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dans une certaine région où ils trouvent..... les ressources en pâturage et en eau nécessaires à leurs troupeaux. Pour ces raisons diverses, les indigènes se sont peu à peu déshabitués des grandes migrations, ils ont restreint d'une manière insensible chaque année, mais constante, le cycle de leurs évolutions périodiques, et ils sont arrivés à vivre dans un rayon très limité, s'arrêtant la plupart du temps aux limites administratives que nous avons créées..... Au temps où les tribus pillardes ou quelques malfaiteurs groupés vivaient du produit de leur butin, il fallait prendre des précautions pour défendre sa vie et ses biens, les douars comportaient une assez grande agglomération de tentes ayant toutes leurs troupeaux réunis. Dans ces conditions, les pâturages d'une région étaient vite épuisés, il fallait décamper au bout de peu de temps. Aujourd'hui, nous n'avons pour ainsi dire plus à redouter ces incursions, qui semaient sur leur passage la mort et la ruine, les tentes se sont disséminées par petits paquets, suivant les alliances ou les sympathies, et les troupeaux réduits ont pu trouver leur nourriture dans des pâturages qui se renouvelaient constamment. Ils n'ont plus senti la nécessité de se déplacer si souvent et ils ont fini par se fixer davantage au sol, près des terrains qu'ils ont pris l'habitude d'ensemencer régulièrement.

A El-Aricha (1), les tribus s'attachent moins au sol, parce que le climat est moins favorable à la culture et que l'élevage reste forcément la principale ressource. Cependant, on observe une diminution dans le nombre des douars qui se déplacent, diminution très peu sensible, il est vrai.

A Mécheria (2), il y a des symptômes très nets d'une évolution des Hamyan vers la vie sédentaire et vers l'abandon des habitudes nomades. On note... une moindre fréquence des migrations, une réduction de leur étendue, la rareté des séjours dans le Sahara. Avant notre occupation, le libre cours donné à leurs inclinations naturelles, à leur penchant au pillage, aux coups de main, et, d'autre part, le besoin d'assurer leur sécurité, de repousser les incursions des tribus ayant les mêmes instincts, les avaient maintenus dans un état guerrier, une ardeur au combat qui ont fait place de nos jours à des tendances plus paisibles. L'insécurité était constante; les conflits entre tribus entretenaient une inquiétude sans cesse renouvelée. Les expéditions, les rapts de troupeaux et les représailles que ces manifestations de la violence entraînaient rendaient nécessaire une extrême mobilité des campements. Après une attaque fructueuse sur un voisin insuffisamment gardé, il fallait se mettre à l'abri d'un retour offensif. Dans ce but, la tribu se transportait rapidement sur des points opposés; ses traces étaient ainsi dissimulées à ses ennemis. L'étendue et la fréquence des migrations avaient également pour cause la

(1) Rapp. El-Aricha no 1.

(2) Rapp. Mécheria no 1 (note annexe de l'interprète MARCHAND).

rareté des points d'eau. La zone de dépaissance autour de chacun de ces points était restreinte, afin d'éviter l'éloignement des redirs où les troupeaux pouvaient s'abreuver, et l'insécurité interdisait la création de points d'eau au milieu des pâturages inutilisés. La tribu était donc continuellement en marche, avec des campements de très courte durée. Par suite de la sécurité résultant de notre établissement dans le pays, ces conditions d'existence ont changé ; les migrations soudaines, la fuite sous la menace d'une incursion se sont faites de plus en plus rares. En même temps, les travaux hydrauliques exécutés permettaient l'extension des zones de pâturage et un plus long séjour sur chaque pâturage. L'abondance des herbages devenus utilisables a été une des causes de la diminution des déplacements vers l'Oued Namous et le Sahara. Enfin, grâce à la sécurité résultant de notre présence parmi eux, les nomades peuvent sans inquiétude confier leurs troupeaux à des bergers. Ceux-ci se déplacent pendant des mois sur toute l'étendue des pâturages; isolés de la tribu qui les emploie, ils ne s'en rapprochent qu'au printemps, au moment de l'agnelage.

En somme(1), il serait très exagéré de dire des Hamyan qu'ils se fixent au sol. Ils sont encore très nomades, et le resteront très longtemps, mais il est incontestable que l'amplitude de leurs migrations a très considérablement diminué. Ils paraissent avoir à peu près définitivement abandonné le Sahara, et sur les Hauts-Plateaux même, ils restent souvent six mois sans changer de campement. Les raisons en sont que leur sécurité n'est plus guère menacée ; que le luxe (un luxe relatif) les envahit et les encombre; qu'ils peuvent sans crainte laisser les troupeaux s'éloigner de leurs tentes sous la conduite des seuls bergers; qu'ils ont de plus en plus d'affaires avec les centres européens, affaires de commandement, de justice, de commerce, et qu'ils évitent par suite de s'en éloigner beaucoup, enfin que nous avons aménagé des points d'eau qui satisfont plus régulièrement à leurs besoins.

