Images de page
PDF
ePub

Caïm amena en Afrique de nombreuses colonies d'Arabes, et renouvela pour ainsi dire la population de ces contrées. Le gouvernement de Tunis ou Kaïroan avait été confié à un Berbère du nom de Yousouf ben Tachfin dont le premier soin fut de proclamer son indépendance. Ses successeurs, sous le nom de sultans Zeïrites, occupèrent le trône pendant près de deux siècles. Menacés par les armes des Normands de Sicile, ces princes appellent à leur secours Abd el-Moumen, le fondateur de la dynastie des Almohades. Abd el-Moumen bat les chrétiens, mais garde pour lui le Kaïroan, qui devient ainsi une province de son vaste empire. En 1205, Mostanser Billah, de famille brèbe des Béni Hafs, à laquelle avait été octroyé le gouvernement héréditaire de la régence, secoue le joug des Almohades. C'est sous son règne que saint Louis paraît sous les murs de Tunis. Cette cité était devenue capitale des états de Mostanser, après l'abandon de Kaïroan. A la même dynastie appartenait Muley-Hassan que le fameux corsaire KhaïrEddin dépouilla de ses états au commencement du seizième siècle. Sévèrement interdite jusqu'à ce jour par les princes, tunisiens, la piraterie commence alors à prendre une grande extension, Muley-Hassan est rétabli par Charles-Quint, dont il consent à se reconnaître le vassal. Ses sujets indignés ne tardent pas à le chasser de nouveau. Le vainqueur de Lépante, don Juan d'Autriche, vole à son secours et lui rend son trône, après avoir laissé garnison espagnole à Tunis, à Tabarka et au fort de la Goulette. Renversé une troisième fois de son trône, ce malheureux prince tombe entre les mains d'un de ses fils révoltés qui lui crève les yeux et le laisse ensuite se retirer en Sicile. Cependant l'amiral

turc Sinán vient à la tête d'une flotte assiéger les garnisons espagnoles établies dans la régence de Tunis. Accablées par le nombre, à la suite d'une longue résistance, elles sont passées au fil de l'épée, sauf deux cents artilleurs que le généralissime turc envoie à Constantinople. Avant de quitter la côte d'Afrique, Sinân pacha organise le gouvernement de la régence de la manière qui lui paraît la plus propre à maintenir le pays sous la domination du grand seigneur et partage l'autorité entre un bey nommé par la Porte, chargé de l'administration civile, et un divan de quarante membres environ, pris à l'ancienneté parmi les officiers d'un corps de cinq mille janissaires étrangers. Les membres du divan ne tardent pas à mécontenter l'armée par leur faste et par leur insolence. Aussitôt éclate une révolte militaire, dans laquelle ils sont pour la plupart massacrés. Dès lors toute l'autorité tombe entre les mains de la soldatesque qui fait et défait les beys suivant son caprice. Enfin le pouvoir monarchique est rétabli par deux frères du nom de Mahmoud et de Aly bey. A partir de cette époque jusqu'à l'avènement de Hussein ben Ali, l'histoire de Tunis n'est plus, pour ainsi dire, que le récit des guerres survenues entre cet état et la régence d'Alger. C'est en 1685 qu'interviennent les capitulations avec la France et l'Angleterre. Celles avec la Hollande datent d'une époque un peu plus récente.

Hussein ben Ali, proclamé bey en 1705, fut la souche de la maison actuellement régnante et à laquelle Tunis doit plusieurs de ses princes les plus remarquables.

Parmi ces derniers, nous devons citer Hamouda pa

cha, non moins célèbre par sa haute intelligence et l'équité de ses jugements, que par ses brillants succès contre les Algériens. Ce prince parvint, à force d'habileté et d'énergie, à détruire la milice des janissaires tunisiens. Par là l'autorité monarchique se trouva affermie entre ses mains, et Tunis put dès lors entrer résolument dans la voie de la civilisation.

Hamouda laissa, en mourant, le trône à son frère Othman bey, qui périt dans une révolte militaire après un règne de trois mois. Son successeur fut Mahmoud, lequel associa de son vivant son fils Houssein au trône. C'est à ces deux princes que l'on doit l'abolition de l'esclavage des chrétiens, prononcée pendant la semaine de Pâques de l'an 1816. Hussein, son frère, donne à son armée de nombreux instructeurs européens. Moustapha bey lui succéde en 1835 et ne règne que deux ans.

