de nos hauts plateaux algériens, la culture de l'olivier, qui existe déjà à Djerba, au Djerid et à Gabès, pourrait être étendue. Elle se développe d'ailleurs à Zarzis.

MM. Mathieu et Trabut (2) conseillaient d'essayer quelques cultures nouvelles, sainfoin, pommes de terre, fèves, topinambours, etc., sur de petites surfaces choisies dans des conditions favorables au succès; il faut non les imposer, mais les suggérer aux indigènes les plus intelligents, à ceux sur lesquels l'admi

(1) Rapp. Tébessa n° 1.

(2) MATHIEU et TABUT, Les Hauts-Plateaux oranais, p. 30 et 91.

nistration a le plus d'action, et les leur faciliter; en cas de réussite, ils trouveront leur intérêt à les étendre et auront des imitateurs.

Il faut signaler en particulier d'intéressants essais de culture de la pomme de terre dans le cercle de Tiaret. Les tribus de ce cercle ont commencé à pratiquer cette culture en 1884, sur les conseils du chef du bureau arabe, qui était alors le capitaine Pansard. C'est seulement dans les terres irrigables qu'on peut s'y livrer. Les indigènes emploient les méthodes européennes : les plus riches se servent d'ouvriers agricoles espagnols ou gourariens. Quelques-uns font venir chaque année de nouvelles semences; ils choisissent de préférence celle appelée Corinthe, qui leur est vendue 25 francs le quintal. Mais la grande masse n'a pas les moyens de faire ces achats et sème seulement des pommes de terre de la récolte précédente. Comme débouchés, ils vendaient au début à Laghouat, Ghardaïa et Géryville, jusqu'à 20 et 30 francs le quintal. Mais, en présence des bénéfices réalisés, les tribus de l'annexe d'Aflou entreprirent à leur tour la culture de la pomme de terre et ne tardèrent pas à enlever à celles de Tiaret tous les débouchés du Sud. De nouveaux débouchés ont été trouvés par les cultivateurs dans les centres européens environnants, tels que Tiaret, Trézel, Palat, etc., à raison de 10 à 13 francs le quintal.

Les indigènes de Tiaret cultivent également divers légumes, choux, petits pois, pois chiches, fèves, oignons, citrouilles, tomates, etc., tant pour leur consommation que pour la vente. Les rapports de Barika et de Khenchela signalent aussi des essais de cultures de pommes de terre.

En même temps qu'on essaie des cultures nouvelles, il faut s'efforcer d'améliorer les méthodes agricoles. La principale amélioration consiste dans la substitution de la charrue française à la charrue indigène. Le matériel agricole des indigènes, charrue, faucille, dépiquoirs, est le même qu'à l'époque romaine, il n'a subi aucun perfectionnement (1). La charrue indigène, des plus primitives, gratte le sol mais ne le retourne pas. On a mis au concours

(1) HAMY, Afas, Paris, 1900, I, p. 54. RIVIÈRE et Lecq, p. 87. De Lartigue, p. 421. Sur la charrue marocaine, v. HÖST, p. 129; Archives marocaires, II, p. 234.

un modèle de charrue à la fois très simple et très peu coûteux, donnant néanmoins un labour plus profond et des rendements plus rémunérateurs que la charrue indigène. Le problème est en effet d'obtenir une amélioration sans conseiller l'emploi d'outils qui seraient à la fois trop coûteux et trop délicats.

MM. Mathieu et Trabut (1) conseillaient aussi de faire construire, là où il existe une mechta permanente, un bâtiment où seraient renfermés les instruments aratoires de la tribu, qui désormais ne seraient plus transportés ou abandonnés dans les migrations.

Enfin la réforme du matériel agricole peut être aidée par les Sociétés indigènes de prévoyance. On sait qu'il existait autrefois des silos collectifs, garantissant les indigènes contre la disette et constituant des approvisionnements. Ils avaient été peu à peu abandonnés. Une première société indigène de crédit et de secours fut fondée à Miliana par le général Liébert en 1869. A partir de 1881, on substitua aux silos des caisses alimentées par des cotisations en argent et par la vente des grains. Des caisses semblables furent peu à peu organisées sur tout le territoire de l'Algérie. Elles consentent des prêts à courte échéance, en argent ou en nature, permettant aux indigènes de maintenir et de développer leurs cultures, d'améliorer ou d'augmenter leur outillage. Dans cet ordre d'idées, l'expérience de la commune mixte de Mascara mérite d'être rapportée.

Au début de la campagne 1900-1901 (2), l'administration de cette commune, où fonctionne la plus importante des Sociétés indigènes de prévoyance du département d'Oran, provoqua une réunion des notables indigènes choisis parmi les agriculteurs les plus autorisés de chaque douar, en vue de faire choix d'une charrue française parmi les modèles qui leur seraient présentés. Une charrue française, construite par un forgeron-mécanicien de Mascara, fut approuvée de tous pour sa solidité, sa manipulation commode, sa légéreté et la supériorité du travail qu'elle produisait. Elle fut en conséquence adoptée. Elle est du poids de 29 kilos et coûte 45 francs, accessoires compris. Après avoir expliqué les avantages que les agriculteurs indigènes devaient nécessairement retirer de l'emploi d'une charrue reconnue par tous

(1) P. 30.

