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pâturages du Sahara et se transporter sur les points où ils sont bons. Pendant l'été, les nomades remontent vers le Tell pour placer leurs familles et leurs troupeaux sous un climat plus tempéré. Ceux qui ont des chameaux chargent leurs tentes, ceux qui n'en ont pas en louent; on en voit même qui, peu fortunés, font leur déménagement sur les deux ou trois ànes qui constituent tout leur bien. L'estivage est nécessaire au nomade du Sud; ses troupeaux ne résisteraient pas à la chaleur torride du Sahara et à la sécheresse. Tout son effort est concentré sur ses troupeaux, qui constituent son meilleur revenu, et, dans ces conditions. il ne peut pas se fixer au sol.

Aucun changement non plus à Tkout (indigènes fixés au sol depuis longtemps), ni aux Ouled-Djellal (pas de cultures).

A Touggourt (1), aucun changement appréciable n'est survenu dans les mœurs des nomades depuis quelques années, tant chez ceux qui estivent sur les Hauts-Plateaux que chez les véritables Sahariens. II faut attribuer cet état de choses non seulement au caractère des indigènes, mais surtout à la nature du pays dans lequel ils sont appelés à vivre. Les tribus qui estivent dans le Sahara n'ont aucune terre de labours, et il n'est pas possible de leur en donner; il n'y a donc pas à espérer parvenir à les sédentariser; celles qui estivent dans le Tell ont des terres de culture dans la partie nord de la région saharienne, mais elles ne sont réellement cultivables que dans les années exceptionnelles.

A El-Oued (2), un grand nombre de Troudis ont fixé leur demeure en permanence au Souf pour surveiller leurs palmiers ou pour s'y livrer à un négoce quelconque, mais ce sont pour la plupart des gens assez aisés, des gens âgés et qui ont en tout cas toujours la plus grande partie de leur famille dans le Sahara en hiver et au printemps; ou bien ce sont au contraire des gens trop pauvres pour aller dans le Tell, où ils n'ont ni troupeaux, ni chameaux pour transporter leur tente à la suite de leurs troupeaux. Il ne paraît pas y avoir d'autre modification importante à ce point de vue que le nombre de plus en plus considérable des gens de la deuxième catégorie, à la suite des années de misère que vient de traverser le pays. Si la prospérité revient, le nombre de ces sédentaires forcés diminuera... Les indigènes du Souf s'efforcent de reconstituer leur cheptel de moutons, et ils y parviennent plus vite que pour les chameaux, en raison de la rapidité de reproduction de cette race dans les bonnes années; mais, en raison de la nature du pays et de ses pâturages, l'élevage du mouton restera toujours forcément assez limité dans le Sud et ne pourra jamais supplanter l'élevage du chameau ni y suppléer. Il y a mème lieu d'ajouter qu'il ne paraît pas désirable que les indigènes abandonnent trop la vie nomade, car la seule conséquence

(1) Rapp. Touggourt n° 1.

(2) Rapp. El-Oued n° 1.

de cette modification serait l'inutilisation de vastes espaces qui ne peuvent servir qu'au pacage de troupeaux sans cesse en mouvement comme les nomades seuls savent tenir les leurs.

En Tunisie comme en Algérie, les indigènes, par suite de la sécurité, n'ont plus besoin d'être groupés en smala comme jadis. Lorsqu'il est nécessaire de mener les troupeaux au loin, ceux-ci partent seuls, sous la conduite de quelques bergers. La transhumance s'effectue tout au plus par groupes de 10 à 12 tentes, qu'on trouve tantôt à un endroit, tantôt à un autre, là où il a plu et où il y a de l'herbe (1).

En somme, une transformation lente mais incontestable se produit dans les mœurs, les habitudes et la façon de vivre des tribus nomades soumises à notre autorité. Cette transformation, comme on pouvait s'y attendre, est surtout sensible chez les tribus à demi-agricoles de la lisière du Tell. Deux phénomènes sont à distinguer: 1o Les migrations ont diminué d'amplitude et de fréquence. Peu à peu, les parcours se resserrent; les tribus, les fractions s'isolent davantage les unes des autres. Les transhumances s'exécutent par fractions moindres, et les troupeaux divisés trouvent, sans se déplacer autant, des pâturages suffisants. Cette tendance est surtout marquée dans la division d'Oran; cependant, on la constate aussi sur certains points de l'annexe de Barika et dans les cercles de Khenchela et de Tébessa. 2o Sans renoncer à faire transhumer les troupeaux, on les confie à des bergers. On « divise la tente », selon l'expression consacrée. C'est ici un des points essentiels mis en lumière par l'enquête. Confier les troupeaux à des bergers, c'est peu de chose en apparence c'est en réalité la fin de la vie en tribu, à laquelle se substitue la division du travail. Si garder les moutons et les faire transhumer devient un métier, c'en est fait de la vraie vie nomade pastorale. Cette modification a des conséquences sociales de premier ordre. Elle nous permet de distinguer la transhumance du nomadisme. Il y a toujours des troupeaux transhumants en Espagne, en Italie, en Provence: il n'y a plus dans ces pays de nomades au sens algérien, c'est-à-dire de tribus entières se déplaçant selon les saisons. Il est possible de réduire en Algérie dans une certaine mesure le nomadisme, en confiant les trou

(1) MONCHICOURT, notes ms.

peaux à des bergers. Mais il paraît impossible d'y supprimer la transhumance, à moins de laisser inutilisés les pâturages des steppes et du Sahara septentrional, tout le « pays du mouton ».