A Saïda (2), on constate que les mœurs des nomades se modifient dans une certaine mesure et qu'ils tendent, autant que cela est compatible avec leurs besoins, à se fixer au sol. Cette évolution est attribuée: 1° à notre organisation administrative, nos limites de cercles et de communes portant des entraves perpétuelles aux migrations des troupeaux et gênant ainsi leur accroissement; 2° à notre contact, qui a fait naître chez les plus intelligents et les plus fortunés le désir de nous imiter et de profiter de nos enseignements, tandis que les malheureux, les paresseux et les vicieux, attirés par les agglomérations, pensaient y travailler ou user des plaisirs qu'on y rencontre. Cette transformation ne se produit que dans les tribus de la lisière du nord du territoire militaire. Cependant, chez les vrais nomades même, les

(1) Rapp. du Commandant supérieur de Mécñeria. (2) Rapp. Saïda no 1.

indigènes aisés et leurs khammès prennent des habitudes plus sédentaires que par le passé, et sont tenus de se séparer presque en permanence de leurs troupeaux.

A Tiaret (1), les indigènes du cercle, qui exploitent dans le Sersou des terrains éminemment colonisables, sont désireux de se fixer dans cette région... Ils conserveraient chez eux en permanence les espèces chevaline et bovine et enverraient l'hiver leurs troupeaux de chameaux, de moutons et de chèvres jusqu'au Chott sous la surveillance de bergers vivant sous la petite tente.

A Aïn-Sefra, Géryville, Aflou, on n'observe pas de modification. Cependant les Ouled-Yagoub-Zerara d'Aflou tendent à utiliser les pâturages de l'Oued Zergoun plus qu'ils ne le faisaient par le passé.

A Djelfa (2), les indigènes sont à la fois pasteurs et agriculteurs, mais surtout pasteurs. Leurs habitudes séculaires de migration annuelle, pour lesquelles aucune modification n'est à prévoir, reposent sur la nécessité de mener de front leurs travaux agricoles et la conservation de leurs troupeaux. Quand vient l'hiver, quand le mauvais temps commence sur les Hauts-Plateaux dont l'altitude varie de 1,000 à 1,350 mètres, le chef de la tente, et cela dans la majorité des cas, descend dans les parcours du Sud avec tout son cheptel, mais il laisse sur place soit un membre de sa famille, soit des khammès pour achever les labours commencés. Puis, ces derniers rejoignent la tente au sud de l'Oued Djedi, quand les travaux sont finis. Le rapport ne dit pas si le nombre de ceux qui restent ainsi sur place tend à s'accroître; il constate cependant chez les tribus du nord du cercle une tendance à s'éloigner moins de leurs labours.

A Chellala (3), on estime que la façon de vivre des indigènes n'a pas varié. Ils effectuent leurs transhumances comme par le passé, parce qu'elles sont une des conditions mêmes de leur existence. Cette nécessité même n'a fait qu'augmenter, puisque l'argent distribué à la suite des convois de réquisition a été employé en grande partie à acheter des bêtes de race ovine. La fixation au sol n'est pas plus accentuée à peu de chose près qu'elle ne l'était autrefois. Telles étaient leurs mœurs il y a vingt ans, telles elles sont restées actuellement. (Il est vrai que l'évolution n'avait pas à se produire, par la raison quelle s'était déjà produite.) Depuis longtemps déjà les gens de l'annexe de Chellala étaient attachés au sol d'une façon définitive.

A Boghar (4), l'indigène est attaché à la terre, du moins pendant la

(1) Rapp. Tiaret n° 1.
(2) Rapp. Djelfa no 1.
(3) Rapp. Chellala n° 1.
(4) Rapp. Boghar no 1.

période des cultures (d'octobre à mai); mais, la moisson terminée, il n'oublie pas qu'il est aussi pasteur, et il se met à la recherche de pâturages pour ses troupeaux. A ce moment, les premiers siroccos ont détruit l'herbe dans les Hauts-Plateaux ; il gagne le Tell et s'installe à deux journées de marche, dans les communes de Boghari et de Berrouaghia, où il trouve en même temps à s'employer comme moissonneur. Cette migration passagère n'est pas incompatible avec l'idée de stabilité découlant de la possession d'un immeuble.

