Images de page
PDF
ePub

sortes de galettes qui servent de combustible. Après les pluies, ces enclos deviennent de véritables cloaques, où les bêtes sont dans la boue jusqu'au genou.

Diverses améliorations semblent être réalisables en ce qui concerne la nourriture du bétail, auquel on pourrait donner des betteraves, du maïs ensilé, de la luzerne, des céréales ensilées en vert, des feuilles de cactus inerme. La demi-stabulation, la construction d'abris rustiques pour les plus mauvais temps pourraient aussi être utilement pratiquées dans certaines régions. Mais les Européens se livrent peu à l'élevage. Ils se contentent d'acheter à l'indigène pour revendre après engraissement.

Le chiffre de la population bovine de l'Algérie oscille entre 1 million et 1,200,000; dans certaines mauvaises périodes (1867-69, 1877-82, 1896-98), on est tombé bien au-dessous de ces chiffres. Ils ne sont d'ailleurs qu'approximatifs; les statistiques sont faussées, à cause de l'impôt, souvent avec la connivence des caïds), et pour tous les genres de bétail il faudrait majorer les chiffres officiels de 10 à 20 p. 100. D'après la statistique de 1904, il y a en Algérie 1,080,000 bovins, dont 929,000 aux indigènes et 151,000 aux Européens. Sur ce total, Alger compte pour 309,000, Oran pour 303,000, Constantine pour 468,000. En Tunisie, il y a 190,000 bêtes à cornes.

Il y a peu de chose à dire de l'élevage du bœuf en pays de transhumance. Comme il lui faut beaucoup de fourrage et d'eau, tout au moins relativement, on ne le rencontre qu'à l'état d'exception dans les steppes. Cependant, un certain nombre de tribus, dans l'Atlas Saharien (Djebel-Amour, Aurès) ou autour de points d'eau abondants (Taguine) ou au voisinage du Tell (Mécheria), élèvent un certain nombre de bœufs. A la lisière des steppes, notamment dans le Sersou, quelques colons (Cazelles, de Derrag; Poulot, de Vialar) élèvent des boeufs d'une manière sérieuse (2),

En 1904, les bêtes à cornes se répartissaient comme suit entre le territoire civil et le territoire de commandement (3):

(1) Beaucoup de caïds ont pris l'habitude de «manger le zekkat » ; le bach-agha Lakhdar a inventé à ce sujet un néologisme qui ne manque pas de sel : ElKiad iboufou ez-zekkat (Rapp. Djelfa n° 4).

(2) JOLY, notes ms.

(3) Pour le détail par cercle et annexe, voir aux appendices.

[blocks in formation]

Le bœuf ne transhumant pas, l'augmentation du nombre des bœufs dans une région ou dans une tribu a nécessairement pour conséquence de restreindre ses migrations. Les Hamyan, par exemple, qui étaient autrefois de purs Djemala, et qui considéraient avec quelque mépris les Beggara sédentaires, se sont mis à élever des boeufs. Les animaux, achetés de 70 à 80 francs à Marnia, sont vendus, après une courte période d'engrais, 90 à 120 francs à Mécheria ou à Aïn-Sefra. Les profits déjà réalisés et ceux que l'élevage permet d'espérer ont encouragé les indigènes.

Sur le territoire de Chellala, le cheptel de bœufs, qui était de 1,000 têtes en 1881, a monté à 1,800 en 1901, à 2,100 en 1903.

Cependant l'augmentation porte sur des chiffres assez faibles: quelques centaines, quelques milliers de têtes tout au plus, suivant les circonscriptions. En outre, il ne faut pas trop se hâter de considérer l'augmentation comme définitive; un hiver rigoureux ou une sécheresse ont vite ramené le troupeau aux chiffres antérieurs. Dans le cercle de Tiaret par exemple, on comptait 9,000 bœufs en 1900, 13,000 en 1903: on retombe à 9,000 en 1904. A Aflou, on a 5,000 bœufs en 1900, 11,000 en 1903, 8,000 en 1904.

