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ce que M. Renan admet également. Un syllabaire, ainsi que les textes assyriens, nous prouvent que la prononciation de ce mot fut ilu. On conçoit maintenant pourquoi le troisième signe est quelquefois rejeté, pourquoi, dans d'autres occasions, il est remplacé par le second. La seconde partie du nom est ilu, ce qui avec le premier ensemble donne Babilu.

Quant au quatrième signe, c'est le postpositif muet indiquant que ce qui précède est le nom d'une localité ou d'un pays, et qui se lit, après les noms d'Assyrie, de Ninive, d'Orchoé, de Borsippa, de Kutha, etc.

La seconde forme de ce nom se trouve à Babylone au moins dix mille fois, et c'est celle qui presque exclusivement est employée à Ninive; rarement elle y permute avec la première, et jamais, jusqu'ici, j'y ai vu le nom de Babylone écrit avec les caractères phonétiques qui forment le troisième mode.

Faudrait-il conclure de là que les Ninivites ne connaissaient pas le nom de Babilu?

Le dernier point est en dehors de la discussion, puisque M. Renan n'en conteste pas la lecture. On y trouve à la fin de Babilu encore le signe postpositif de contrée. Le mode phonétique, jusqu'ici seulement observé à Babylone, y est même beaucoup plus rarement employé; faudra-t-il conclure de là que Nabuchodonosor ne prenait que rarement le titre de roi de Babylone? Je ne le crois pas, mais je pense que les trois groupes ont réellement une seule et unique prononciation, celle de Babylone, ce qui n'a rien de « peu acceptable ».

J'arrive à la théorie de la polyphonie, comme l'appelle M. Renan, qu'il voudrait mieux appeler le fait de la polyphonie, c'est-à-dire la pluralité des valeurs phonétiques appartenant à la même lettre. Il ne s'agit pas d'un principe; j'ai expliqué le fait assez clairement, de l'avis de ceux qui ont lu le livre. Faisons d'abord une réflexion à priori:« Est-il bien acceptable que des gens qui ne manquent pas d'intelligence se soient créé une si grande difficulté qui doit les entraver à tout instant, s'ils n'y avaient pas été contraints? » Que voulez-vous que je fasse, après avoir allégué quarante faits parmi quelques milliers que j'ai vus, si M. Renan les déclare pen concluants?

J'ai dit plus baut que pour écrire bar, mas, on peut écrire ba ar,

ma as, ou exprimer ces syllabes par des signes spéciaux. Or il se trouve que dans cent passages le même mot montre le groupe ba ar, dans cent autres le signe spécial, et il se trouve aussi que ce même signe, dans d'autres mots, remplace régulièrement le groupe ma as. M. Renan cite le nom d'Achéménide, Ahamannissi en assyrien; par un hasard assez singulier, il se trouve que ce mot contient justement, l'une à côté de l'autre, les deux valeurs man et nis que possède le double crochet. M. Renan dit que MM. les assyriologues ne déclarent pas supposable une faute du lapicide. MM. les assyriologues sont plus explicites ; ils déclarent que, dans les mots mandatta, mamman, mannaï, argamannu et beaucoup d'autres, ils voient substitué au groupe ma an ce même signe qu'ils rencontrent également comme remplaçant le groupe ni is dans gurunis, sadanis, khurʼsanis, abubanis, ukannis, musaknis, etc. Certes, il eût été beaucoup plus agréable à MM. les assyriologues de ne pas trouver sur leur chemin ces faits; mais tous les raisonnements du monde n'écarteront pas ces obstacles qu'il s'agit de vaincre et non de nier. On va lire le jugement de M. Renan :

« Les exemples qu'il cite me paraissent peu concluants; dans la plupart des cas, c'est pour la commodité de l'interprétation et pour sortir d'inextricables embarras qu'on a recours à ce moyen désespéré. Or, de tous les expédients, celui-là, je l'avoue, est le dernier auquel j'aurais eu recours. Les formes en faveur desquelles on croit devoir faire cette concession, telles que (suivent douze mots, mais on n'y voit pas vingt-cinq autres que j'ai également cités), blesseront, je crois, la plupart des personnes qui s'occupent de la philologie comparée des langues sémitiques, et leur paraîtront d'abord inintelligibles. »

Je demande pardon au savant académicien pour prouver le fait, j'ai cité des FAITS qu'il aurait dû vérifier avant d'écrire cette phrase. Les formes que je cite se présentent ainsi, et ce n'est pas un besoin d'interprétation qui me les a fait inventer. Le même signe EST remplacé par vu us ou mu us dans Dariyavus, mustisir, mustalam, et par si ir en kasir, nasir, Misir (Égypte), sirti. Le même signe se voir à la place de ma at dans Hamat, mat, kamat, lamat, salmat, etc.; à la place de

1 Botta a déjà signalé cette fréquente substitution.

sa at dans usatris, kasad, murappisat, Artaksats'a (Artaxerxes), usattir, etc.; à la place de la at dans Diglat (le fleuve du Tigre), kullat, bilat; à la place de na at dans miskunat, sanat; à la place de ku ur dans namkur, azkur, izkur. Ces mêmes valeurs sont indiquées dans les syllabaires. Je lis azkur et izkur, première et troisième personne de zakar « se souvenir >>, parce que je trouve les mots également écrits, az-ku ur et izku ur, et je ne lis pas, par cette raison, azmat, azsat, azlat, aznat. La question sur la forme, qu'elle soit sémitique ou chinoise, est secondaire dans cette première appréciation.

Mais pour parler du sémitisme, qui ne fait rien à l'affaire encore, je regrette de ne pas connaître un seul membre de la majorité des sémitistes dont parle M. Renan. Tous ses collègues à l'Institut, tous les professeurs au Collège de France et à la Bibliothèque que j'ai consultés, appartiennent à la minorité non blessée à l'endroit du sémitisme. Comment?

