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est la clavelisation préalable de tous les moutons exportés, préconisée dès 1879. M. Nocard1) a établi que cette mesure est pratiquement réalisable; les objections contre elle sont sans valeur. Imposée en 1901, l'application de la clavelisation a été retardée jusqu'en 1903 et réglementée par un décret du Ministre de l'Agriculture du 10 avril 1903 et un arrêté du Gouverneur général du 22 février 1904. Après l'avoir déclarée impraticable, on s'est décidé à la pratiquer. La clavelisation, comme le demandait M. Nocard, est à la fois obligatoire et gratuite: une médaille dans l'oreille constate l'opération. On arrive à claveliser plus de 1,500,000 moutons par an. L'application des règlements ne rencontre pas de difficultés en particulier, les indigènes du territoire de commandement apportent le plus grand empressement à faire inoculer leurs animaux (2),

On avait songé, au moment où la crise était aiguë, à exporter les moutons morts, par des procédés frigorifiques. Ces procédés sont surtout employés dans l'Argentine, où, depuis 1880, l'exportation de la viande congelée (3) a été substituée au système des saladeros. Mais la viande ainsi transportée a moins de valeur que la viande sur pied; aussi l'Argentine elle-même s'efforcet-elle depuis 1895 d'expédier du bétail vivant, malgré la distance. Il semble que l'Algérie, en exportant de la viande congelée, perdrait le bénéfice de sa proximité. Peut-être cependant tentera-t-on d'y revenir sous une forme ou sous une autre.

F.

ACCÈS AU LITTORAL; EMBARQUEMENT

Une question d'un intérêt beaucoup plus durable est celle de l'accès des moutons exportés au littoral. Cet accès (4) devient de moins en moins facile. En maint endroit, sur les routes suivies

(1) ED. NOCARD, La clavelée et la clavelisation en Algérie. Rapp. au Gouverneur général, 7 décembre 1899.

(2) Exposé de situation, 1904, p. 305. Cf. Rapp. annuel de la division d'Alger, 1904.

(3) Ou même simplement refroidie (chilled meat). V. E. DAIREAUX, L'élevage dans l'Argentine (Rev. de Paris, 1" août 1903); PIERRE LEROY-BEAULIEU, Les nouvelles sociétés anglo-saxonnes, p. 80-100.

(1) Pays du Mouton, p. 48.

par les troupeaux, se sont établis des industriels qui, sous prétexte de cultiver un lopin de terre, se contentent d'exploiter les passants et s'enrichissent à coups de procès-verbaux motivés par les dégâts ou prétendus dégâts commis aux cultures.

Sans même parler de cette industrie malhonnête, il est évident que les routes françaises telles qu'elles sont construites ne sont pas faites pour favoriser la circulation des troupeaux ; les moutons les abîment et elles le leur rendent. Il faudrait réserver sur les bords une zone de terrain pour le passage des animaux, avec des circuits au voisinage des centres et par place des abreuvoirs et des gîtes d'étapes. Il faudrait pouvoir parquer les moutons sur les terrains domaniaux et communaux, utiliser à cet effet certains champs de bivouac. Il y avait ainsi en Espagne (1) des vias pecuarias qui constituaient une servitude indispensable à l'élevage; elles avaient d'ordinaire 21 mètres de largeur et 75 mètres aux abreuvoirs. Il existait des Livres pastoraux qui mentionnaient ces voies : la plupart ont disparu et ont été labourées. Dans le Sud algérien, on a prévu des vias pecuarias de 30 mètres de large (2).

Les quatre grands ports d'exportation sont Oran, Arzeu, Alger et Philippeville. Les difficultés sont surtout sensibles dans les départements de Constantine et d'Alger, car dans la province d'Oran, en raison de la configuration géographique, l'accès des ports n'est pas barré de la même manière par une zone continue de cultures. Par suite des difficultés qu'éprouvent les troupeaux à traverser le Tell entre Boghari et Alger, le marché de Tiaret est alimenté en grande partie par les moutons de l'ouest de la province d'Alger. Dans cette dernière province, les animaux se reposent ordinairement plusieurs jours aux environs de Boufarik, Birtouta. Le plus souvent, les expéditeurs sont obligés de louer des herbages; la création de pâturages gratuits dans cette région paraît difficile à cause du haut prix de la terre, mais l'ouverture d'une route spéciale entre Maison-Carrée et le point d'embarquement, l'aménagement d'un quai spécial avec barrières et la construction d'abreuvoirs à Alger s'imposeraient. Le transport par chemin de fer (3) épargnerait aux troupeaux

(1) La Ganaderia en España.

(2) De PeyerIMHOFF, rens. oral.

(3) Procès-verbaux de la Comm. pastorale.

une perte de poids évaluée à une demi-livre par tête pour trois jours de route, soit 175 francs environ pour un troupeau de 500 têtes. Cependant on voit les moutons suivre la voie ferrée, tandis que les wagons qui leur sont destinés passent à vide. On reproche aux chemins de fer algériens l'élévation des tarifs, la longue durée des transports, la difficulté des transbordements, l'insuffisance du matériel, enfin la défectuosité de ce matériel, qui devrait comprendre pour les moutons des wagons à claire-voie au lieu de wagons fermés, ou des wagons découverts abrités par une bâche. On demande des trains spéciaux partant des points de concentration comme Affreville, le Khroub, Témouchent, etc., le jour ou le lendemain du marché, et allant sans être différés jusqu'au port d'embarquement. Dans l'Argentine (1), les bestiaux sont transportés dans des wagons spéciaux ; du parc où ils sont enfermés, les animaux montent par une pente douce, formant un couloir solidement bastionné de pieux en bois dur; le défilé se fait par unité, sans danger et sans accident. Les stations de chemins de fer ont également reçu des installations appropriées; des réservoirs d'eau contenant 100,000 litres sont destinés à abreuver les trains de bétail qui passent. Tous ces trains sont express, les délais réduits au minimum. La loi surveille plus rigoureusement le transport du bétail que celui des voyageurs.