En somme, l'augmentation du nombre des bœufs et le progrès de leur élevage ne sont possibles que dans une mesure restreinte et sur des points limités. Les purs Sahariens resteront toujours et nécessairement des Djemala.

[merged small][ocr errors][merged small]

Nous n'avons pas à traiter ici la question de l'origine des chevaux de l'Afrique du Nord. Il semble que, de même qu'on trouve

(1) Rapp. Mecheria no 4.

dans cette contrée des Berbères et des Arabes, on y rencontre des chevaux barbes ou berbères et des chevaux syriens ou arabes. « Vous me dites, écrivait l'émir Abd-el-Kader au général Daumas (1), que l'on vous soutient que les chevaux de l'Algérie ne sont point des chevaux arabes, mais des chevaux berbères; c'est une opinion qui se retourne contre ses auteurs: les Berbères sont Arabes d'origine. » Quoi qu'il en soit, les chevaux de l'Afrique du Nord sont, comme leurs maîtres, un mélange de Berbères et de Syriens; on ne sait trop si les différences qu'ils présentent tiennent à la différence entre les chevaux de montagne et les chevaux de plaine ou aux races dont ils descendent. D'une manière générale, le barbe doit se retrouver à l'état de pureté dans les pays montagneux où se sont retirés les Berbères, mais comme la montagne ne lui convient pas et que les montagnards ont plutôt besoin de mulets que de chevaux, il y a perdu toutes leurs qualités (2). Le cheval des steppes du Sud, au contraire, a beaucoup des qualités du Syrien. C'est dans la province d'Oran qu'on trouve encore les plus jolis, les plus gracieux et les meilleurs chevaux de l'Algérie. Quant à la question de savoir si le pur-sang anglais est propre à améliorer la race chevaline en Algérie, elle a fait couler des flots d'encre, comme celle du mérinos pour le mouton. D'aucuns déclarent qu'il n'est pas assez sobre et rustique, et il semble que les essais de croisement des chevaux indigènes soit avec des pur-sang anglais, soit avec des Syriens, n'ont guère réussi. Il ne faut pas oublier en tout cas qu'il est impossible de transformer une race d'animaux quelle qu'elle soit sans améliorer en même temps les cultures et les pâturages (3).

On sait assez quel rôle 'considérable jouait le cheval dans la vie des indigènes avant la conquête française, surtout en Algérie. Ce rôle était beaucoup moindre au Maroc et en Tunisie, précisément parce que le cheval est essentiellement un animal des steppes. Le livre de Daumas" est classique en ce qui concerne

(1) DAUMAS, Les chevaux du Sahara, p. 267. M. S. REINACH (Recueil de Constantine, t. xxxv, 1902, p. 71) estime au contraire que le cheval arabe du Hedjaz est originaire d'Afrique et non d'Asie.

(2) AUREGGIO, Les chevaux du nord de l'Afrique, in-8°, Alger, 1893, p. 98-100. (3) AUREGGIO, p. 193.

(4) DAUMAS, Les chevaux du Sahara, avec commentaires de l'émir ABD-ELKADER, 6 édit., in-18, Paris, 1864.

les chevaux de l'Algérie; on y trouve rapportés les nombreuses poésies, proverbes, etc., qui témoignent de l'affection de l'indigène des steppes pour son cheval(1). Le prophète a d'ailleurs fait des soins à donner au cheval une obligation de la vie musulmane(2); bien qu'il ait défendu sévèrement l'or pour les vêtements des croyants, il a au contraire autorisé et prescrit le luxe des armes et des chevaux.

Le cheval est plus difficile à nourrir que le mouton et même que le bœuf. Ou lui donne de l'orge lorsque les pâturages manquent; il boit une fois par jour en hiver, deux fois en été. On donne du lait aux poulains, et aussi aux juments au printemps; elles arrivent au douar à heure fixe (onze heures) pour boire ce lait : c'est une des plus charmantes scènes de la vie nomade.

Il y avait, en Algérie, en 1904 :

229,000 chevaux, dont 178,000 aux indigènes (28,000 en territoire de commandement);

173,000 mulets, dont 131,000 aux indigènes (9,000 en territoire de commandement);

264,000 ânes, dont 259,000 aux indigènes (56,000 en territoire de commandement).

