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Dans l'annexe de Saïda (1), la transformation, si transformation il y a, n'est vraiment réelle que dans les tribus du territoire militaire de la lisière nord, installées dans des régions montagneuses riches en terres de labours et en sources.

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Dans le cercle de Tiaret (4), on estime que les idées de la société arabe en matière de culture se sont sensiblement modifiées au contact des Européens et à la faveur de la paix. Au moment de la fondation du poste de Tiaret, en 1843, les Harrar et les Ouled-Khelif attachaient peu d'importance à la possession des terres de culture, qu'ils ne pouvaient d'ailleurs exploiter que lorsque les chances de la guerre le leur permettaient. Quelques années après, la fuite de l'émir au Maroc amenait la soumission à peu près complète de ces confédérations, qui, jouissant de la plus grande tranquillité, étendaient suffisamment leurs cultures pour subvenir à leurs besoins. Plus tard, la colonisation française leur faisait connaître ses bienfaits, et ils ne tardaient pas à défricher la plus grande partie des terrains cultivables. Ils obtenaient ainsi un rendement supérieur à leurs besoins. Aujourd'hui, ce développement progressif continue à s'accentuer. Le paiement des réquisitions de chameaux fournis aux convois de l'Extrême-Sud a jeté dans le cercle des capitaux se montant à près de 2 millions de francs. Ces capitaux ont permis aux indigènes d'augmenter leur cheptel et de faire des achats de grains avec lesquels ils ont donné une plus grande extension à leurs labours.

A Chellala (5), même situation à peu près qu'à Saïda, c'est-à-dire que les indigènes sont à la fois agriculteurs et pasteurs, et que depuis longtemps déjà on peut les considérer comme fixés au sol d'une manière définitive. De 1881 à 1901, la superficie des terres ensemencées a passé de 5,960 hectares à 7,065 pour les céréales et 26 hectares pour les cultures diverses, pendant que la population augmentait d'un tiers et le cheptel dans des proportions plus considérables

(1) Rapp. Saïda no 1.

(2) La charrue, dans cette région, équivaut à 10 hectares.

(3) En 1903, le rattachement au territoire civil de la tribu des Hassasna a retranché de l'annexe de Saïda, devenue alors le poste du Kreider, ses meilleures terres de culture. Les données statistiques fournies pour le nouveau poste indiquent en 1903, 3,166 hectares de terres cultivées et 3,844 en 1904. (4) Rapp. Tiaret n° 1.

(5) Rapp. Chellala no 1. Cf. Pays du Mouton, p. 16.

encore. Dans ces dernières années, les labours ont été régulièrement favorisés par des pluies abondantes, les prix peu élevés des grains ont permis d'ensemencer sans grands efforts des étendues plus considérables, enfin les sommes distribuées ont facilité les achats de semences. Et cependant, malgré ces conditions si favorables, il ne s'est produit en vingt ans qu'une augmentation de 1,131 hectares, alors que la population passait de 6,700 à près de 10,000 habitants. Il n'y a pas lieu, du reste, de s'en étonner on ne peut ici accroître indéfiniment, du moins par les procédés arabes, les labours... Les moyens rudimentaires dont disposent les indigènes, leur paresse native, surtout leur manque de persévérance dans l'effort les empêchent de se livrer au défrichement des terrains pierreux où le résultat, même dans les bonnes années, ne saurait jamais être immédiat. Du reste, en voyant les maigres récoltes obtenues fréquemment dans cette région, même dans des terres réputées bonnes, on conçoit la répugnance qu'éprouve l'indigène à se livrer à ces tentatives. Le régime climatérique auquel sont soumis les hauts plateaux ne les favorise guère et il faut souvent compter avec le fléau encore trop fréquent des sauterelles. Ajoutons à cela que l'indigène fume ses terres très superficiellement; il se borne à y laisser pâturer ses troupeaux après la récolte. Il en résulte pour lui l'obligation de laisser le sol se reposer tous les deux ans et d'aller labourer sur d'autres points analogues. Cette nécessité d'avoir double terrain de labour fait que le maximum des terres labourables de la tribu est vite atteint. En résumé, tant que nous n'aurons pas changé les conditions climatériques des hauts plateaux, tant que nous n'aurons pas fait jaillir l'eau de toutes parts, créé des barrages pour permettre l'irrigation des terres cultivées, nous n'arriverons pas à fixer dans cette région l'indigène au sol d'une façon complète.

