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antiquité des nations policées de l'Amérique. A présent, si ce grand événement n'a laissé aucun vestige parmi les anciens Slaves, la raison en est, selon nous, que, de toutes les familles japhétiques, la famille slavonne est celle qui redevint le plus tôt barbare.

Quant aux nègres, nous ne pensons pas que l'on puisse chercher un argument bien solide en faveur de leur origine caïnite, dans le souvenir de cette malédiction primordiale dont ils se croiraient aujourd'hui encore les victimes. D'abord rien ne prouve qu'ils se considèrent eux-mêmes comme une race dégradée. La meilleure explication qui leur soit venue à l'esprit, de cette suprématie exercée sur eux par les Européens, ç'aura été que les blancs forment une race supérieure et que l'Etre suprême a comblée de faveurs spéciales. C'est ainsi que les Mexicains croyaient voir des dieux dans les conquérants espagnols. Toutes les traditions relatives à la supériorité ou à l'infériorité des races, observées déjà sur quelques points du globe, ne paraissent pas remonter plus haut que l'apparition des Européens, et il n'en aura pas plus coûté au nègre ou au Malai de voir dans un blanc un être de race supérieure, qu'il ne lui en coûte de voir de véritables hommes dans ces grands singes anthropoïdes dont ses forêts sont peuplées. Le Caffre et le Yolof du Sénégal, tout en se reconnaissant inférieurs à l'Européen, ne s'en croient pas moins d'une toute autre nature que le nègre de Guinée ou le Boschesman. Et de nos jours encore, ne voit-on pas le soutra (laboureur) de l'Inde s'imaginer qu'il n'a été créé que pour cultiver les terres des prêtres et des guerriers, quoiqu'il descende aussi bien qu'eux d'ancêtres indo-européens. Enfin, est-il bien certain que cette croyance des nations nègres, que la couleur de leur peau était primitivement blanche, ait jamais existé chez les tribus qui n'ont eu de commerce ni avec les Européens, ni avec les Arabes? Tous les voyageurs qui ont visité le centre de l'Afrique, ont été l'objet d'un examen très-attentif de la part des populations chez lesquelles ils séjournaient. Ces tribus ne pouvaient s'imaginer qu'il y eût d'autres races humaines que la race nègre.

Je ne vois pas trop non plus ce qui nous peut autoriser à assigner une origine commune aux deux races mongolique et éthiopienne. Les traits de ces deux variétés de l'espèce humaine diffèrent plus entre eux qu'ils ne different du type européen. Les seuls caractères qui leur

soient communs, tels que l'aplatissement du crâne et la rareté de la barbe, n'ont pas une très-grande fixité, et varient souvent d'intensité d'homme à homme ou de tribu à tribu. De ces deux caractères d'ailleurs, le premier semble être le fruit d'un retour à la barbarie, et le second, le résultat de cet affaiblissement du système pileux qui se manifeste également sous les climats brûlants et dans les régions polaires. Au contraire, les différences abondent. Tandis qu'elles sont médiocrement développées chez l'Européen, les arcades zygomatiques sont très-écartées chez le Tartare, et rétrécies chez le nègre. La chevelure de l'habitant de la haute Asie est roide et longue, celle de l'Africain est au contraire courte et crêpue. Si l'Européen a l'angle externe de la paupière parfaitement droit, chez le Mongol cet angle se relève, pour s'abaisser chez l'homme de race noire. La peau du nègre, dans les climats tempérés tels que celui de l'Australie méridionale, conserve une teinte fuligineuse que n'a jamais la peau du Tartare. La conclusion la plus naturelle à tirer de ces faits, c'est que les types éthiopien et mongolique se sont formés sous l'influence de climats opposés et excessifs. Alors que les habitants des régions tempérées conservaient leur type primordial, le type caucasique, les tribus établies sous le cercle polaire prenaient peu à peu ces traits qui caractérisent aujourd'hui les peuples de l'extrême Orient. Les tribus de race mongolique qui se sont plus tard fixées sous des latitudes moins élevées ont vu leurs traits se rapprocher un peu des traits européens. Leur type tartare ne s'est néanmoins jamais entièrement effacé: c'est ce qui a eu lieu notamment pour les Chinois. Chez les nègres, au contraire, le type éthiopien se prononce toujours de plus en plus à mesure que l'on va d'orient en occident. Le Galla, et surtout le Caffre, dont la langue offre tant d'analogies cependant avec les langues du Congo,. s'éloignent beaucoup moins du type européen que le Hottentot ou le noir. de la Guinée.