L'élevage du cheval est tout à fait en décadence en Algérie. C'est qu'il était essentiellement un animal de guerre. L'émir Abdel-Kader l'a parfaitement indiqué: « Il est dans les mœurs et dans la nature des Arabes, dit-il (3), depuis les temps les plus reculés, de se faire la guerre les uns aux autres, ainsi qu'aux nations voisines. L'Arabe pauvre a donc besoin d'un cheval pour tomber sur les biens de son ennemi, s'en emparer et s'enrichir, comme l'Arabe riche a également besoin du cheval pour protéger sa fortune et sa tête. Les Arabes disent : « Le cheval est le milan, et le chameau la proie. La proie qui est dans les serres du milan ne peut être sauvée que par d'autres milans. Lorsqu'une veuve

(1) « Le paradis est sur le dos du cheval ou entre les seins d'une femme »......... « Une selle, une bride, et la vie pour l'Islam », etc.

(2) DAUMAS, p. 8, 18-19, 41-42, 189, 270, 278. « Le bonheur, les récompenses éternelles et un riche butin sont nouės au toupet de vos chevaux jusqu'au jour de la résurrection. »... «Celui qui entretient un cheval pour la guerre sainte dans la voie du Dieu très haut augmente le nombre de ses bonnes œuvres. »

(3) Tableau des établissements français, 1852-54, II, p. 981.

dans le désert est propriétaire de 20 chameaux, sa tribu la force à acheter un cheval destiné à les protéger. Un parti ennemi vient-il à fondre sur les chameaux, l'usage veut que cette femme donne son cheval au guerrier qui l'a monté et les a sauvés. Chez les Arabes, les chameaux ne peuvent appartenir qu'à ceux qui savent les défendre ».

Depuis la pacification, l'indigène n'a plus à songer à faire des incursions chez ses voisins, ni à se défendre contre les attaques des tribus autrefois ennemies. Peu à peu il renonce à l'élevage du cheval de guerre ou de luxe, qui exige beaucoup de soins et ne rapporte souvent qu'un produit relativement faible. Au fur et à mesure que progresse la colonisation franco-européenne en Algérie, on voit dans les mêmes proportions diminuer l'élevage du cheval et augmenter l'élevage des bêtes à cornes et du mulet(1). En Tunisie également, l'indigène n'a plus rien du guerrier; il ne monte plus à cheval, il a transformé son coursier en porteur et en animal de charrue; il l'a laissé s'abâtardir et s'est adonné à l'élevage du mulet, animal moins délicat, d'un placement plus sûr et d'un prix rémunérateur. Très rustique et très sobre, le mulet peut, avec un minimum de soins, dès l'âge de trente mois, payer sa nourriture par un travail modéré. D'autre part, une tare, une imperfection de forme ne le déprécie pas comme le cheval (2). L'élevage du cheval est un luxe, et un luxe qui tend à diminuer beaucoup. Disparu aussi l'éclat des beaux équipements; il n'était pas rare autrefois de voir un chef indigène avec une selle de deux à trois mille francs. On a pu encore admirer quelquesuns de ces harnachements somptueux à la revue du Kreider, passée par le Président de la République en 1903, ou à l'exposition d'art musulman d'Alger de 1905. Mais la plupart des indigènes ne soignent plus guère que le djlel (couverture qu'on met au cheval au repos) et la musette à orge. La décadence de la race chevaline est une conséquence naturelle de la paix (3):

Dans les conditions actuelles, le cheval n'est plus comme autrefois indispensable à l'indigène; il est certain qu'il devient de plus en plus un objet de luxe conservé jusqu'ici par habitude; les années de disette

(1) AUREGGIO, p. 230-232.

(2) Délégations financières, mai 1903, n° 2, p. 110."

(3) Rapp. Khenchela no 1. Cf. VAISSIÈRE, Les Ouled-Rechaïch, p. 52.

« PrécédentContinuer »