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voies détournées dont le doute marque les points d'arrêt; la formule de chaque découverte tient en quelques lignes, mais ce n'est pas trop d'une bibliothèque pour la préparer. Combien de bibliothèques ne contiennent pas une découverte nouvelle !

Les savants américains cherchent la vérité; mais ils n'apportent pas dans leurs études le calme qu'il y faudrait, et leur nature ardente ne se défie point assez de l'hypothèse : la facilité de l'explication les entraîne, et ils semblent ignorer que les idées ingénieuses sont la forme séduisante ou l'hypocrisie de l'erreur, soit dit sans aucune intention de personnalité. Le milieu dans lequel ils sont placés, peu favorable à l'expansion modérée et à la fusion des idées, les met à la remorque des savants d'Europe. Sans le vouloir et avec le désir d'être eux-mêmes, quelques-uns d'entre eux (M. Nott, par exemple), compilant comme compilaient les écrivains du seizième siècle, nous refont la science avec des débris surannés, et montrent pour les Allemands une admiration qui n'a d'autre base solide que le lien de parenté.

Sous le mérite de ces observations, nous ne pouvons que féliciter le monde savant de la coopération qui lui vient de l'autre côté de l'Atlantique c'est l'un des premiers chaînons parmi ceux qui doivent réunir un jour, dans une communauté bien désirable des idées, l'ensemble de l'univers civilisé.

A. CASTAING.

CRITIQUE LITTÉRAIRE ET POLÉMIQUE.

De l'universalité du Déluge.

DEUXIÈME LETtre au DirecTEUR DE LA Revue orientale et américaine.

Monsieur,

M. Eichhoff ayant bien voulu prendre part à la discussion qui s'est engagée dans la Revue sur la question de l'Universalité du déluge, le savant correspondant de l'Institut pense que le texte biblique n'admet pas, comme je l'ai fait, de circonscrire la catastrophe à la région habitée par la postérité d'Adam qui se rattache à Seth, parce que si l'historien sacré avait eu cette pensée, l'argument que je tire de l'emploi des mots arets et adama devrait reposer sur une base plus large, ou, en d'autres termes, que la désignation de la contrée séthite par le mot adama devrait prévaloir, dans le récit du déluge, sur la désignation de la terre en général qu'exprime le mot arets. Nous voyons, au contraire, que le mot arets est employé trente fois dans le récit, depuis le v.7, ch. VI, jusqu'au v. 14, ch. VIII, tandis que le mot adama ne s'y rencontre que six fois. « Quoi de plus naturel et de plus facile » pour l'écrivain sacré « que d'employer le terme adama, sinon partout, du moins dans les phrases principales, s'il avait eu la moindre pensée de circonscrire l'invasion du déluge à la région habitée par les Séthites? Il ne l'a pas fait, comme le texte le prouve; donc il paraît évident qu'il n'avait pas l'intention de le faire, et que, d'après ses souvenirs inspirés, le déluge fut universel. >>

Telle est l'argumentation de M. Eichhoff, et j'espère que je ne l'ai pas amoindrie; on remarquera, au contraire, que je l'ai agravée à mon désavantage : là où le savant correspondant de l'Institut a mis huit fois, j'ai mis trente fois. Aussi j'avoue que toute cette objection doit être péremptoire pour quiconque n'a pas étudié à fond la question.

Cependant je l'avais prévuc, et même réfutée d'avance, à ce que je

croyais, dans mon mémoire d'abord '; puis, dans ma première lettre 2. J'avais montré que, le terme adama étant employé en tête du récit du déluge, comme le terme arets en tête du récit de la création, l'un et l'autre se trouvent ainsi nettement déterminés; que, par conséquent, de même qu'il s'agit, lors de la création, du globe terrestre, de même aussi il s'agit, au déluge, d'une partie spéciale de ce globe, et que c'est dans ce sens que le terme adama apparaît dans tous les passages où il se trouve. On voit, en effet, et je défie qu'on produise un seul exemple du contraire, que le mot adama, depuis l'endroit où on le lit pour la première fois dans le Pentateuque, au v. 5, ch. II de la Genèse, jusqu'au passage où il est employé pour la dernière fois, au Deutéronome, ch. XXXII, v. 47, a toujours un sens qui intéresse le moral de l'homme ou sa pensée religieuse, et c'est sur ce fait, que je crois avoir constaté pour la première fois, sauf erreur, que repose principalement ma thèse. Elle croulera par sa base, dès qu'on pourra établir, par un seul exemple pris dans le Pentateuque, ou même dans les autres livres bibliques de la bonne époque hébraïque, que le mot adama a aussi le sens, purement physique d'abord, du terme arels.