Entre les indigènes du Tell qui peuvent se livrer à l'agriculture et les indigènes du Sahara proprement dit qui n'ont pas de troupeaux ou ont surtout des chameaux, se trouve une large zone de populations pastorales dont l'élevage du mouton fait la richesse et qui jouent un rôle très important dans la vie économique de l'Algérie. Ce sont les indigènes pasteurs de moutons, chez lesquels l'élevage l'emporte sur l'agriculture, et qui effectuent des déplacements saisonniers en vue des nécessités de la vie pastorale.

C'est de ceux-là surtout que nous allons nous occuper désormais, en les suivant dans les diverses manifestations de la vie nomade. Nous verrons quels caractères ont chez eux l'industrie pastorale, l'agriculture, les échanges. Nous indiquerons quelles sont les conditions de leur vie matérielle et sociale, et nous * rechercherons, pour chacun de ces ordres de faits, quelles modifications se sont produites ou paraissent pouvoir se produire à l'avenir.

CHAPITRE IV

L'INDUSTRIE PASTORALE.

LE BOEUF, LE CHEVAL, LE CHAMEAU.

I. Le bœuf. II. Le cheval et le mulet.

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III. Le chameau; diminution du troupeau à la suite de l'expédition du Touat: sa reconstitution; évolution de l'élevage du chameau.

Ce sont les nécessités de l'industrie pastorale qui rendent compte des migrations des nomades. En quoi consiste cette industrie pastorale, quel est son état actuel, quelles sont les modifications qu'elle a subies, de quelles transformations elle pourrait encore être susceptible, c'est ce qu'il convient de rechercher. Nous passerons en revue successivement l'élevage du boeuf, celui du cheval, celui du chameau, enfin celui du mouton, en insistant surtout sur ce dernier, de beaucoup le plus important pour les nomades.

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De même qu'il y a toute une série de degrés intermédiaires entre les indigènes complètement sédentaires et les grands nomades, des transitions successives conduisent des Beggara aux Djemala, c'est-à-dire des gens du Tell éleveurs de bœufs aux gens du Sahara éleveurs de chameaux.

Le bœuf de l'Afrique du Nord constitue, d'après Sanson, une variété de la race ibérique. Quelques auteurs (1) admettent une

(1) BONNEFOY, Espèce bovine, in-8°, Alger, 1900.

autre race dite asiatique; mais ils semblent inspirés surtout par un désir de parallélisme : il y aurait deux sortes de bœufs dans l'Afrique du Nord, de même qu'on y trouve le Berbère et l'Arabe, le cheval barbe et le syrien, le mouton à grosse queue et le mouton arabe; on n'apporte guère de preuve à l'appui de cette

assertion.

Il existe en tout cas plusieurs sous-races, dont les meilleures sont celles de Guelma et du Maroc occidental. La première habite la région comprise entre Guelma, Constantine et Bordj-bouArreridj, la seconde le pays des Zaïr et des Zemmour d'une part, celui des Doukkala et des Chaouïa d'autre part (1). Si l'on remarque que ces régions sont parmi les mieux arrosées de la Berbérie, et celles par suite qui se prêtent le mieux à l'élevage du bœuf, on sera amené à penser que les différences entre les bêtes bovines, dans l'Afrique du Nord comme ailleurs, sont essentiellement dues. à la diversité des conditions locales: tel sol, tel fourrage; tel fourrage, tel bétail (2), Le plateau de Constantine est aussi la région où les croisements avec les races européennes, Schwytz, Salers, Charolais même, ont le mieux réussi. Ailleurs, il faut, semble-t-il, préférer la sélection.

Le bœuf de l'Afrique du Nord est très petit, de la taille d'un gros chien. Naturellement, un boeuf algérien de 250 kilogs ne peut produire l'effort de traction d'un Salers de 600 kilos. Mais ces animaux sont d'une endurance et d'une sobriété remarquables.

«Que celui qui t'a créé te nourrisse », disent les indigènes à leurs bêtes. Les veaux sont souvent privés de lait ; aussi ont-ils un aspect lamentable. Les pratiques d'élevage sont un peu meilleures dans le nord et l'est du département de Constantine; on donne aux bêtes à cornes du teben (paille broyée), des feuilles, dans les montagnes des glands(); au Maroc, on leur donne parfois des fèves et du maïs. Les indigènes n'abritent pas les bœufs ; ils les enferment la nuit dans des parcs, clos avec des épines de jujubier (zeriba) ou des pierres sèches. Les femmes, avec la bouse de vache recueillie dans ces parcs, confectionnent des

(1) G. DEHORS, Le commerce de la viande à Tanger (Bull. Afr. frang., 1905, Suppl., p. 353).

(2) Ann. de Géogr., 1903, p. 450. (3) BONNEFOY, p. 29.

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