Enfin, il y aurait lieu d'améliorer l'aménagement des navires moutonniers, au point de vue de l'aération notamment. Dans l'Argentine, il existe des steamers aux amples installations, véritables étables flottantes à plusieurs étages, qui peuvent transporter des milliers de moutons à chaque voyage et leur faire faire presque sans perte une traversée de 22 jours. Une commission d'hygiène intervient dans l'inspection des boxes, la visite sanitaire de chaque animal, l'examen des quantités d'eau et de fourrage.

(1) EM. DAIREAUX, Revue de Paris, 1" août 1903, p. 653-654.

III

Une autre catégorie d'améliorations concerne les moyens d'augmenter les ressources des terrains de parcours (1). La situation que nous créons malgré nous aux nomades en poussant tous les jours plus loin la colonisation et la culture n'ira pas sans de graves inconvénients, à moins qu'il ne soit possible de compenser la réduction des parcours par un meilleur aménagement et que nous ne sachions parvenir à ce résultat.

A.

AUGMENTATION DES RESSOURCES EN EAU

Le Pays du Mouton, résultat de l'enquête de 1892, est surtout un catalogue des points d'eau existants ou à créer dans les steppes. La question a été reprise par M. Jonnart, qui, par une circulaire du 25 février 1904, a fait dresser des rapports descriptifs et des cartes des pâturages et des points d'eau (2). Les rapports descriptifs indiquent la physionomie générale de la région au point de vue de l'élevage et énumèrent les points d'eau, leur nature, leur débit, le nombre de moutons que chacun de ces puits permet d'abreuver, selon qu'il s'agit de troupeaux sédentaires ou de troupeaux en transhumance; ils décrivent les pâturages pâturages de printemps, offrant des ressources jusqu'à fin mai; pâturages d'été, utilisables jusqu'à fin août; ils indiquent enfin les travaux dont la réalisation peut faciliter l'extension des ressources actuelles en pâturages et en eau ou permettre d'en créer de nouvelles. La carte distingue par des signes conventionnels le nombre de moutons par hectare que peuvent nourrir les pâturages et relève tous les points d'eau. Chaque point d'eau est entouré d'un cercle ayant pour diamètre la distance que peuvent parcourir les moutons en un jour, indiquant ainsi les pâturages

(1) COUPUT, p. 53.

(2) Nous donnons en appendice la circulaire de M. Jonnart; nous y avons joint, à titre d'exemple, le rapport sur l'élevage du mouton dans le cercle de Boghar.

utilisables pour ces animaux. On peut calculer, comme l'indique la circulaire de M. Jonnart, un rayon maximum de 15 kilomètres pour les parcours sédentaires, de 30 kilomètres pour les parcours de transhumance. On avait déjà établi une carte semblable pour la région de Boghar (1); le Gouverneur général a jugé qu'il était intéressant d'étendre l'enquête à tout le pays de transhumance et de dresser des cartes pour toute la zone des steppes.

C'est le manque d'eau qui, dans certaines régions pastorales de l'Algérie, s'oppose au libre parcours des troupeaux et y constitue un obstacle au développement de l'élevage. Là en effet où il existe des réservoirs pouvant servir à abreuver le bétail, les pâturages de la zone environnante sont appauvris par une dépaissance continuelle, tandis que plus loin les fourrages abondent et restent inutilisés (2). Donc, pour pouvoir livrer aux troupeaux d'immenses pacages où l'absence d'eau leur a jusqu'ici interdit de pénétrer, il est indispensable de multiplier les ressources en eau. Il faut s'efforcer aussi de les augmenter sur les chemins suivis par les nomades au moment de leurs déplacements habituels: si l'on voit parfois des animaux maigres, surmenés, traverser des pays n'offrant plus de ressources, alors qu'ils pourraient trouver à une certaine distance une nourriture suffisante, c'est qu'ils ne peuvent abandonner la route parcourue par ceux qui les ont précédés, sous peine de mourir de soif avant de trouver où s'abreuver (3).

Chaque puits creusé, chaque citerne construite, augmente dans une mesure plus ou moins large les pâturages utilisables. Aussi les problèmes d'hydraulique agricole ont-ils de tout temps préoccupé les esprits en Algérie. D'importants travaux de captages de sources, de creusements de puits artésiens ou autres ont été effectués. Mais pour qu'un puits ordinaire soit réellement utilisable, il est nécessaire qu'il ne soit pas trop profond. Si l'eau ne s'y rencontre qu'à une profondeur supérieure à 15 ou 20 mètres, les moyens employés par les indigènes pour l'extraire deviennent impraticables, surtont lorsqu'il s'agit

(1) COUPUT, p. 54.

(2) Pays du Mouton, p. 12. Cf. Proc.-verb. Cons. supér., 1903, p. 213 (rapp. de M. LEFEBVRE sur la situation des terrains de parcours).

(3) COUPUT, p. 55.

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