échoua. Nous avons en France des mérinos dont les souches venaient directement d'Espagne et qui se rapprochent beaucoup des anciens mérinos à grande transhumance, connus sous le nom de race de l'Escurial. Ils sont capables de supporter des températures très élevées, les fatigues et les privations des longs voyages (1), comme le prouve la vie qu'ils mènent en Espagne même, en Provence, en Australie, où ils ont été introduits. Le nom même de merinos veut dire transhumant (2). Si ce que racontent les zootechniciens de l'origine du mérinos est exact, on pourrait dire qu'on ne fait pas de croisement en donnant aux brebis algériennes à tête blanche, à toison tassée, où on trouve encore le type mérinos, des béliers mérinos importés de France ou d'Espagne. On ne ferait que relever leur sang abâtardi en leur infusant un sang plus pur provenant d'animaux de même race, soumis depuis de longues années à une rigoureuse sélection (3). Les adversaires des croisements répondent que les sacrifices pécuniaires sont hors de proportion avec les résultats obtenus, et qu'il faut en revenir aux races du pays sélectionnées. D'après eux, la race ovine indigène est acclimatée depuis des siècles; des tentatives de métissage ou d'introduction de races moins rustiques risqueraient de compromettre sa résistance aux influences atmosphériques, aux alternatives d'abondance et de privations qu'elle subit sur les plateaux (). En tout cas, on est à peu près unanime à reconnaître qu'il faut renoncer à introduire des animaux perfectionnés dans le Sud et dans les régions de transhumance où la vie est difficile. C'est seulement pour la zone intermédiaire entre le Tell et les steppes (Tiaret, Boghari, Bordj, Sétif) que la question se poserait (5). Quelle que soit la nature de l'amélioration projetée, quel que soit le procédé employé, il faudrait une décision, une énergie, une suite dans les idées qui ont trop souvent fait défaut jusqu'ici. (1) VIGER, cité par BOURDE, p. 21. (2) COUPUT, p. 136. (3) COUPUT, p. 75 et 81. (4) MATHIEU et TRABUT, Hauts-Plateaux oranais, p. 43. Les Chaanba ėlėvent la variété dite roubi, inférieure à la variété dite beïda si estimée à Laghouat et à Djelfa, parce que cette dernière ne pourrait se contenter de leurs pâturages (REBILLON, notes. ms.). (5) Commission pastorale, séance du 17 octobre 1896. A la question de l'amélioration des races se rattache celle des soins à donner aux troupeaux. « Les pasteurs indigènes, disent MM. Mathieu et Trabut (1), n'ont point la science qui s'acquiert dans les écoles, mais, vivant en contact journalier avec la nature, ils profitent d'observations personnelles ou traditionnelles et connaissent les plantes de la steppe, leurs propriétés bienfaisantes ou toxiques, leur utilité pour nourrir tels ou tels animaux, les points où ils doivent conduire le bétail suivant les saisons, et même une sorte de médecine qui leur permet de traiter sommairement les animaux malades; ces notions pratiques demanderaient à être vivifiées et complétées par un enseignement plus rationnel qu'il serait peutêtre possible de donner aux indigènes. » En dépit de réelles qualités, les méthodes ou plutôt les pratiques de l'élevage sont très défectueuses (2). Les mâles sont castrés beaucoup trop tard. Les indigènes aiment mieux se nourrir du lait des brebis que de le laisser aux agneaux; et ceux-ci sont souvent réduits à la portion congrue. Les seuls soins particuliers qu'ils reçoivent consistent à leur éviter pendant les premiers jours qui suivent leur naissance la fatigue de la marche en transhumance; on les entasse dans des chouaris, sortes de paniers en alfa portés à dos d'âne ou de chameau; puis, lorsque le temps est trop mauvais, on les abrite sous les tentes. Cependant les transhumants du Sersou (3) et d'une partie du Djebel-Amour sont plus soigneux et plus intelligents, et possèdent en conséquence une population ovine améliorée. A l'époque de l'agnelage, de bonne heure ils distinguent les animaux les mieux conformés dont ils feront leurs béliers, marquent leur toison de henné et leur font laisser autant que possible le lait de leurs mères. Il est clair que les pratiques du Sersou et du Djebel-Amour devraient être généralisées. L'amélioration des troupeaux trans (1) MATHIEU et TRABUT, Hauts-Plateaux oranais, p. 42. (2) COUPUT, p. 90-92. (3) COUPUT, p. 94. humants tient toute entière en ces deux termes : laisser plus de lait aux agneaux, castrer de bonne heure tous les mâles inutiles ou défectueux, pour constituer des troupeaux homogènes et ne conserver dans chaque région que le type le meilleur (1). Par décision du 1er avril 1902, des commissions pastorales locales, composées de notables indigènes auxquels est adjoint un spécialiste, ont été créées (2). Elles ont pour mission de vulgariser les pratiques les mieux appropriées à l'élevage du mouton dans les territoires de commandement, et d'encourager les efforts les plus méritants. Ce système a produit sur les éleveurs indigènes un effet considérable (3); les ovins ont été mieux traités à tous les points de vue. En ce qui concerne le lait, l'autorité locale a prescrit () de former dans chaque tribu, avec l'assentiment des propriétaires, un troupeau modèle de brebis prêtes à agneler ; ces brebis seront confiées à un berger, sous la surveillance du caïd qui s'opposera rigoureusement au sevrage des agneaux. Les