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MENAKA (après un moment d'attente). Amies! prenez courage, prenez courage! on aperçoit le char du roi, orné d'une bannière qui a un daim pour emblême, que lui a donné le dieu de la lune : il ne reviendrait pas sans avoir atteint son but, je pense..

Elles montrent un objet, et restent quelque temps à regarder. Le roi, monté dans son char, entre ensuite avec le cocher. Ourvaçi, les yeux fermés par la peur et appuyée sur le bras droit de Tchitralékhá, est avec eux.

TCHITRALÊKHA. Amie, reprends courage, reprends cou

rage!

LE ROI. Belle nymphe, reprends courage, reprends courage! Le danger causé par les ennemis des dieux est éloigné; car la majesté du dieu qui porte la foudre (Indra) protége les trois mondes 1. Aussi donc ouvre tes grands yeux, comme un bouquet de lotus ouvre ses fleurs.

TCHITRALEKHA. C'est étrange! c'est à sa respiration seulement qu'on reconnaît qu'elle est vivante; en ce moment même elle ne reprend pas connaissance.

LE ROI. Ton amie a été fortement effrayée; aussi le lourd battement de son cœur s'aperçoit à la guirlande de fleurs de mandara qui s'élève et s'abaisse au milieu de son sein arrondi.

TCHITRALÊKHA (avec tristesse). Chère Ourvaçî, reviens à toi; on dirait que tu n'es pas une Apsara!

LE ROI. L'agitation de la crainte n'abandonne pas encore son cœur tendre comme une fleur; le bord de sa robe qui s'élève et s'abaisse au milieu de son sein le dit assez.

Ourvaçi revient à elle.

f Voy. page préc., no 3.

LE ROI (avec joie). Tchitralekha, sois heureuse, ton amie chérie a recouvré ses sens. Vois:

Comme la nuit est abandonnée par l'obscurité, au moment où la lune se lève; comme le rayonnement d'un feu nocturne qui perce des nuages de fumée, cette nymphe au corps délicat apparaît délivrée d'un trouble intérieur; comme la Gangâ (le Gange) troublée par la chute de ses rives retrouve (bientôt) sa pureté.

TCHITRALÊKHA. Chère Ourvaçi, sois sans crainte; ils ont été complètement vaincus par le grand roi rempli de sollicitude, les Danavas 1 ennemis des dieux, déçus dans leur espérance.

OURVAçî (ouvrant les yeux). Est-ce que j'ai été secourue par le grand Indra, témoin de l'attaque?

TCHITRALEKHA. Non, pas par le grand Indra, mais par le sage roi Pourouravas semblable à Indra par sa majesté.

OURVAÇI (après avoir regardé le roi, à part). C'est vraiment une faveur pour moi, que cette alarme causée par le roi des Dânavas.

LE ROI (après avoir regardé Ourvaçi, à part). C'est avec raison, certainement, que toutes les Apsaras furent humiliées, lorsque cherchant à exciter le désir du solitaire Nârâyana, elles aperçurent cette nymphe née de sa cuisse; je crois même qu'elle n'est point la création d'un ascète ; n'est-ce point le dieu Lunus, le maître des créatures, qui donne la lumière, qui présida à sa naissance ? N'est-ce point l'amour lui-même qui est tout passion? N'est-ce point le

Frères des Daltyas, démons, Titans.

mois qui produit le plus de fleurs? Comment, en effet, un vieux solitaire refroidi par la lecture du Vêda, ayant mis de côté l'impétuosité des sens, serait-il capable de produire cette beauté qui ravit le cœur?

OURVAÇI. Chère Tchitralêkha, où peut être la troupe de nos amies?

TCHITRALEKHA. Le grand roi qui nous a rendu la sécurité le sait.

LE ROI (regardant Ourvaçi). Toutes tes amies sont dans un grand abattement, vois: celui aux yeux fortunés duquel tu es restée volontiers une seule fois, belle nymphe, celui-là, privé de toi, regretterait vivement ton absence; à plus forte raison celles dont l'amitié a grandi avec toi.