Il est bien difficile de se refuser à reconnaître l'étroite parenté qui unit les Finnois et les Esthoniens aux peuples de l'extrême Orient. Nonseulement leurs vocabulaires offrent beaucoup d'analogies, mais encore une étude un peu approfondie de leurs grammaires nous oblige à recon-naître, dans les idiomes de la Baltique, le prototype des langues du plateau altaïque. Le swomi, par exemple, est à ces langues du nord de

l'Asie, à peu près ce qu'est le gothique ou le zend à nos dialectes de l'Europe occidentale, et l'un et l'autre comparés offrent de ces analogies intimes qui ne sauraient guère être le fruit de relations passagères, et qui supposent une communauté d'origine entre les peuples chez lesquels elles se manifestent.

Nous laissons du reste de côté les Hongrois et les Turcs, dont le type semble s'être beaucoup modifié par suite de mélanges avec le sang caucasique. Il n'est pas enfin parfaitement certain, comme le suppose notre docte contradicteur, que les termes les plus usuels dans les langues des nègres ou des Tartares n'offrent aucune analogie avec les termes correspondants dans les idiomes sémitiques ou indo-européens. Nous avons été à même de vérifier le contraire pour quelques mots tels que père, mère, etc. La plupart des anatomistes sont, nous dit-on, d'accord pour déclarer que l'espèce humaine ne forme pas de variétés permanentes par voie de dégénérescence, et cependant ces différences physiques parfois considérables qui séparent l'un de l'autre deux peuples d'une même race, ces types nationaux assez tranchés pour qu'on puisse distinguer toujours et sans peine un Français d'un cosaque ou un Allemand d'un juif, ne constituent-ils pas de véritables variétés? N'oublions pas d'ailleurs que la création des variétés principales de l'espèce humaine s'est manifestée aussi bien sous l'influence de causes morales que sous celle de causes purement physiques: la vie nomade, le retour à la barbarie paraissent avoir été des agents de modification non moins puissants que le climat. C'est ainsi que l'on voit, à côté des Finnois qui possèdent encore le type européen presque intact, les Lapons, qui cependant parlent un dialecte de la langue finnoise, nous offrir la plupart des traits propres à la race mongolique, uniquement parce qu'ils sont confinés dans une région extrêmement froide et qu'ils ont adopté un genre de vie nomade. C'est ainsi encore que les Dayaks de Bornéo et les habitants de la Polynésie, dont les traits se rapprochent tant de la race caucasique, ont cependant une origine évidemment commune avec les indigènes de la Malaisie aux traits difformes et au visage aplati. Si l'on n'a point remarqué jusqu'à ce jour d'exemples de modifications physiques aussi considérables au sein des races japhétique et araméenne, ce phénomène doit être attribué à l'état de civilisation au moins relative dans lequel

ont toujours vécu les nations appartenant à ces deux races et qui a été sans doute plus que suffisant pour contrebalancer l'influence du climat. Tels sont en résumé les principaux arguments par lesquels nous croyons pouvoir soutenir la possibilité de la formation de variétés permanentes au sein de l'espèce humaine. Nous regrettons vivement de ne pouvoir nous ranger sur ce point à l'avis de notre savant adversaire. Néanmoins les fondements sur lesquels repose notre manière de voir nous paraissent assez solides, assez confirmés par l'expérience, pour qu'il nous soit permis de ne point nous en départir.