troupeaux seront présentés au moment des opérations de la commission pastorale, afin que chaque éleveur puisse bien juger des résultats obtenus. En ce qui concerne la castration, les indigènes n'y sont pas opposés de parti-pris et reconnaissent eux-mêmes ses bons effets; il existe même dans quelques tribus des hongreurs qui la pratiquent en vue de la vente, mais les éleveurs hésitent devant la mortalité causée par les procédés barbares de ces praticiens. Des essais faits sous la direction des vétérinaires pour engager les indigènes à adopter des procédés plus rationnels ont donné les meilleurs résultats. En outre des primes en argent qu'elle distribue, l'administration achète des géniteurs qu'elle met gratuitement à la disposition des communes et des particuliers, ou leur accorde des subventions pour en acheter. (1) COUPUT, p. 100. (2) Proc.-verb. Cons. super., 1903, p. 198 et 377. (3) Rapp. Laghouat n' 4. (4) Rapp. annuel de la division d'Alger, 1904. Il faut, pour l'élevage du mouton, examiner quel est le but principal que l'on se propose et la source de profits que l'on recherche essentiellement. On peut à cet égard distinguer le mouton à laine et le mouton à viande, Wollschaf et Fleischschaf. C'est comme pays lainiers surtout, au moins jusqu'à une époque toute récente, que l'Australie, le Cap, l'Argentine, élevaient de si grandes quantités de moutons. En Algérie au contraire, la production des laines est relativement secondaire. L'Algérie occupe dans le commerce lainier du monde une place presque insignifiante et bien inférieure à ce qu'elle devrait être). Tandis que la France produit 40 millions de kilos de laine, que l'Australie en exporte 300 millions de kilos, l'Argentine 60 millions, le Cap 30 millions, et que la consommation générale du monde dépasse un milliard de kilos, la production annuelle de l'Algérie n'est guère que de 10 millions de kilos. Elle ne fournissait à la France en 1899 que 5,700,000 kilos, sur une importation de 253 millions de kilos. En 1902, l'exportation tombait à 4 millions de kilos; elle s'est relevée, il est vrai, en 1903, à 7,500,000 kilos et en 1904 à 9,700,000. En Tunisie (2), l'exportation lainière est également faible. La question est d'autant plus intéressante que la production des laines d'Australie, du Cap et de l'Argentine, qui, surtout à partir de 1880, avait provoqué une grande baisse des prix, est restée stationnaire depuis 1895, ou a même notablement diminué. Il faut donc s'attendre à un relèvement du prix des toisons. La situation est la même au point de vue du mohair, qui est très demandé, très bien payé, et que les chèvres d'Algérie pourraient produire en abondance. Ce n'est pas que les belles laines, longues et soyeuses, fassent défaut en Algérie. Celles du Sersou (mouton de Chellala) atteignent parfois 100 francs le quintal (3). Mais elles sont trop souvent dépréciées pour divers motifs. (1) COUPUT, p. 131. (2) LUCIEN SACY, Les laines tunisiennes (Bull. Dir. Agric. Tunis, 1901, p. 75). (3) BUGEJA et ROUSSEAU, Bull. d'Alger, 1904, p. 70. Une première cause de dépréciation (1) est le mélange de toutes sortes de laines, depuis la laine fine du mérinos jusqu'à la laine grossière, dure et sèche du berbère qui n'est bonne que pour la matelasserie ou pour la fabrication des draps les plus communs. L'acheteur, au lieu de trouver des lots uniformes, est en présence de toisons de toutes sortes, et, ne sachant exactement quel en sera le rendement, il les paie au prix le plus bas pour être sûr de ne pas se trouver en perte. Le remède est l'amélioration de la race; en attendant qu'il soit appliqué, on obvierait en partie à cet inconvénient au point de vue commercial si chaque propriétaire séparait en autant de lots différents les diverses sortes de laines récoltées par lui; cette simple précaution suffirait pour lui faire vendre sa récolte 5 à 6 p. 100 plus cher. Une autre cause d'avilissement de la laine est le mode employé pour la couper. Les gros exportateurs de moutons qui font tondre au moment de l'embarquement emploient pour procéder à cette opération les instruments les plus perfectionnés. Les colons et les indigènes les plus civilisés emploient les forces, qui sont faciles à entretenir et font un bon travail. Mais, dans bien des régions, c'est encore avec des cisailles ou avec la faucille à moissonner que le mouton est dépouillé de sa toison. Il en résulte une perte sérieuse de laine (10 p. 100 au moins), des blessures sans nombre et un temps bien plus long pour arriver à un travail tout à fait inférieur. L'emploi des forces, s'il était généralisé, constituerait une modification très heureuse dont il faut à tout prix faire comprendre l'utilité aux indigènes (2). Ils montrent peu d'empressement à cet égard, prétendant qu'avec la tondeuse on ne laisse pas assez de laine au mouton pour lui permettre de supporter les intempéries. Mais la tonte se pratique à la fin du printemps, époque à laquelle la température s'adoucit, et d'ailleurs la tondeuse est employée avec succès dans le Tell (3), Une troisième cause de mévente bien plus importante, c'est la quantité tout à fait anormale de corps étrangers que contiennent les toisons et qui y ont été mêlées soit naturellement, soit par fraude. Il est hors de doute que les troupeaux qui pâturent dans (1) COUPUT, p. 151. (2) COUPUT, p. 152. (3) Rapp. division d'Alger, 1901. |