Dans le cercle de Boghar (1), depuis dix ans, on peut observer que les défrichements augmentent d'année en année parallèlement avec l'accroissement du bien-être, et l'heure n'est pas éloignée où les indigènes auront tiré de leur sol tout ce qu'il est susceptible de fournir en culture. L'augmentation des labours dans de fortes proportions est à la fois la cause et l'indice d'une amélioration dans la situation économique : une cause, en ce qu'ils procurent au nomade une partie des céréales qui lui sont indispensables; un indice, car pour qu'un nomade laboure, il faut qu'il puisse disposer non seulemeni de la terre, mais encore d'une charrue, de moyens d'attelage, d'avances en céréales pour les semailles, des fonds nécessaires pour rétribuer parfois le khammès et toujours les moissonneurs. En règle générale, à un accroissement du cheptei correspond une augmentation des labours, et actuellement il semble que les indigènes du cercle touchent au maximum de développement compatible avec les surfaces arables dont ils disposent. Les céréales sont, bien entendu, les seule

(1) Rapp. Boghar no 1.

cultures existantes et possibles dans une zone où l'absence de sources interdit les irrigations.

En territoire civil (1), dans la région du Sersou et du Nahr-Ouassel, et dans la région méridionale du massif de l'Ouarsenis, on observe une évolution très remarquable des indigènes vers l'agriculture. Ily a encore peu d'années, les indigènes du Sersou étaient essentiellement nomades; ils avaient pour principale ressource l'industrie pastorale, et ce n'était qu'accessoirement que quelques familles cultivaient des céréales. Les Douï-Hassni étaient plus cultivateurs que les BeniMaida et les Beni-Lent, mais même aux Douï-Hassni la culture était subordonnée à l'élevage; elle était elle-même nomade dans une certaine mesure et il n'était pas une seule famille assez fixée au sol pour qu'elle pût se résoudre, sans léser gravement ses intérêts, à se donner une habitation fixe. Aujourd'hui, les colons français établis dans le Sersou ont donné le branle d'une révolution dans l'exploitation du sol. Ils ont démontré, par une expérience chaque jour plus convaincante, que la culture des céréales pouvait prendre dans ce pays une importance égale à celle de l'élevage, marcher de pair avec lui. Les indigènes du pays ont suivi cet exemple. Ils ont à vue d'œil, au dire des gens qui suivent le développement de ce pays, augmenté leurs superficies ensemencées; instruits par l'exemple des Européens, ils n'ont pas hésité, eux nomades, à mettre la charrue dans des terres vierges de toute culture antérieure, que leurs traditions, leurs préjugés les invitaient, avant l'exemple venu des Français, à considérer comme propres seulement à la vaine pâture et inaptes à toute production agricole. Le point d'arrivée auquel tendent les Beni-Lent, les Beni-Maïda et les Doui-Hassni avec une rapidité surprenante, est . l'état social des tribus de la région méridionale de l'Ouarsenis: BeniChaïb, Ouled-Bessem, Ouled-Ammar, état social caractérisé, au point de vue de l'utilisation du sol, par la propriété individuelle indivise et la culture comme industrie principale, avec l'élevage comme industrie subordonnée, de très grande importance encore. Dans cette évolution, nous trouvons une indication que la politique française a trop peu utilisée jusqu'ici : c'est que, dans l'échelle des états sociaux inégalement avancés que nous présentent les indigènes algériens, il y a une liaison naturelle entre les divers degrés, qui rendrait facile le passage des états moins avancés aux plus avancés, si nous favorisions leur évolution dans ce sens, au lieu de leur proposer uniformément l'imitation de notre état social.

Dans le cercle de Khenchela, M. Vaissière constatait en 1890 (2) que les Ouled-Rechaïch ne cultivaient en blé et en orge que ce qui était à peu près strictement nécessaire à l'entretien de leurs familles et de leurs chevaux pendant un an. Depuis 1893 (3), le nombre d'hectares

(1) BOYER, notes ms.

(2) VAISSIÈRE, Les Ouled-Rechaïch, p. 49.

(3) Rapp. Khenchela n° 1.

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ensemencés en céréales (blé et orge) a augmenté de 1,440 hectares. Le rapport attribue principalement cette augmentation aux facilités d'écoulement de ces produits sur les marchés voisins à des prix rémunérateurs.