HYACINTHE DE CHARENCEY.

De l'interprétation des Inscriptions cunéiformes assyriennes.

[RÉPONSE A UN ARTICLE CRITIQUE DE M. ERNEST RENAN, DE L'INSTITUT, INSÉRÉ DANS LE Journal des Savants, no de mars 1859.]

M. Ernest Renan a entrepris, dans le dernier cahier du Journal des Savants, une critique de mon système de déchiffrement des inscriptions cunéiformes. Je ne puis que remercier le savant académicien qui a bien voulu consacrer un temps précieux à l'examen de ce volume, et au contrôle d'études nouvelles qu'il est presque aussi difficile de juger que de créer. La science ne peut que se féliciter quand, pour la première fois, une branche nouvelle des connaissances humaines, acceptée de confiance par les uns, contestée par d'autres qui dédaignent ces recherches, peut soulever une controverse sérieuse, et fournir les éléments d'une discussion, dont, à coup sûr, sortira la vérité.

Il faut d'autant plus reconnaître le courage du critique d'avoir voulu aborder les éléments d'une science nouvelle; car il sait par avance que les éléments du combat ne lui sont pas aussi faciles à rassembler que le sera la défense de son adversaire. Quelque regrettable qu'il puisse paraître que M. Renan ait entrepris la critique d'un ouvrage sur les inscriptions cunéiformes sans avoir préalablement pris connaissance au moins d'un seul de ces textes, ce n'est pas à nous de nous en plaindre. Si quelqu'un trouvait, par analogie, étrange qu'on jugeât un ouvrage

sur Virgile et sur Homère sans avoir ouvert les poëtes eux-mêmes, nous répondrions que nous ne voudrions pas, pour assister à la proclamation de la vérité de nos découvertes, attendre que quelqu'un eût étudié les quinze cents inscriptions assyriennes auxquelles nous avons consacré quelques-unes des meilleures années de notre vie. Nous nous contentons même de l'éclatant témoignage que M. Renan veut bien porter au sujet de la vérité des bases de notre déchiffrement, des points principaux de notre système, et quoique nous n'admettions pas le moins du monde la légitimité des doutes de M. Renan, nous en concevons très-bien l'existence.

Nous rendons par cela même justice à l'esprit droit de M. Renan, qui savait qu'en approuvant les bases de notre travail, il se prononcerait en même temps sur la valeur de ses anciennes opinions. Nous sommes, en effet, loin de ce temps, très-rapproché si l'on ne compte que les mois, et où M. Renan parlait de la langue à jamais perdue des Assyriens. Nous voyons avec plaisir que le savant auteur de l'histoire des langues sémitiques n'est plus aussi favorable à l'erreur qui regardait les Assyriens comme non-sémitiques. En tirant de son exemple le salutaire enseignement de ne jamais trop s'avancer sur des choses que l'on ne peut savoir, nous comprenons à merveille que le critique entoure les nombreux résultats de tous les doutes possibles, et s'il faut reconnaître avec gratitude le moindre revirement et le moindre retour à la vérité, il ne faut demander à personne d'adorer le lendemain ce qu'il a brûlé la veille.

C'est donc ainsi qu'il faut s'expliquer le malaise sceptique que respire son article, et qui se communique au lecteur. M. Renan sent même là où il dit ne pouvoir accepter mes idées dès à présent, que quelques faits pourraient détruire ses conditions à priori, et pour que ces réflexions à priori (qu'il affectionne beaucoup trop, selon nous) ne servent pas d'armes contre lui, il a hâte d'en émousser la force par une observation contraire. Ainsi M. Renan adopte bien quelques points principaux, il doute de la vérité de quelques autres, il n'en réfute aucun, encore moins substitue-t-il un principe nouveau à ceux que j'avais énoncés. L'article de M. Renan est un point d'interrogation; c'est un appel interjeté contre le jugement que j'ai prononcé en première instance, et que M.Renan

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