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d'abreuver de nombreux animaux. Là où les puits ordinaires ou artésiens ne donnent pas de résultat, on a pensé à constituer artificiellement des réserves d'eau de pluie, comme celles qui se forment en hiver dans certaines dépressions du sol à fonds imperméable et que les indigènes désignent sous le nom de r'dirs. Cette idée de la création de r'dirs artificiels, due à l'ingénieur Ville, fut reprise ensuite par MM. Pomel et Pouyanne.

De nombreuses objections ont été faites à la création de r'dirs artificiels. Les unes proviennent du taux élevé de la dépense. Les premiers r'dirs aménagés furent en effet exécutés en simple maçonnerie. Ils manquaient d'étanchéité. Il fallut les cimenter. C'était doubler les frais déjà suffisamment considérables en raison de l'éloignement des points où s'exécutaient les travaux. Une autre objection vient de ce que les moutons, pour s'abreuver à ces points d'eau, sont obligés d'y entrer et y sèment des germes des maladies infectieuses (2). Aussi a-t-on proposé de conserver l'eau à l'abri de l'air et de toute contamination en comblant le r'dir artificiel avec du sable. On éviterait ainsi l'évaporation (3) et l'envasement et on recueillerait l'eau dans des puits, imitant un procédé réalisé par la nature dans les oueds algériens. Enfin, les véritables citernes en béton et en maçonnerie, couvertes et closes, ont de grands avantages; elles sont seulement beaucoup plus coûteuses encore.

C'est en 1892, à la suite du rapport Burdeau, que le Gouvernement de l'Algérie entreprit systématiquement d'accroître la surface utilisable des pâturages par l'aménagement des r'dirs. Le crédit inscrit au budget dans ce but fut, cette année-là, de 80,000 francs. L'insuffisance des résultats obtenus l'a fait réduire peu à peu.

A côté de la création de points d'eau, il faut faire une place à l'aménagement et à la meilleure utilisation des ressources existantes. C'est un côté du problème sur lequel nous attirons tout particulièrement l'attention: tous ceux qui ont parcouru

(1) RIVIÈRE et LECQ, p. 625.

(2) Bonzom, rapp. ms., 1891.

(3) L'évaporation est très active pendant les mois de juillet, août et septembre. C'est ainsi qu'on a constaté au barrage de l'oued Fergoug, pendant cette période, une déperdition moyenne, par évaporation, d'une tranche d'eau de 0025 per 24 heures, ce qui, en 92 jours, représente une hauteur d'eau de 2-30.

les steppes savent qu'en bien des endroits il se perd des quantités d'eau considérables. Il faut planter des bouquets d'arbres autour des sources, les entourer de barrières pour en interdire l'accès aux animaux et les recueillir dans des bassins. Il y a lieu de signaler l'intérêt que présenterait dans les steppes l'emploi du moulin à vent pour élever l'eau destinée soit à l'élevage, soit à la culture. Malgré les objections présentées contre ce moteur encombrant, dont le travail mécanique est faible et l'action intermittente, la force du vent est gratuite et son emploi se justifie par des raisons d'économie. On s'en sert beaucoup aux EtatsUnis, notamment dans le Kansas (1).

Il faut surtout éviter que les points d'eau nécessaires à l'élevage ne soient détournés de leur destination et accaparés par quelque industrie ou même par la culture (2).

M. Jules Legrand (3) estime que, par la multiplication des points d'eau, on pourrait doubler l'étendue des pâturages utilisables et le cheptel ovin : ce serait certainement là un maximum. Quelle que soit la portée de cette œuvre, elle a ses limites. D'abord, le mouton boit très peu; on ne l'abreuve pas d'octobre à fin mai, puis on lui donne à boire tous les deux jours et ensuite tous les jours (4). En février 1892, dans les parcours du Sud où tous les troupeaux des Ouled-Nayl se trouvaient réunis, les moutons n'avaient pas bu depuis trois mois. La plupart des r'dirs étaient à sec et le peu d'eau boueuse qui se trouvait encore dans quelques cuvettes profondes était réservé avec soin pour les chevaux. Fort heureusement, le rayonnement nocturne, très intense dans les steppes, détermine des rosées et des gelées blanches qui, longtemps après les pluies, donnent encore la vie aux plantes aqueuses dont les moutons font leur nourriture, ce