(2) Bull. Office Algérie, 1" décembre 1902, p. 359.

préférable à la charrue arabe, l'administration fit connaître que la Société indigène de prévoyance consentirait dans la plus large mesure des prêts en argent aux cultivateurs désireux d'en acquérir. Quelque temps avant la saison des labours, le conseil d'administration mit à la disposition de 359 sociétaires qui en avaient fait la demande, un crédit de 43,000 francs, soit environ 120 francs par agriculteur, représentant le prix de la charrue française avec double soc, clef, curette et palonnier, ainsi que le prix d'une bête plus forte ou d'une bête nouvelle. D'autre part, trois quintaux d'orge environ par charrue étaient avancés à chaque sociétaire sur la réserve en nature.

Les résultats de cette expérience ont été les suivants : les 359 charrues françaises ont augmenté de plus de 5,000 hectares la superficie des terres cultivées jusqu'alors. Dès la première année, le rendement des récoltes accusait une plus-value de 66 kilos par hectare pour le blé et de 130 kilos pour l'orge. Ce succès ne tarda pas à porter ses fruits. Au commencement de la campagne agricole 1901-1902, le conseil d'administration reçut 875 demandes nouvelles et mit à la disposition des sociétaires une somme de 52,000 francs. En chiffres ronds, les rendements de cette récolte ont donné une différence au profit de la charrue française de 150 kilos de blé et 3 quintaux d'orge par hectare, soit en moyenne un bénéfice de 30 francs sur le produit des années précédentes.

Cet exemple n'est pas resté isolé; d'autres sociétés, notamment celles de Cacherou, de Frenda et de l'Hillil, ont pris des dispositions analogues, au grand avantage des indigènes de leur circonscription.

On s'est préoccupé aussi de savoir comment les indigènes pourraient entretenir ou réparer facilement leurs charrues(1). Dans ce but, des bourses d'apprentissage ont été fondées pour les ouvriers forgerons ou charrons indigènes. Il s'agirait d'une instruction très simple, les mettant en état par exemple de forger ou placer un boulon, redresser un soc ou l'appointer, redresser ou affuter le couteau, réparer une herse, un joug, etc. Un premier essai est fait dans la région de Sétif et du Guergour, où

(1) Bull. Office Algérie, 1a mars 1905, p. 69.

l'usage de la charrue française est déjà très répandu chez les indigènes (1).

Le nombre de charrues françaises possédées par les indigènes est aujourd'hui de 29,757 (2). Quoique l'enquête en territoire militaire n'ait pas porté sur ce point, il n'est pas douteux qu'un bon nombre de charrues françaises y ont été également acquises (3). Certains notables, agriculteurs aisés et chefs indigènes, ont acheté des charrues françaises du modèle primé au concours de Bouzaréa. I en a été acheté trente dans le seul cercle de Boghar. Les Sociétés de prévoyance en ont mis un certain nombre à la disposition des cultivateurs. Il y a lieu d'espérer que ces essais donneront des résultats satisfaisants. Quelques rapports de la division de Constantine et le rapport de Saïda signalent les services que rendent déjà et que sont appelées à rendre en territoire militaire les Sociétés de prévoyance.

Le rapport de la division d'Alger fait remarquer que, même avec la charrue française, l'indigène ne change guère sa façon de cultiver. Il ne connaît qu'un labour, celui fait au moment de semer. Le grain est jeté sur le sol avant le labour, puis enfoui par la charrue, quel que soit le modèle de celle-ci. Or, dans les régions où la terre est argileuse et compacte, la charrue soulève de grosses mottes qui laissent entre elles des vides où le grain, mal recouvert, est mangé par les oiseaux, ou dans de mauvaises conditions de germination. Quelques cultivateurs, plus intelligents que leurs coreligionnaires, se sont rendu compte des inconvénients de cette façon de procéder. Ils voudraient, après le labour, herser la terre de façon à briser les mottes et à mieux recouvrir le grain. Mais jusqu'ici, ils n'ont pas trouvé de herses assez légères pour leurs attelages et d'un prix peu élevé. Une herse vaut en moyenne 50 franes, c'est trop cher pour les indigènes. On pourrait, par un concours, rechercher un modèle de herse à l'usage des indigènes, comme on l'a fait pour les char

rues.

Tout n'est pas à blâmer dans les procédés agricoles des indi

(1) J. LEGRAND, Rapport sur le budget spécial de l'Algérie pour l'exercice 1905, p. 93.

(2) Statistique de l'Algérie, 1904, p. 222.

(3) Rapp. annuel de la division d'Alger, 1904.

(4) Ibid.

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