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les régions sablonneuses ont naturellement leur toison salie et imprégnée par le sable sur lequel ils couchent et que les vents secs soulèvent et promènent. Les toisons en conservent une grande quantité, et on voit des laines dont le rendement devrait être de 48 p. 100 ne plus donner au lavage que 25 à 30 p. 100. Cet état de choses causerait un préjudice considérable à l'acheteur s'il n'en tenait compte pour fixer ses prix. Il n'est pas toujours aisé de savoir si la fraude est commise par le producteur ou par l'intermédiaire (1). En tout cas, elle a eu le déplorable résultat de dégoûter les acheteurs de la métropole. L'expédition des laines algériennes vers les centres industriels français avait pris une certaine extension en 1880 et s'était accrue considérablement jusqu'en 1887 (2); mais, depuis lors, les laines algériennes étaient tombées tellement en discrédit que les industriels de Roubaix et de Tourcoing n'en voulaient plus à aucun prix.

L'indigène est le premier à souffrir de ce délaissement du marché de la colonie; il fraudait ses laines pour augmenter leur poids et en retirer plus d'argent il voit aujourd'hui l'inconvénient de cette manière de faire. Il faut lui faire comprendre qu'il a tout intérêt à donner des toisons aussi propres que possible; qu'il doit les débarrasser à la main des plus grosses impuretés qu'elles contiennent, mettre les animaux sur une toile pour procéder à la tonte, afin que la toison ne touche pas la terre et surtout le sable (3).

On a proposé divers procédés() (incinération ou lavage par une solution alcaline) permettant de déterminer sinon les fraudes, du moins la pureté des laines et par suite le prix qu'il faut les payer, ce qui est l'essentiel. On pourrait avoir sur les grands marchés de laines des experts assermentés, comme on a des dégustateurs sur les marchés aux vins; établir les cours non d'après le poids à l'état brut, mais d'après le contingent de matière utile, comme cela se pratique pour d'autres denrées agricoles.

Le meilleur moyen de faire cesser toutes plaintes serait de n'acheter que des laines lavées à dos; mais le manque d'eau

(1) Commission pastorale, 19 septembre 1896.

(2) Pays du Mouton, p. 72.

(3) COUPUT, p. 154.

(4) Comm. pastorale, 19 septembre 1896.

empêche de généraliser cette mesure en Algérie. On s'est demandé aussi pourquoi on n'installerait pas en Algérie une usine pour le lavage des laines, ce qui permettrait de réaliser une économie de 60 p. 100 sur le transport. La chose ne serait pas impossible, cependant les hommes du métier ne s'y montrent pas très favorables; il faudrait que l'usine pût traiter une grande partie des laines de la colonie, sinon la quantité produite ne serait pas suffisante pour l'alimenter; d'autre part, les fabricants de la métropole préfèrent recevoir les laines en suint, qu'ils font ensuite plus facilement trier et séparer en sortes différentes suivant leurs besoins spéciaux.

D.

MOUTON A VIANDE: COMMERCE, ENGRAISSEMENT, ÉLEVAGE

Le mouton en Algérie est surtout produit et exporté pour la viande, c'est le Fleischschaf. Décrivons sommairement les diverses opérations auxquelles donne lieu ce mouton d'exportation, ainsi que les transformations et modifications dont cette industrie pourrait être susceptible.

Autrefois, les indigènes se défaisaient de leurs moutons en mai, en arrivant sur leurs parcours d'estivage: les grands marchés étaient alors le Khroub, Sétif, Boufarik, Maison-Carrée. Aujourd'hui, les maquignons indigènes vont acheter sur les parcours d'hivernage. Les marchés, devenus beaucoup plus nombreux, sont situés beaucoup plus au Sud. En 1904, pour la première fois, des commerçants sont venus acheter sur les marchés de Laghouat et de Ghardaïa (2). Le commerce d'exportation était autrefois aux mains de quelques Européens: aujourd'hui le nombre des négociants a augmenté et bon nombre d'indigènes avisés y prennent part (3). Les rapports d'El-Aricha, de Chellala et de Mécheria signalent le fait :

La modification réelle survenue depuis quelques années (4) à ElAricha est l'importance donnée au commerce des moutons. Autre

(1) Pays du Mouton, p. 73. COUPUT, p. 156.

(2) Rapp. Laghouat n° 4.

(3) COUPUT, p. 94.

(4) Rapp. El-Aricha no 1.

fois, les propriétaires se bornaient à amener leurs troupeaux aux marchés pour les vendre. A l'heure actuelle, les indigènes qui disposent de fonds, même en petite quantité, suivent les marchés et se livrent au commerce des moutons.

A Chellala (1), l'indigène, sollicité par le marché de Chellala et les nombreux marchés environnants, a puisé dans la vente des moutons, dont l'élevage est peu onéreux, des moyens faciles d'existence et même de profits sérieux.

Les Hamyan (2) (Mécheria) s'adonnent à l'élevage du mouton et trouvent chaque année sur les marchés de Saïda, Tlemcen et Bedeau, un écoulement avantageux de ces ovins. Ils ajoutent à la vente du croît de leurs troupeaux celle d'animaux marocains achetés en monnaie espagnole sur le marché de Marnia et revendus en monnaie française; ils bénéficient ainsi d'un change assez élevé, variant entre 50 et 90 p. 100.

De l'examen des chiffres des entrées de moutons vivants en France pour la période 1894-1903, il résulte que les importations d'Algérie-Tunisie vont chaque année grandissant, pendant que celles de l'Allemagne et de l'Autriche décroissent (3). En 1903, l'Algérie a envoyé à la métropole 1,425,000 moutons vivants, et la Tunisie 207,000. L'exportation a diminué en 1904 par suite de la mortalité résultant de l'hiver 1903-1904, des prix peu rémunérateurs et de l'interdiction d'exporter les brebis à partir du mois d'août. Cependant, elle atteignait encore pour l'Algérie 1,090,000 têtes et pour la Tunisie 75,000(4).