Dans le cercle de Tébessa (1)... la sécurité... a permis à nos administrés de s'adonner à la culture des céréales; si l'on compare plusieurs années également favorisées par les pluies d'automne, on remarque que les surfaces cultivées en orge et en blé vont sans cesse en augmentant.

L'impression d'ensemble qui se dégage de ces rapports est que la culture est en progrès chez les indigènes nomades, parallèlement à l'augmentation de l'élevage du boeuf et à la décadence de celui du chameau. Mais il faut faire certaines réserves. D'abord, cette évolution ne se produit que dans des régions déterminées; les rapports de Biskra, Bou-Saâda, Laghouat, El-Aricha ne la constatent pas; les rapports qui signalent les changements les plus accentués sont ceux de Marnia, Géryville, Tiaret, Boghar, Khenchela, Tébessa. Au voisinage du Maroc et de la Tunisie, le mouvement vers la culture est particulièrement marqué, par suite de l'accroissement de la sécurité qui a permis de mettre en valeur des terres excellentes, jadis négligées. D'ailleurs, comme nous l'avons déjà fait remarquer, les régions de Marnia et de Tébessa sont en plein Tell et ne font partie du territoire militaire qu'à cause du voisinage de la frontière. En second lieu, la période considérée est bien courte, et, comme le font observer plusieurs rapports, il peut s'agir en partie au moins d'une oscillation comme celles que nous avons constatées pour le cheptel. Enfin, les superficies sur lesquelles a porté la mise en culture sont fort restreintes. Les rapports qui donnent des chiffres parlent de 2,000 hectares, 5,000 hectares pour des cercles qui ont 1 à 2 millions d'hectares. Lorsqu'aucun chiffre n'est donné, et qu'on se borne à constater vaguement les progrès de la culture, il est probable qu'il s'agit d'étendues plus restreintes encore. Pour tout le territoire militaire, en 1904, la statistique donne 182,000 hectares en céréales, produisant 792,000 quintaux. Les terres propres à la culture sont limitées, dans l'état aguel des méthodes aratoires et des travaux hydrauliques ; dans quelques territoires, le maximum est près d'être atteint.

(1) Rapp. Tébessa no 1. Cf. ci-dessus, p. 105.

III

Parmi les procédés les plus efficaces de transformation des indigènes, il faut citer l'amélioration des méthodes agricoles et l'introduction de cultures nouvelles. En fait de cultures nouvelles, l'attention se porte particulièrement sur celle des arbres à fruits et sur celle des pommes de terre; pour les méthodes agricoles, sur l'introduction de la charrue française et sur les sociétés de prévoyance.

On sait l'importance qu'avait la culture de l'olivier dans l'Afrique ancienne, l'influence que ses progrès d'abord, sa décadence ensuite, paraissent avoir eue sur le climat et la dénudation du sol, enfin les beaux résultats obtenus dans la région de Sfax, sur l'initiative de M. Paul Bourde, par la reconstitution de la forêt d'oliviers. Dans certaines parties des steppes algériennes, mais non dans toutes, la même œuvre pourrait être entreprise. Les plateaux de Numidie ou de la province de Constantine s'y prêteraient particulièrement. Déjà les administrateurs des communes mixtes des Ouled-Soltan, d'Aïn-Touta et de l'Aurès et le chef d'annexe de Barika ont procédé à des plantations d'oliviers, de peupliers, de châtaigniers, et commencé la création de pépinières (1). Autrefois, les chefs de bureau arabe et les administrateurs s'étaient surtout occupés de créer autour des bordjs des jardins plus ou moins vastes, dans le désir bien légitime de se procurer un peu d'ombre et quelques légumes. Aujourd'hui, on les engage à organiser de véritables pépinières, distribuant des plants ou des souches aux Européens et aux indigènes (2). La pépinière communale des Ouled-Soltan, créée en 1901 par l'administrateur Jacquetton, est à signaler particulièrement ; on y a fait venir des souches d'oliviers greffés de Sfax, qui reviennent à trente centimes l'un. M. le capitaine Massoutier a commencé à répandre la culture de l'olivier dans le Hodna oriental(3). Il a également propagé la culture de l'abricotier.

(1) Bull. Comice Agric. Batna, 3 trim., 1902, p. 20-21. Ibid., 1903, n° 30, p. 8, 21 et suiv., 30; no 34, p. 20.

(2) Dépêche Algérienne, 30 mars 1905.

(3) Rapp. Barika no 1.

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