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fourrages qu'on emmeulerait pour l'hiver? Mais les plantes susceptibles d'être récoltées ainsi, sennagh, drinn, chih, en y joignant si l'on veut des feuilles arrachées sur les touffes d'alfa, constituent sur pied un fourrage dur et médiocre qui, après dessication, ne serait même pas accepté par les chameaux ; d'autre part, les graminées qui croissent dans leurs intervalles sont trop menues pour permettre l'emploi de la faux: elles sont d'ailleurs parsemées d'hélianthèmes, de thymélées, de labiées, de composées et d'autres plantes sous-arbustives impropres à l'alimentation du bétail et dont la tige ligneuse mettrait bientôt. les instruments hors d'usage. » Cependant on a essayé, en 1904, dans le cercle de Khenchela, de constituer des meules de paille et d'alfa; il faut donc attendre pour se prononcer, tout en demeurant assez sceptique.

En somme, des améliorations locales et de détail sont possibles, mais on ne saurait modifier d'une manière fondamentale, comme on se l'imagine trop souvent, les conditions dans lesquelles s'exerce l'industrie pastorale chez les nomades. « On attribue généralement, disent MM. Mathieu et Trabut, à l'ignorance et à l'incurie des Arabes la faiblesse du rendement pastoral sur les Hauts-Plateaux et l'on estime que la production des bêtes ovines pourrait y être beaucoup augmentée si les Eurodéens appliquaient à ce but leur science, leur activité et leurs capitaux; mais nous craignons que cette appréciation ne tienne pas un compte suffisant des faits. » S'il n'est pas possible de transformer radicalement les conditions d'existence des troupeaux dans les steppes, on ne saurait nier que certains progrès peuvent être réalisés. Pour y parvenir, une seule voie est ouverte celle de l'expérimentation, et de l'expérimentation per

sévérante.

CHAPITRE VI

LA CULTURE

I. Les nomades et les oasis.

steppes et à la lisière du Tell.

II. Progrès de la culture dans les

III. Introduction de cultures nouvelles et amélioration des méthodes agricoles. IV. Dans quelle mesure les progrès de la culture entraînent la fixation au sol.

De même que les indigènes de l'Afrique du Nord sont tous, suivant le mot de Masqueray, plus ou moins nomades, plus ou moins sédentaires, ils sont tous, en même temps que pasteurs, plus ou moins agriculteurs. Mais, au lieu que l'élevage soit, comme dans les pays à humidité normale, l'auxiliaire de l'agriculture, c'est l'agriculture qui a, dans les steppes et le Sahara, un rôle tout à fait acccessoire et subordonné.

Il ne saurait en être autrement. La nature elle-même a fixé les limites au delà desquelles la terre ne se laboure pas ce sont les régions où les pluies sont trop rares pour que la récolte présente quelque certitude. Comme nous l'avons dit(), on peut estimer qu'en Algérie, partout où la tranche d'eau n'atteint pas 35 à 40 centimètres, la culture est à peu près impraticable sans irrigation. Reste la possibilité de recueillir les eaux par des barrages ou de demander au sous-sol par des puits l'eau que le ciel distribue avec trop de parcimonie: c'est la culture des oasis. Il résulte de ces conditions naturelles que les nomades pourront pratiquer la culture ou se trouver en contact avec elle d'abord dans les oasis, puis dans certains districts plus particulièrement favorisés formant comme des îlots dans la steppe et

(1) P. 11.

le Sahara, enfin et surtout à la lisière du Tell. Nous aurons à déterminer si les nomades accroissent leurs cultures et dans quelle mesure.

I

Des relations ont de tout temps existé entre les nomades et les sédentaires, et de tout temps les premiers ont exploité les seconds. En Asie, les colons chinois ont été longtemps rançonnés par les tribus mongoles. Avant la conquête française, la société musulmane de l'Afrique du Nord offrait certaines ressemblances avec celle du Moyen-Age européen; le nomade y jouait le rôle du miles, le ksourien celui du rusticus. Le ksourien cultivait les palmiers, et le nomade récoltait les dattes. Il percevait aussi quelquefois des droits de ghefara très élevés, très vexatoires et même arbitraires. Lorsque régnait le Faustrecht, c'était au nomade, armé et insaisissable, qu'appartenait la suprématie. M. Schirmer(1) a étudié ces relations d'une manière définitive, et montré comment la plupart des nomades vivent aux dépens d'une oasis autour de laquelle ils gravitent. Les Arab Gharaba sont propriétaires d'une notable partie des palmiers de l'OuedRir(2), les Cheraga de ceux des Ziban (3). En Tunisie, les sédentaires du Nefzaoua payaient tribut aux Ouled-Yacoub, aux BeniZid, aux Chaanba, aux Touareg). Les gens du Djebel Demmer étaient les serfs des Ourghamma (5). A Metlili, les palmiers sont la propriété des Chaanba Berezga (6). A Ouargla, les Saïd-Otba possèdent des palmiers à Ngouça et aux Beni-Ouagguine, les Mekhadma et les Beni-Thour à Rouissat et chez les Beni-Sissine, les Chaanba Ouled-Smail à Ngouça et Beni-Brahim, les Guebala

(1) Schirmer, Le Sahara, p. 297 et suiv. Cf. RATZEL, 1, p. 209 et suiv. VIDAL DE LA BLACHE, Les conditions géographiques des faits sociaux (Ann. de Géogr., 1902, p. 17).