(1) Le moulin le plus simple (mogul), est une roue à voiles orientées en vue d'utiliser le vent dominant; il revient à 150 francs. Il existe des moulins perfectionnés dont les types varient beaucoup, à roue pleine s'orientant et se réglant seule, ou bien à ailettes montées sur pivot et à ressort avec contrepoids. V. HINCKLEY, Pump irrigation in the great plains (Engineering Magazine, avril 1896.) Cf GAGEY, Bull. Dir. Agric. Tunis, 1904, p. 92-123.

(2) V. aux appendices des renseignements sur les points d'eau aménagés dans le poste du Kreider (ancienne annexe de Saïda).

(3) JULES LEGRAND, Rapp. sur le budget de l'Algérie pour l'exercice 1905, p. 99.

(4) JOLY, notes ms.

qui permet à ces animaux de ne point boire et même de n'en pas éprouver le besoin (1).

Comme on ne peut ni faire pleuvoir, ni faire pousser l'herbe, ni supprimer la transhumance, on s'est dit que l'on ne pouvait guère agir que par l'aménagement des points d'eau, et on a eu raison. Cependant la création de r'dirs artificiels n'a pas donné tout ce qu'on en attendait, et ne paraît applicable qu'à un certain nombre de points. Les mares ou citernes ne remplacent pas les puits et les sources. En règle générale, quand il pleut, il y a des pâturages et les r'dirs sont pleins; dans les années de sécheresse, il n'y a ni pâturages ni eau dans les r'dirs (2). D'ailleurs trop souvent les animaux, même suffisamment abreuvés, périssent faute de pâturages, notamment dans les hivers rigoureux.

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On s'est demandé s'il n'était pas possible d'améliorer les terrains de parcours actuels des indigènes et par quels moyens on pouvait espérer y parvenir.

Les pâturages sont composés de plantes de diverses sortes. Il y a d'abord les herbes spontanées annuelles, fines et nourrissantes, qui sont surtout des graminées fourragères et des labiées (3). Ces herbes poussent en quelques jours en temps de pluie, à condition qu'il ne fasse pas froid; elles restent vertes pendant un mois environ. Puis ce que les bestiaux n'ont pas consommé sèche sur pied: c'est ce qu'on appelle el-haïchar; c'est encore une bonne nourriture. Enfin il ne reste plus que les herbes vivaces et les plantes plus ou moins ligneuses (elhateb des indigènes) dans lesquelles la pluie fait monter la sève; ce sont les différentes espèces d'Atriplex qui viennent sur les plateaux, les armoises, les thyms. On peut mentionner encore les pâturages de marais, composés d'autres espèces de plantes, tels que ceux de Taguin. Les pâturages offrent une distribution

(1) Pays du Mouton, p. 113.

(2) Pays du Mouton, p. 24.

(3) RIVIÈRE et LECQ, Manuel pratique de l'agriculteur algérien, in-8°, Paris, 1900, p. 84. BUGÉJA et ROUSSEAU, Bull. d'Alger, 1904, p. 70.

sporadique, une seule espèce occupant de grandes surfaces à l'exclusion des autres (1). Ils ont à peu près le même caractère que ceux qu'utilise l'industrie pastorale dans l'ouest des Etats-Unis (2) et en Australie. Si les espèces diffèrent, les conditions générales sont les mêmes. Les Australiens connaissent comme les Algériens les « pâturages secs» de plantes ligneuses, et les salsolacées qui permettent aux moutons australiens de vivre pendant la saison sèche ont en Algérie des espèces similaires; le guettaf (Atriplex halimus) n'est autre que le salt-bush des Australiens (3).