Les moutons, vendus de fin mai à juillet, sont engraissés plus ou moins bien selon l'état des pâturages. Mais ils ne sont jamais amenés à l'état appelé par la boucherie française « fin gras ». Leur régime d'engraissement ne le permet pas; ils sont livrés «mi-gras ». A leur arrivée à Marseille, les uns sont vendus de suite à la boucherie, les autres à des engraisseurs du Midi, qui les revendent plus tard sous la dénomination de moutons de réserve, après deux ou trois mois passés dans les pâturages des Alpes.

Les moutons algériens ont maintenant une zone de consom

(1) Rapp. Chellala n' 1.

(2) Rapp. Mécheria no 4.

(3) Quinzaine coloniale, 10 octobre 1904, p. 612.

(4) Bull. Dir. Agric. Tunis, 1905, p. 74 et 518.

mation très étendue; beaucoup de villes du Midi en achètent des quantités importantes. Le marché de Lyon-Vaise en reçoit annuellement 50 à 55,000. A la Villette, il s'en vend 15 à 20,000 par marché dans la saison, lorsque les cours le permettent (1).

Les Européens se livrent aussi à l'engraissement des moutons indigènes en Algérie même (2). L'opération consiste à acheter, à partir de septembre, des sujets de 18 mois à 2 ans, plus ou moins amaigris par les chaleurs de l'été, et à les engraisser avec les pâturages de printemps, grâce auxquels ils représentent une sorte de primeur. Ils arrivent sur les marchés en avril, et obtiennent des prix de vente élevés. La méthode d'engraissement employée ne se distingue guère de celle des éleveurs indigènes, sauf de rares exceptions où l'on fait usage de la bergerie et de la ration à l'intérieur. Ces opérations sont pratiquées presque uniquement dans le département d'Oran, où la situation est particulière les moutonniers ont à leur disposition les plaines du Sig, de l'Habra et de la Sebkha, qui offrent des ressources abondantes en pâturages, des terrains salés et un climat tempéré en hiver. Dans les autres départements (3), les exportateurs, comme nous l'avons dit, font aujourd'hui leurs achats directement sur les marchés du Sud, les agriculteurs européens ne peuvent plus servir d'intermédiaires. Les indigènes se mettent en outre à faire eux-mêmes de l'engraissement à la lisière du Tell; le fait est nettement signalé par le rapport de Chellala: «Toutes les fois que ses ressources le lui permettent, dit ce rapport), l'indigène achète des moutons qu'il gardera quelques mois de façon à les engraisser et à les revendre ensuite avec bénéfice ».

Les Européens sont ainsi amenés à produire eux-mêmes des animaux plus précoces, qui fournissent à 14 mois 3 ou 4 kilos de plus que les moutons indigènes de 2 ans 1/2. Ils commencent, en un mot, à faire de l'élevage au lieu d'engraissement ils y sont conduits en outre par l'appauvrissement de leurs terres, auxquelles les ovins fourniront du fumier.

Telle est l'évolution d'abord le commerce, ensuite l'engraissement, enfin l'élevage dans le Tell. Il reste au colon européen

(1) Bull. Off. Algérie, 1903, Suppl. no 16, p. 8.

(2) COUPUT, p. 83 et 98.

(3) COUPUT, p. 59.

(4) Rapp. Chellala n° 1.

une dernière étape à franchir : c'est de participer à l'élevage du mouton en pays nomade. Cette dernière étape semble logique; elle a été entrevue par un romancier (1). Elle permettrait peutêtre d'apporter à l'élevage transhumant quelques améliorations. Les personnes qui connaissent le mieux l'Afrique du Nord ne pensent pas (2) que les Européens puissent se livrer à l'industrie pastorale dans les steppes mêmes; dans cette région pauvre, brûlée et glacée tour à tour, il leur faudrait accepter la vie sous la tente et les déplacements annuels à plusieurs centaines de kilomètres. Cependant, à la lisière du Tell, dans le Sersou et sur le versant sud de l'Ouarsenis, quelques colons européens prennent déjà une certaine part à l'industrie pastorale. Ils donnent(3) à cheptel à des indigènes, qui les mènent dans le Sud, des troupeaux dont le bénéfice se partage au retour dans la région tellienne. L'Européen pourrait, par une culture rationnelle, mettre en réserve des approvisionnements dont ses troupeaux profiteraient pendant la saison sèche, après avoir passé l'hiver et le printemps dans les steppes sous la conduite de ses associés indigènes. Pour cette question comme pour beaucoup d'autres, on peut attendre les plus heureux résultats de l'association et de la collaboration du colon et de l'indigène.

E. CLAVELISATION; EXPORTATION FRIGORIFIQUE

L'exportation des moutons algériens à failli être entravée de la manière la plus grave par des mesures sanitaires imposées par la métropole. Cette affaire"), qui a passionné l'opinion publique en Algérie, peut se résumer en deux mots. Les moutons algériens exportés étaient accusés, à tort ou à raison, de donner aux moutons français une maladie, la clavelée, qui, bénigne chez les algériens en général, a un caractère beaucoup plus grave chez les ovins de la métropole. Le seul remède efficace

(1) HUGUES LE ROUX, Je deviens colon.

(2) MATHIEU et TRABUT, Hauts-Plateaux oranais, p. 42.

(3) RIVIERE et LECQ, p. 966.

(4) Travaux de la Commission chargée d'examiner l'efficacité des procédés de clavelisation. Rapp. de M. WALDTEUFEL, Alger, Jourdan, 1897.

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