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Mécheria, moins aptes à la guerre, aussi bien contre nous que pour nous. Chez les grands nomades pasteurs, la fonction essentielle du chameau est son rôle dans la migration pastorale, pour le transport de la tente. Ici, le chiffre du troupeau ne saurait descendre au-dessous d'un certain taux (deux chameaux par tente); ni le cheval, ni le mulet ne sauraient le remplacer. Chez les véritables Sahariens, le chameau est tout le cheptel et sert à tout: animal de selle et animal de bât, bétail donnant, comme dit le rapport d'El-Oued, le lait, la laine, le cuir et la viande, indispensable pour les randonnées perpétuelles des Chaanba et des Touareg à travers les étendues immenses, comme pour le transport des dattes et le ravitaillement en céréales.

En dehors du Sahara proprement dit, on peut envisager sa diminution et son recul sans trop de regrets. Il serait facile, si on le désirait, d'encourager son élevage en modifiant l'impôt auquel il est assujetti. Le rapport de Chellala attire avec raison l'attention sur ce fait que le prix de l'impôt (4 fr.) est singulièrement élevé pour un animal qui rapporte aussi peu que le chameau et dont le prix n'est en temps normal que de 100 à 125 francs. Si on compare ce prix à celui auquel est imposé le mouton, 0 fr. 20 c., on voit que la proportion est loin d'être gardée. Le mouton se vend en effet de 19 à 25 francs en moyenne. En outre, le chameau est soumis à la lourde charge des prestations, auxquels les bestiaux tels que le boeuf et le mouton sont soustraits. Mais le chameau est mal vu de l'autorité, parce qu'il permet aux tribus de se dérober par la fuite. Très nuisible à la végétation arborescente, ennemi de toute culture, son recul dans les steppes est un des symptômes de l'évolution du nomadisme.

(1) Rapp. Chellala no 1.

CHAPITRE V

L'INDUSTRIE PASTORALE (SUITE).

LE MOUTON.

Moutons et chèvres.

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I. Conditions de l'élevage du mouton dans les steppes. Variations du troupeau. II. Améliorations à apporter à l'industrie pastorale. A). Races ovines. B). Méthodes d'élevage. C). Question des laines. D). Mouton à viande : commerce, engraissement, élevage. E). Clavelisation. Exportation frigorifique. F). Accès au littoral. Embarquement. III. Moyens d'accroître les ressources des terrains de parcours. A). Augmentation des ressources en eau. B). Amélioration des pâturages. C). Abris et réserves.

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Ce n'est ni sur le cheval, ni sur le chameau, ni sur le bœuf que repose, au point de vue économique, l'existence des habitants des steppes algériennes, mais sur l'élevage du mouton et de la chèvre qui accompagne le mouton en proportion plus ou moins forte.

Il y a peu de chose à dire de l'élevage de la chèvre. D'après Graberg de Hemsö(1), les Berbères auraient une préférence pour l'élevage des chèvres, les Arabes pour celui des moutons. Mais cette particularité ethnographique n'est nullement démontrée. On compte en Algérie 3,563,000 chèvres en 1900, 3,923,000 en 1901, 4,256,000 en 1902, 5,030,000 en 1903, 4,083,000 en 1904. L'augmentation du nombre des chèvres par rapport à celui des moutons dans une tribu doit être regardée comme un signe fâcheux. On sait combien la chèvre est nuisible à la végétation arborescente; aussi a-t-on proposé de décourager l'élevage en

(1) GRABERG DE HEMSÖ, Das Sultanat Mogrib, Stuttgart, 1833, in-8°, p. 85.

augmentant l'impôt dont il est frappé). Les animaux de race caprine ne font pas l'objet de transactions commerciales; les indigènes dédaignent même en général d'utiliser la viande dans leur alimentation. Les chèvres fournissent de lait leurs propriétaires et suppléent à l'indolence des bergers en conduisant les moutons, qui sans elles pacageraient indéfiniment sur le même point. Leur poil, mélangé à celui du chameau, sert à confectionner les tentes (2). On a songé à introduire en Algérie les chèvres angoras(3); en 1857, les Anglais en importaient un petit troupeau au Cap; on en comptait plus de 3 millions en 1899, et le Cap, maître du marché des laines mohair, vendait la même année pour 11 millions de francs de poils (4).

Jusqu'ici, le mouton est la richesse essentielle de la steppe algérienne. Entre le bœuf, animal tellien, et le chameau, animal saharien, le mouton règne dans la zone intermédiaire. C'est l'animal transhumant par excellence; il se trouve très bien de passer l'hiver dans le Sud et l'été dans le Nord. Toute modification dans un sens ou dans l'autre apportée à l'élevage du mouton aura le plus profond retentissement sur l'existence des nomades algériens. En 1892, M. Jules Cambon ordonnait qu'on dressât l'inventaire général des ressources en eau et en pâturages qu'utilisent les tribus pastorales, avec des considérations générales sur la richesse de chaque tribu en troupeaux, sur ses débouchés pour la vente du bétail et des laines. Des rapports, accompagnés de cartes et d'états, dressés sur sa demande par les officiers des Affaires indigènes, est sorti l'ouvrage intitulé le Pays du Mouton, travail d'ensemble faisant connaître, au moyen de renseignements précis, les conditions dans lesquelles se pratique l'élevage du mouton sur les Hauts-Plateaux et dans le Sud de l'Algérie. C'est à cet ouvrage qu'il faut surtout recourir pour l'exposé de la question ovine. En 1896, une commission fut constituée par le Gouverneur général pour étudier et préparer la solution des questions intéressant le développement de l'industrie pastorale; cette commission, qui s'est réunie du 26 août 1896 au 4 mars 1901, a surtout traité les questions de la clavelisation et

(1) V. ci-dessus p. 46. Comm. d'ét. forest., p. 32 et 134.