مسيحة, مريسة ومستلم مستيسر des formes verbales, transcrites en arabe

, des participes qu'on pourrait croire arabes, n'ont rien de sé

mitique?

Nous n'insisterons pas sur les étranges assertions de notre savant critique, car la nature de la langue appartient à l'interprétation, et nous nous occupons ici exclusivement du fait que M. Renan ne nie pas entièrement, c'est-à-dire, de la substitution constante de différents groupes au même caractère. Ce fait est confirmé par les syllabaires assyriens qui attribuent au signe exactement les mêmes valeurs multiples que nous trouvons dans les textes.

M. Renan admettant la nature de ses documents curieux, nous n'avons pas à nous étendre sur ce sujet. Il est, du reste, d'accord avec nous sur un point, qu'il y aurait danger de les suivre aveuglément, et je suis parfaitement de son avis, que « la plupart du temps les erreurs des anciens furent moins des erreurs, que le résultat du point de vue, entièrement différent du nôtre, où ils étaient placés ». Mais je n'ai jamais réformé, comme il le fait entendre, les syllabaires de Sardanapale; seulement je me suis imposé l'obligation de ne jamais employer un caractère avec une valeur syllabique déjà représentée par un autre signe; car cette valeur

pourrait résulter de l'emploi de ce signe suivi d'un complément phonétique', dont M. Renan ne conteste pas la possibilité.

Si, par exemple, le monogramme rendant porte a, selon les syllabaires, la valeur de kā, je m'explique ce fait ainsi : il rend également une autre idée, fenêtre, en assyrien kāv; mais alors, pour le distinguer de porte, il est généralement accompagné du complément phonétique va, à cause du v qui finit kāv. Dans ce cas, si l'on ne regarde que le fait, le signe signifie kā; mais cette attribution n'est qu'apparente, puisque en réalité le signe signifie fenêtre. On n'a donc pas le droit d'employer indistinctement notre monogramme avec la valeur kā. Voilà les réserves que j'ai faites, et dont, je crois, on me saura gré.

La polyphonie existe.

Je suis très-heureux de trouver dans les chapitres suivants moins d'opposition de la part de M. Renan; il adopte mes opinions sur l'origine hiéroglyphique et non sémitique de l'écriture cunéiforme. Je suis d'accord avec lui sur l'extrême précaution qu'il faut apporter dans la détermination des peuples touraniens inventeurs de l'écriture anarienne. Je puis le rassurer sur la valeur des idéogrammes: ce sont les faits les moins déductibles, mais les plus sûrs, parce que à leur endroit on a les milliers d'indications fournies par les syllabaires, en dehors de celles que donuent les inscriptions et dont nous avons déjà connu un exemple dans le nom de Babylone. J'ai copié à Londres près de deux cents fragments de tablettes, contenant chacune en moyenne soixantedix données de cette espèce ce serait à peu près douze ou treize mille idéogrammes ayant, en regard, leur explication phonétique; mais parmi ces données, il n'y en a pas une sur vingt qu'on puisse utiliser pour l'explication des textes.

M. Renan s'exagère les difficultés qui existent certainement; mais en le lisant, on croirait que je suis arrivé à mes résultats tout d'un coup. Il oublie que pour être sûr de la lecture d'un polyphone, il m'a fallu

1 Le complément phonétique se retrouve dans les hiéroglyphes égyptiens et dans l'écriture japonaise, suivant M. Léon de Rosny. Le principe que j'ai énoncé n'est donc pas aussi anormal que semble le croire M. Renan, qui, selon nous, s'effraye trop de difficultés dont nous sommes la bien innocente victime.

quelquefois attendre deux ans, jusqu'à ce qu'une bonne fortune ait mis entre mes mains une indication qui ne laisse plus de doutes. Il faut le temps, et pour découvrir les choses, et pour se frayer le chemin à la conviction du public. Je remercie M. Renan d'avoir inauguré par ses objections la nouvelle phase dans laquelle va entrer cette étude; il en aura bien mérité quand il se sera décidé à changer son attitude pyrrhonnienne contre celle de l'interprète, quand il voudra aborder lui-même l'explication des textes par une étude suivie et indépendante de la mienne. C'est alors qu'il reconnaîtra, à coup sûr, la rigueur de ma méthode et la nécessité d'accepter, ou pour mieux dire, de subir quelques-uns de mes résultats, qu'il entoure encore d'un doute que je crois stérile: c'est alors seulement qu'il pourra se prononcer avec autorité sur ce qu'il y a, « dans ces délicates études, de certain, de probable et d'incertain >>.

JULES OPPERT.

(A suivre.)

BIBLIOGRAPHIE.

LETTRE A SA MAJESTÉ L'EMPEREUR NAPOLÉON III SUR L'INFLUENCE FRANÇAISE EN AMÉRIQUE, à propos du message de M. Buchanam, par un homme de race latine.

D'origine vraisemblablement mexicaine et zuloagiste déterminé, l'auteur de cette brochure s'efforce de montrer combien il serait important pour la France d'intervenir dans les affaires du Mexique. Il faut, dit-il, appuyer Zuloaga dans sa résistance aux révolutionnaires, aplanir les difficultés survenues entre son gouvernement et celui de l'Espagne, et surtout arracher le Mexique à la convoitise des Yankees.

Si l'on se hâte d'arrêter la marche de leurs envahissements, on verra aussitôt s'élever dans l'Amérique espagnole de nouveaux états tout disposés à sympathiser avec l'Europe. Les Anglo-Américains n'ont encore

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