A Sidi-Aïssa (1), les sept tribus qui composent le territoire de l'annexe ne sont pas des tribus nomades. Quelques familles se déplacent, il est vrai, mais elles ne sortent pas de leur tribu et campent toujours sur des points bien déterminés sur lesquels les étrangers ne sont pas admis. Chez les Adaoura, si les troupeaux vont påturer dans les parcours sur lesquels il ont des droits de pacage, ils les confient à leurs bergers, mais ne se déplacent pas pour les suivre comme le font les vrais nomades.

A Bou-Saâda (2), il n'y a pas de grands nomades et les transhumances à parcours restreint que les indigènes effectuent ne peuvent disparaître complètement. Mais il est à remarquer que, pendant les années qui offrent un hiver et un été peu excessifs, les indigènes qui transhument sont bien moins nombreux. Cela semblerait indiquer que s'il trouvait sur le sol qu'il habite toutes les conditions d'existence qui lui sont nécessaires, le nomade indigène ne transhumerait pas.

A Laghouat (3), les mœurs des nomades ne se sont pas modifiées. Les Larbà émigrent dans le Tell à la fin du printemps, ainsi qu'ils le font depuis les temps les plus reculés, ils rentrent vers le mois d'octobre (4).

A Ghardaïa, pas de changement dans les mœurs des Chaanba, non plus qu'à Ouargla. A El-Goléa (5), la diminution considérable du nombre des chameaux ayant eu pour conséquence d'amener les Mouadhi à chercher des ressources ailleurs, ils se sont rabattus sur les cultures des jardins; ils ont installé à demeure près de leurs cultures des familles de khammès qui constituent ainsi la partie sédentaire de la population; le reste est demeuré nomade, obligés qu'ils sont de suivre leurs troupeaux dans leurs déplacements.

(1) Rapp. Sidi-Aïssa no 1. (2) Rapp. Bou-Saȧda no 1.

(3) Rapp. Laghouat n° 1.

(4) Cependant l'un de nous a recueilli, en 1902, de la bouche du bach-agha Lakhdar, l'assertion que, quand l'année est favorable, beaucoup d'entre eux ne se déplacent plus et envoient leurs moutons dans le Tell sous la conduite de bergers.

(5) Rapp. El-Goléa no 1.

A Barika (1), les indigènes sont au moins autant laboureurs que pasteurs. Il est certain qu'ils tendent autant que possible à se fixer au sol. Mais cette transformation est lente, car leur vie est intimement liée à leur profession de pasteur.

A Khenchela (2), on remarque une tendance des Ouled-Rechaïch à se fixer au sol; mais cette tendance ne saurait, pour de longues années encore, se caractériser nettement, en transformant le nomade ayant des parcours sahariens en indigène réellement sédentaire.

A Tébessa (3), il est incontestable que depuis que la paix règne parmi les populations des Hauts-Plateaux et que l'extension de notre occupation vers le Sud a assuré leur sécurité, l'existence des populations a subi d'importantes modifications et qu'une évolution tendant à les attacher au sol d'une manière plus efficace que par le passé peut être observée. Le grand facteur de cette évolution a été l'occupation de la Tunisie: jusqu'alors nos administrés redoutant sans cesse quelque incursion de leurs voisins, étaient contraints de prendre des mesures de sécurité; certaines régions, trop voisines de la frontière, étaient considérées par eux comme peu sûres et pour cette raison ils en tenaient leurs troupeaux éloignés; les coups de main qu'ils étaient obligés de faire en représailles d'agressions entretenaient leur humeur naturellement belliqueuse; par suite, le cheval de selle devait être plus estimé d'eux que le mulet ou l'animal de labour, la tente qui permet de fuir rapidement plus que la maison qu'on abandonne au pillage, le profit tiré d'une razzia plus que celui que procurent les travaux longs et incertains de la culture de la terre. L'occupation de la Tunisie, en assurant la sécurité sur notre territoire, a permis à nos administrés d'utiliser des pâturages qu'autrefois ils évitaient..... La transformation d'une partie de la population nomade est certaine dans un délai plus ou moins proche, et il nous appartient de favoriser de tout notre pouvoir cette évolution. Qu'une partie de la famille, misédentaire, reste fixée à la parcelle de terre mise en valeur par des constructions ou des plantations, pendant que l'autre (quelques jeunes hommes), continuera la vie nomade avec les troupeaux, telle nous semble être la seule solution pratique. Avec la sécurité qui règne actuellement, cinq ou six jeunes bergers suffiront aisément à la garde d'un troupeau comprenant les animaux d'une vingtaine de familles.

A Biskra (4), les tribus nomades n'ont rien changé à leur manière de vivre, et il ne pourrait en être autrement... Le nomade doit, s'il veut le conserver et l'augmenter, vivre avec son troupeau, parcourir les

(1) Rapp. Barika no 1.

(2) Rapp. Khenchela no 1. (3) Rapp. Tébessa n° 1.

(4) Rapp. Biskra n° 1.

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