OURVAÇI (à part). Ton discours est une véritable ambroisie; mais l'ambroisie venant de la lune 1, dit-on, qu'y a-t-il là d'étonnant? (Haut.) C'est pour cela que mon cœur vole vers (mes amies).

LE ROI (montrant avec la main). Tes amies, belle nymphe, du mont Hêmakouta où elles sont allées, regardent ton visage avec inquiétude, comme si c'était la lune délivrée d'une éclipse.

Ourvaçi regarde le roi avec passion.

TCHITRALÊKHA. Amie, que regardes-tu?

OURVAÇI. Celui qui partage mon plaisir et ma peine est caressé par mes yeux 2.

1 Pourouravas est un descendant du dieu de la lune.

2 Le texte a est bu par mes yeux. Comparez le vers de Virgile : Noctem sermone trahebat

TCHITRALEKHA (Souriant). Qui donc ?

OURVAÇI. Mais... le cercle de mes amies.

RAMBHA (avec joie, après avoir regardé). Amie, voici le sage roi qui s'approche après avoir repris notre chère Ourvaçî accompagnée de Tchitralekhâ, comme le bienheureux Sôma (dieu de la lune) en compagnie de deux étoiles. SAHADJANYA. Amie, tu disais bien: un Dânava est difficile à vaincre.

LE ROI. Cocher, fais descendre le char sur cette crête du mont 1.

LE COCHER. Comme l'ordonne votre seigneurie. (Ilobéit.)

Le roi imite par ses gestes les mouvements du char; Ourvaçî s'appuie timidement sur le roi.

LE ROI (à part). Oh! vraiment elle m'est favorable, cette descente inégale, puisque par les mouvements du char mon corps, frémissant de plaisir, comme si l'amour le couvrait de fleurs, est touché par le corps de cette nymphe aux longs yeux.

OURVAÇI (troublée). Amie, retire-toi un peu de côté.

TCHITRALÊKHA. Je ne puis, je ne puis vraiment pas. RAMBHA (toujours au fond de la scène). Allons retrouver le roi qui fait des choses agréables.

LES APSARAS. Oui, allons. (Elles s'approchent.)

Infelix Dido, longumque bibebat amorem.

(ÉNÉIDE, I, v. 753).

L'expression française : dévorer des yeux,semble un peu trop forte ici, à cause de l'ambiguïté des paroles d'Ourvaçi.

1 Au fond de la scène et supposée placée sur un des pics du mont Hêmakouta.

LE ROI. Cocher, arrête le char, de manière que cette nymphe aux beaux sourcils qui le désire, se réunisse à ses amies qui la désirent, comme les lianes (attendent) la sai-son qui leur est favorable.

Le cocher arrête le char.

LES APSARAS. Bonheur et victoire au grand roi!

LE ROI. Et vous, soyez heureuses du retour de vos amies.. OURVAÇÎ.

Après être descendue du char en s'appuyant sur la main que lui donne Tchitralekha.

Amies! embrassez-moi tendrement; car je n'avais plus l'espoir de revoir la société de mes amies.

Ses amies l'embrassent.

MENAKA (avec enthousiasme). Que le roi soit partout le protecteur de la terre!

LE COCHER. Sire, une grande troupe de chars est en vue, et un personnage, avec des bracelets d'or moulé, monte, à travers le ciel, sur le sommet de la montagne, étincelant comme un nuage orageux.

LES APSARAS (avec étonnement). Tchitraratha!

Tchitraratha entre. S'approchant du roi.

Honneur à toi, qui t'es distingué par un grand bienfait accompli et par la grandeur de ton héroïsme !

LE ROI. Ah! le roi des Gandharbas! (Descendant de son char.) Sois le bienvenu, cher ami!

Ils se serrent la main.

TCHITRARATHA. Ami, à la nouvelle qu'Ourvaçî avait été enlevée par Kêçi, l'armée des Gandharbas avait été envoyée par Indra pour la délivrer. Ayant, au même instant, appris de ceux qui voyagent dans les chars célestes (les dieux),

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