Proclamé bey en 1837, Ahmed pacha montra tout d'abord un goût prononcé pour les réformes, pour celles surtout qui touchaient à l'organisation de l'armée. Il ordonna la clôture du marché où étaient publiquement exposés les esclaves nègres, déclara libres à l'avenir tous les enfants qui naîtraient de parents esclaves, confia à des ingénieurs français le soin de lever une carte de la régence, permit aux juifsde porter le costume jusqu'alors réservé aux musulmans, équipa ses troupes à la française, et mit tous ses soins à restreindre parmi elles l'usage des châtiments corporels. L'abbé Bourgade reçut du bey toutes sortes d'encouragements pour son collège mixte où juifs, musulmans et chrétiens vont ensemble s'initier aux lumières et aux sciences

de l'Occident. Enfin un emplacement fut, conformément au traité de 1830, accordé à la France pour l'érection d'une chapelle dédiée à saint Louis. En 1838, la Porte envoya contre le bey une flotte chargée de rétablir à Tunis le protectorat qu'elle avait cessé d'y exercer depuis près d'un siècle. Cette expédition n'eut pas de suite, grâce à l'attitude énergique des amiraux français. Le voyage que firent dans ses états trois des fils de Louis-Philippe, inspira à Akhmet le désir de voir la France. Après une traversée heureuse, il aborda à Toulon le 8 novembre 1846, laissant partout d'abondantes aumônes sur son passage, et fut reçu à Paris avec les honneurs dûs à un souverain. Son retour à Tunis fut signalé par l'érection du phare de l'île de Canni.

Son cousin Sidi Mohamed lui succéda en 1855. C'est un homme fort habile, assure-t-on, dans tous les arts mécaniques, et dont le règne a été déjà inauguré par d'importantes réformes. Un décret de lui, en date de 1858, a remanié entièrement le système des impôts. Tous les monopoles, toutes les taxes établies par ses prédécesseurs, et qui donnaient tant de prise à l'arbitraire, sont supprimés, et on ne percevra plus à l'avenir que l'achour ou dîme et la taxe sur les oliviers, plus une contribution fixe de trois piastres par mois. Cette mesure est, à coup sûr, une des meilleures et des plus importantes qui aient jusqu'à ce jour été prises dans aucun pays musulman. Son effet naturel sera la cessation de cette déplorable incertitude dans le recouvrement des impôts, qui paralyse tout essor de l'agriculture et de l'industrie chez les peuples d'Orient.

La constitution octroyée par Sidi Mohamed, elle aussi,

dépasse en libéralisme ce que l'on a vu jusqu'à ce jour, soit en Turquie, soit en Égypte. Au nombre des principes qu'elle consacre, nous citerons: 1o l'égalité civile assurée à tous les sujets du bey, et notamment aux juifs; 2o l'établissement de la conscription militaire; 3o l'institution de tribunaux mixtes pour les justiciables de cultes différents; 4o la reconnaissance du droit de propriété territoriale aux chrétiens. C'est encore à l'initiative du bey que l'on doit le creusement d'un puits artésien près de la Marse, et l'établissement dans la ville de Tunis de patrouilles nocturnes, ainsi que la création toute nouvelle d'une banque anglotunisienne.

Les rapports du bey avec la France ont toujours été excellents. Il emploie un grand nombre de Français à son service, et c'est à un de nos compatriotes qu'il vient d'accorder l'autorisation de fonder dans sa capitale une école desarts et métiers. Enfin les soins qu'il a prodigués aux équipages de nos vaisseaux jetés sur les côtes de ses états par les dernières tempêtes, la générosité avec laquelle il a pourvu aux besoins de nos matelots, lui assurent la juste reconnaissance de tous les Français. Par là se trouvent resserrés les liens qui unissent notre patrie à un état qui a su si bien se distinguer entre tous les pays de l'Orient par son goût pour les réformes et la civilisation.

H. DE CHARENCEY.

« PrécédentContinuer »