Avant d'améliorer les pâturages, il conviendrait de conserver ceux qui existent. Or, ils tendent à disparaître, comme on l'a vu), et il faudrait avant tout arrêter la destruction des plantes vivaces. La restauration des pâturages est, comme le reboisement, une œuvre de longue haleine; il ne suffit pas de semer des graines pour refaire une pâture, pas plus que de planter des arbres pour refaire une forêt sur des sols dénudés, mouvants, brûlés par le soleil et dont l'humus a disparu; il faut un quart de siècle environ pour reconstituer la terre végétale et refaire le sol (5). En Algérie, jusqu'ici, on s'est surtout occupé, non sans succès d'ailleurs, de la fixation des dunes, parce que c'est là que le danger paraissait le plus imminent.

Il n'est pas impossible d'aller plus loin. Aux Etats-Unis, une section spéciale du département de l'agriculture (division of agrostology) a pour mission d'effectuer des recherches sur les plantes fourragères du pays et d'étudier les moyens les plus efficaces de conserver et de reconstituer les pâturages (6). Cette division, de fondation assez récente, a publié une série de brochures de Lanson, Schribner, Shear, Griffits, etc., pour exposer les résultats de ses recherches et activer la solution des problèmes les plus urgents. Elle a dû rechercher notamment quelles étaient les espèces de plantes les mieux appropriées à chaque

(1) JOLY, notes ms. Cf. ci-dessus, p. 12.

(2) RONNA, Bull. Soc. Encourag. pour l'Industrie nationale, aoùt 1896, p. 58. (3) COUPUT, p. 80.

(4) V. ci-dessus, p. 42. Ci. RIVIÈRE et LECQ, p. 538.

(5) FLAHAULT, La Géographie, 15 septembre 1903, p. 126.

(6) A. PION, La Flore fourragère du Nouveau-Monde (La Nature, 4 octobre 1902, p. 275 et suiv.).

région, les plus susceptibles de résister à la sécheresse dans les terrains arides, de s'adapter aux sols surchargés de sels alcalins (alkali soils), de fixer les dunes de sable.

En Algérie, la première chose à faire serait d'essayer de tirer parti des meilleures espèces indigènes, en les favorisant par un commencement de culture. Un sainfoin très répandu, Onobrychis argentea, et une salsolacée, Halogeton sativus(2), mériteraient, ainsi que bien d'autres, d'être essayés dans ce sens (3), MM. Mathieu et Trabut proposaient (4) la création au Kreider d'une pépinière de plantes fourragères et le repiquage à l'automne des meilleurs sujets dans le voisinage du Chott. « L'opération serait, disent-ils, praticable et utile, mais de très faible portée au point de vue de la régénération des pâturages sur les Hauts-Plateaux. » Peut-être cependant, si elle était répétée sur un grand nombre de points, pourrait-elle amener quelque modification. MM. Battandier et Trabut pensent aussi que des labours légers faits en temps opportun, avec ou sans ensemencement, d'espaces convenablement choisis, pourraient donner d'excellents résultats. Ces labours sont un des moyens employés dans l'Argentine pour améliorer les pâturages.

Parmi les procédés à essayer pour accroître le rendement des terrains de parcours, on signale aussi (5) les mises en défens partielles, les recépages qui regénèreront les espèces ligneuses, l'irrigation quand elle sera possible, les fossés horizontaux qui supprimeront le ruissellement et faciliteront l'infiltration (6), les barrages dans les ravins.

On s'est demandé aussi s'il ne serait pas possible d'arriver à une meilleure utilisation et à une sorte de rotation des pâturages au moyen des clôtures en fil de fer. C'est la méthode australienne et argentine. On sait en quoi elle consiste. Il y a environ quarante ans que les clôtures ont fait leur apparition dans

(1) V. HILGARD, Ueber den Einfluss des Klimas auf die Bildung und Zusammensetzung des Bodens, in-8°, Heidelberg, 1893.

(2) BATTANDIER et TRABUT, L'Algérie, p. 252. Cf. L'Algérie agricole du 15 décembre 1889.

(3) MATHIEU et TRABUT, Les Hauts-Plateaux oranais, p. 20.

(4) Ibid., p. 56.

(5) LEFEBVRE, Proc.-verb. Cons. supér., 1903, p. 216.

(6) RIVIÈRE et LECQ, p. 624.

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