Cela posé, l'emploi de beaucoup plus fréquent du mot arels dans le récit du déluge que celui d'adama est tout à fait indifférent. Je le répète, c'est le commencement qui importe, et l'intention de l'auteur sur le caractère spécial de la contrée qui va être frappée de la catastrophe, se révèle dès le premier verset du chapitre où commence le récit du déluge, car nous y lisons : « Il arriva que lorsque les hommes commencèrent à se répandre sur la terre (haadama). » Or, quels sont ces hommes? Voyez le chapitre qui précède immédiatement, le ch. V; il n'y est question que de la postérité d'Adam par Seth, les adorateurs de Jehovah (IV, 26). Ce n'est pas tout. « Jehovah se repentit, » dit le v. 6, ch. VI, celui qui est suivi du conseil de la justice divine; «< Jehovah se repentit d'avoir fait l'homme sur la terre haarels. » D'après cela, on croirait qu'il va dire : « Je veux exterminer l'homme que j'ai créé de dessus la terre haarets; » non, il dit : « De

1 De l'universalité du Déluge, chez Benj. Duprat, p. 17 et sq.

2 Revue orientale et américaine, t. 1, p. 400.

dessus la contrée adamique haadama. » Ce n'est donc évidemment pas tout le genre humain, quoique corrompu tout entier, qu'il veut exterminer, mais seulement une partie, celle que l'auteur désigne au v. 1, et qui est la postérité de Seth. Mais pourquoi seulement cette partie de l'humanité, puisque toute la terre (arels) est pervertie? Oui, toute la terre est pervertie; mais il y a une différence essentielle, et cette différence, c'est que la perversion des Caïnites est elle-même un châtiment, puisqu'elle est l'effet de la terrible malédiction qui avait frappé leur ancêtre (IV, 11 sqq.); tandis que la perversion des Séthites est la corruption réfléchie des adorateurs de Jehovah (IV, 26; VI, 2, 4); c'est une cause qui sollicite son effet. D'ailleurs un païen, et les Caïnites étaient des païens dans la force du terme, Caïn étant sorti de devant la face de Jehovah (IV, 16), un païen coupable l'est mille fois moins que l'adorateur de Dieu qui se laisse aller aux crimes de ce païon; tout le monde en conviendra, et, par conséquent, on doit convenir aussi que si les Séthites furent engloutis par le déluge, et que les Caïnites, dont la masse habitait d'ailleurs d'autres contrées (IV, 16), restèrent préservés de la catastrophe, la chose était parfaitement juste.

Cependant, si, pour limiter l'invasion du déluge à la région habitée par les Séthites, l'écrivain sacré n'avait pas besoin d'employer toujours le terme adama, n'aurait-il pas dû le faire au moins dans les phrases principales? M. Eichhoff est de cet avis, et évidemment il a raison, puisque Moïse l'a fait. Ne sont-ce pas en effet les passages fondamentaux du récit que ceux où le châtiment est annoncé : « Je veux exterminer l'homme que j'ai créé de dessus la terre adamique (adama)»? ch.VI,7; - où Dieu ordonne à Noé de rassembler dans l'arche pour être sauvé du déluge « tout ce qui vit de toute chair, mâle et femelle..., de la terre adamique (adama) »? ch. VI, 19, 20; où Dieu détermine l'agent principal du déluge et la durée de son action, en ajoutant : « Je détruirai toute substance que j'ai faite de dessus la terre adamique (adama)»? ch. VII, 4; - où il est dit que Noé avec les siens et les animaux de la terre adamique (adama) entrèrent dans l'arche? ib., 7, 8; où, le châtiment étant consommé, l'auteur dit : « Ainsi périt tout être qui se trouvait sur la terre adamique (adama) »? ch. VII, 23; enfin, où,

-

pour connaître la fin du déluge, Noé lâche la colombe sur la terre adamique (adama)? ch. VIII, 8.

Si on examine attentivement la position de ces six passages, on voit qu'ils forment comme des points de repère qui servent de rattache au récit entier, de telle sorte que si tout le reste manquait, ces six passages formeraient encore un document très-succinct, il est vrai, du déluge, mais enfin un document qui suffirait pour se rendre compte du caractère religieux et physique de la catastrophe, de son ensemble enfin.

La justesse de ma conviction s'appuie d'ailleurs sur un autre argument encore, l'argument chronologique. Si la race nègre et tatare est un produit de la physique du globe et qu'elle doive son origine à des influences climatologiques ou à d'autres causes purement naturelles, ce que contestent de grandes autorités scientifiques, parmi lesquelles on peut ranger encore A. de Humboldt, quand il dit : « Les caractères typiques des races humaines et leur propagation (Verbreitung) sur la terre sont ABSOLUMENT INDÉPENDANTS (sind durchaus unabhængig) des rapports naturels (Naturverhaltnissen) de la distribution des mers et des continents, de la configuration de la surface terrestre et de la direction des lignes isothermes 1; » je dis, si la race nègre et tatare est un produit de causes physiques, un long espace de temps, comme le dit fort bien M. Eichhoff, a dû être nécessaire au moins pour façonner et pour rendre permanents de pareils types. Or, les nègres et les Tatars existaient certainement déjà au temps de Moïse, comme il est prouvé pour les nègres du moins, par les tableaux des hypogées de Thèbes qu'on peut voir dans Champollion 2 et Rosellini, et dont plusieurs datent de Ramsès Meiamoun, autrement dit Sésostris le Graud, et sous lequel naquit Moïse. Eh bien, entre Moïse et Noé il n'y a, d'après le texte, que quatorze générations, c'est-à-dire que depuis la naissance de Sem, en 1556 de la création d'Adam, jusqu'à la naissance de Moïse, en 2367 de cette même création, il s'est écoulé un laps de temps de 811 ans, ni plus ni moins, toujours d'après le texte. Voilà huit siècles, me dira-t-on ; c'est plus que suffisant pour produire le type nègre. Attendez. N'oublions pas

↑ Biographie d'A. de Humboldt par Herm. Klencke, 3e édit., p 360.
2 Monuments de l'Égypte el de la Nubie, t. I, pl. 35, 69 et alibi pluries,

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