(2) MATHIEU et TRABUT, Plateaux oranais, p. 41.

(3) Bull. d'Alger, 1905, p. XVIII.

(4) COUPUT, p. 132.

des croisements. Enfin, en 1904, M. Jonnart a prescrit une étude ayant pour objet de dresser un inventaire complet et détaillé des ressources en pâturages et en eau qu'offrent les différents terrains de parcours de la colonie, et de rechercher les moyens à mettre en œuvre pour assurer l'amélioration et l'augmentation de ces ressources. Les rapports des communes mixtes, cercles et annexes sont présentement dépouillés et aboutiront à l'établissement d'une carte des pâturages, puis d'un programme sommaire de travaux classés par ordre d'urgence et pour lesquels les communes, qu'on chargera directement de l'exécution, pourront toucher des subventions(1).

Nous exposerons d'abord les conditions de l'élevage du mouton dans les steppes, puis nous indiquerons quelles améliorations il paraît possible d'y apporter, tant en ce qui concerne l'amélioration de la race et des méthodes d'élevage qu'en ce qui regarde la quantité de moutons à produire ou à exporter.

I

« L'élevage du mouton, dit M. Couput (2), se pratique en Algérie dans deux régions absolument différentes dans l'une, des pluies à peu près régulières, une végétation printanière luxuriante, un climat tempéré permettent à une population sédentaire de faire des approvisionnements pour assurer l'alimentation des animaux; pendant la saison sèche, même au plus fort de l'été, les eaux sont en quantité suffisante pour assurer l'abreuvement régulier des troupeaux. Dans l'autre, de vastes steppes sans arbres, où bêtes et gens sont forcés d'aller au gré des saisons des plaines du Sahara aux contreforts boisés du Tell. »

En somme, il faut distinguer l'élevage extensif ou transhumant de l'élevage intensif, de même qu'en Espagne on distingue les moutons sédentaires (lanar estante) des moutons transhumants (lanar transhumante)). Dans le Tell, l'élevage du mouton tient simplement sa place dans les exploitations agricoles,

(1) Délégations financières, session de mars 1905, no 2, Colons, p. 228. (2) COUPUT, Espèce ovine, p. 11.

(3) La Ganaderia en España, t. I.

place très grande, parce que l'Algérie se prête peu à l'élevage des bêtes à cornes, mais non exclusive. Dans les steppes, le mouton seul permet à l'homme de tirer parti des maigres ressources du sol. De ce que l'on ne peut faire que du mouton dans les pays à transhumance, il ne s'en suit pas que l'on ne puisse faire du mouton ailleurs que dans ces pays(). Qu'il s'agisse de l'augmentation des effectifs, du choix de la race la plus productive ou de toute autre question « moutonnière », on comprend que les divers problèmes se présentent d'une manière tout à fait différente suivant qu'il s'agit de l'élevage transhumant ou de l'élevage tellien. De même qu'il y a des transitions et des points de contact entre le Tell et la steppe, il y a des transitions et des points de contact entre l'élevage transhumant et l'élevage sédentaire, points de contact fort intéressants au point de vue du rôle que pourraient jouer les Européens dans le « pays du mouton », mais qui n'empêchent pas les conditions de l'élevage de différer dans les deux contrées.

Il faut remarquer tout d'abord que la production du mouton a plus d'importance absolue, tout en ayant moins d'importance relative, dans le Tell que dans les steppes. En 1904, il existait 4,900,000 moutons en territoire civil et 3,700,000 en territoire militaire (2). Si l'on défalque du chiffre du territoire civil les troupeaux transhumants qui vivent dans la région sud de certaines communes mixtes, on constate qu'il existe à peu près autant d'animaux dans les pays à transhumance obligatoire que dans ceux où elle est inconnue ou facile à supprimer.

Le troupeau ovin est sujet en Algérie à de très grandes variations, comme le montre le diagramme ci-joint (3). En 1887, on a dénombré 10,854,000 têtes: c'est le chiffre le plus élevé qui ait été atteint depuis 35 ans. En 1868 et en 1882, le chiffre du troupeau est descendu vers 4 ou 5 millions. Jusqu'en 1892-93, on dépasse 9 millions, pour redescendre à 6 millions en 1900. Les chiffres des dernières années sont les suivants():

(1) COUPUT, p. 58.

(2) Statistique générale de l'Algérie, 1904.

(3) Emprunté au Pays du Mouton jusqu'à 1893 et prolongé jusqu'à 1905. (4) Exposé de situation de l'Algérie, 1903, p. 241; 1904, p. 306. En Tunisie on compte 1 million de moutons en 1904 (Bull. Dir. Agric. Tunis, 1905, p. 176).

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