(2) Rapp. Touggourt n° 1.

(3) Rapp. Biskra n° 1.

(4) La Tunisie, Histoire et description, 1, p. 459.

(5) GOGUYER, Le servage dans le Sahara tunisien (Revue tunisienne, 1895). FALLOT, L'Extrême-Sud tunisien, p. 34-35.

(6) Rapp. Ghardaïa n° 2.

et les Bou-Saïd à Chott et Adjadja). A El-Goléa, ce sont les Chaanba Mouadhi qui possèdent tout et les sédentaires ne possèdent rien (2). Dans la Zousfana, les Douï-Menia et les OuledDjerir rançonnent et exploitent les ksour(3).

Les nomades en général font cultiver par leurs khammès. Ils abandonnent à ceux-ci le cinquième de la récolte, et le reste sert à leur consommation personnelle, ou est transporté dans le Tell pour être échangé contre des céréales"). Il y a cependant quelques exceptions. Au Souf, les Troud cultivent parfois euxmêmes (5); cela tient aux conditions particulières de la culture dans la région :

Le palmier, comme on sait, est planté à même le sol humide et n'exige par suite aucun travail d'irrigation. L'enlèvement de quelques mètres cubes de sable chaque année et l'enfouissement au pied des palmiers de quelques charges de crottin de chameau, puis la récolte des dattes, c'est à cela que se bornent les opérations agricoles; or, elles peuvent se faire toutes en quelques mois. Le Troudi arrive au Souf en juillet, quand les dattes mûrissent et peuvent nourrir sa famille. Il s'y installe jusqu'en décembre, et, la récolte faite, emmagasinée ou vendue, il part pour aller rejoindre ses troupeaux dans la partie du Sahara dont les pâturages lui paraissent momentanément le plus favorables.

Il est cependant une région du Sahara où, bien loin que le sédentaire soit asservi au nomade, c'est le contraire qui a lieu : c'est le Mzab. Autour des villes du Mzab sont des Arabes assez misérables, que les Ibâdites utilisaient autrefois pour leur défense et qu'on pourrait comparer aux mercenaires que soudoyaient au Moyen-Age les cités commerçantes de l'Italie ou de l'Allemagne. Aujourd'hui, ils les emploient surtout à cultiver leurs jardins et à tirer l'eau de leurs puits. Beaucoup de nomades de la région d'Ouargla, privés par la perte totale de leurs troupeaux de leur seule richesse et du moyen de vivre dans le Sahara, contraints de se fixer au sol, ont en grande partie émigré vers le Mzab, où ils s'emploient comme manœuvres dans les jardins des Mozabites (6).

(1) Rapp. Ouargla no 2.

(2) Bull. d'Alger, 1904, p. 24-25.

(3) E.-F. GAUTIER, Ann. de Géogr., 1905, p. 161 et 163.

(4) Rapp. Biskra no 1.

(5) Rapp. El-Oued n' 1. (6) Rapp. Ouargla no 1,

Ces hérétiques mozabites, d'un tempérament si spécial, jouent au Sahara un rôle analogue à celui des Kabyles dans le Tell. Comme les Kabyles, ils ont profité de notre domination et des conditions sociales nouvelles que nous avons introduites pour faire la tache d'huile. Commerçants honnêtes mais rapaces, sachant faire fructifier leurs capitaux et mettre à profit l'imprévoyance des nomades et des autres sédentaires, ils deviennent assez rapidement propriétaires des palmiers d'Ouargla, d'ElGoléa, de Touggourt. Le mouvement a été si rapide dans ces dernières années, qu'il a suscité quelques troubles chez les populations ainsi légalement dépossédées (1). La situation s'est encore aggravée après la campagne du Touat; les Mozabites ont employé les énormes bénéfices qu'ils ont faits à cette époque dans les adjudications militaires à acheter de nouveaux jardins (2).

On peut se demander si le mouvement a chance de s'étendre à d'autres sédentaires; s'ils devenaient créanciers des nomades, comme la force ne prime plus le droit, ils arriveraient à devenir propriétaires des troupeaux des pasteurs, au lieu de cultiver des palmiers pour le compte de ces derniers. Mais il n'est guère probable qu'il en soit ainsi, car ce ne sont pas les bénéfices de la culture saharienne qui ont permis aux Mozabites de prendre cette situation exceptionnelle, mais les profits qu'ils retirent de leur commerce. Or, les autres sédentaires ne font pas de com

merce.

Y a-t-il progrès ou recul de la culture dans les oasis? Presque partout, on constate la décadence (3); on voit des cités détruites, des oasis envahies par les dunes, des sources qui diminuent ou disparaissent. L'incurie et l'insécurité en sont les principales causes. D'autre part, on sait les remarquables résultats obtenus dans l'Oued-Rir par la sonde artésienne et l'intervention française). Les sources artésiennes qui se mouraient ont été ressuscitées. Sous l'impulsion du général Desvaux et de l'ingénieur Jus, en quelques années, des oasis sur le point de disparaître furent

(1) Dépêche Algérienne, 6 décembre 1902. Bull. Afr. franç., 1903, p. 16 et 49. (2) Rapp. Ouargla n° 1.

(3) SCHIRMER, p. 303 et 305.

(4) Id., p. 422. Cf. AUGUSTIN BERNARD et N. LACROIX, La pénétration saharienne, p. 104-105.

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