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MANAVAKA (entre tout agité). O les curieux! avec ce secret du roi, qui se gonfle en moi comme une (part d')offrande de riz bouilli, je ne puis retenir ma langue au milieu de la foule. C'est pourquoi, tant que le roi sera au tribunal, je me tiendrai dans ce temple solitaire des dieux, où je vais monter, pour être délivré du contact de la foule.

Il fait quelques pas et s'assied en se couvrant la figure avec les mains.
Entre Nipounikå servante de la reine.

NIPOUNIKA. Voilà ce que m'a dit la reine, la fille du roi de Kaçi: «Ma bonne Nipounikâ, depuis que le grand roi est revenu de la visite qu'il a faite au dieu du soleil, il semble que son cœur est vide. Sache donc du respectable Mânavaka quelle est la cause de sa tristesse.» Comment, àce sujet, ce brâhmane doit-il être interrogé? Au reste, comme la gelée blanche étendue sur l'herbe, le secret du roi ne demeurera pas longtemps en lui, j'imagine. Je vais donc

Voy. le prologue et le premier acte de ce drame, p. 39.

le chercher. (L'apercevant après avoir fait quelques tours.) C'est singulier! (Immobile) comme un singe dans une peinture, et méditant quelque affaire, le vénérable Mânavaka se tient à l'écart. Je vais l'aborder. (S'étant approchée.) Respectable (Mânavaka), je vous salue.

MANAVAKA. Salut à toi. (A part.) A la vue de cette maudite servante le secret du roi semble prêt à s'échapper, comme s'il me fendait le cœur. (Haut, en se couvrant un peu la bouche.) Où vas-tu, ma bonne Nipounika, négligeant ton emploi de musicienne?

NIPOUNIKA. Par l'ordre de la reine, c'est vous-même que je viens voir.

MANAVAKA. Qu'ordonne sa majesté ?

NIPOUNIKA. La reine a dit : « Le roi manque d'attentions pour moi; il ne s'aperçoit pas que j'ai l'esprit tourmenté et que je suis affligée. »

MANAVAKA. Est-ce que la conduite de mon cher ami aurait manqué de convenance?

NIPOUNIKA. La reine a été appelée par son époux par le nom de la femme à cause de laquelle il est attristé.

MANAVAKA (à part). Comment! mon auguste ami a luimême trahi son secret? Pourquoi donc, à présent, moi brâhmane, serais-je capable de retenir ma langue? (Haut.) Eh quoi! la reine a été appelée par le nom d'Ourvaçî?

NIPOUNIKA. Quelle est cette Ourvaçî?

MANAVAKA. C'est la nymphe Ourvaçî. Rendu fou par la vue de cette nymphe, il ne désole pas seulement la reine, mais il me vexe rudement aussi, moi, brâhmane, en me faisant tourner le dos au dîner.

NIPOUNIKA (à part). La divulgation du secret du roi difficile à connaître a été obtenue par moi; allons donc e dire à la reine. (Elle s'avance pour sortir.)

MANAVAKA. Nipounikâ, dis de ma part à la fille du roi de Kaçî: «Je me suis fatigué à détourner mon ami de cette folle illusion; s'il voyait seulement le visage de votre majesté, il reviendrait à vous.»

NIPOUNIKA. Il sera fait selon votre désir.

On entend la voix d'un héraut (vâitâlika) derrière le théâtre.
Victoire victoire à toi, ô roi !

Ta manière de gouverner, qui jusqu'aux limites du monde dissipe les ténèbres pour tes sujets, nous paraît une tâche qui égale en grandeur celle du soleil. Il s'arrête seul, un moment, au milieu des cieux, le roi des constellations, et toi aussi, ô roi! à la sixième heure du jour, tu te livres au repos1.

↑ La note suivante est empruntée à M. H. H. Wilson.

Le vâitálika est une espèce de héraut ou barde qui annonce certaines périodes fixes du jour, comme l'aurore et le soir, en un langage rhythmé, et qui, à l'occasion, récite des vers appropriés à la circonstance. Il annonce ici l'arrivée de la sixième heure du jour (deux ou trois heures de l'après-midi environ), seul moment où le roi est libre de prendre du loisir. Voici, d'après une autorité indienne (le daça koumá ra), comment le roi devait employer son temps. Il paraît que le jour et la nuit étaient divisés l'un et l'autre en huit parties, correspondant à peu près à une heure et demie chacune, et voici comment elles étaient réglées.

JOUR. 1re partie. Le roi étant habillé reste à examiner ses comptes. 2 p. Il prononce les jugements dans les causes appelées devant lui. -3° p. Il déjeune. 4° p. Il reçoit et fait des présents. — 5o p. Il discute les questions politiques avec ses ministres et ses conseillers.

MANAVAKA (prétant l'oreille). Mon honorable ami s'étant levé de son siége de juge, se dirige de ce côté; c'est pourquoi je vais aller auprès de lui.

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Le roi, l'air soucieux, entre accompagné de Månavaka.

LE ROI. Cette belle nymphe du monde des dieux est entrée dans mon cœur à la première vue; une flèche de l'amour qui n'est pas tombée en vain, a frayé la route.

MANAVAKA. Et l'aimable fille du roi de Kaçî en est devenue toute triste.

LE ROI (en l'examinant avec attention). Peut-on savoir de toi comment le secret a été divulgué?

MANAVAKA (à part). J'ai été trompé par Nipounikâ, la

6o p. Il est, comme il est dit dans le drame, maître de ses actions. -7° p. Il fait la revue des troupes. 8° p. Il tient un conseil de guerre.

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1re partie. Le roi reçoit

voyés. 2o p. Il dîne ou soupe.

après avoir lu quelque livre sacré. heures) sont données au sommeil.

les rapports de ses espions et en3o p. Il se retire pour se reposer, Les 4° et 5° parties (c'est-à-dire 3 A la 6° p. il doit se lever et se puri

fier. A la 7o p. il a une conférence privée avec ses ministres et donne ses instructions aux officiers du gouvernement.

La 8° partie est réservée, sous la direction d'un brâhmane, prêtre de la famille, aux cérémonies religieuses qui terminent les affaires du jour.

L'auteur de Vikramôrvaçi s'est conformé à cette distribution, en faisant sortir le roi Pourouravas du conseil à la 6o partie du jour. L'heure précise dépend de la saison, les diverses parties étant comptées à partir du lever du soleil. Il est probable que le poëte veut parler de deux heures après midi environ, puisque, à la fin de l'acte, il fait dire au roi que midi est passé et que la chaleur est accablante. La 6o heure commence donc dans le drame vers une heure après midi.

fille d'une servante; autrement pourquoi mon ami m'interrogerait-il ainsi?

LE ROI. Pourquoi restes-tu silencieux?

MANAVAKA. Ah! c'est que ma langue a été tellement liée par moi, qu'elle est sans réponse même pour vous.

LE ROI. Bien, mais à présent, comment me distraire? MANAVAKA. Eh bien, allons à la cuisine.

LE ROI. Pourquoi à la cuisine?

MANAVAKA. C'est que là, en voyant des plats remplis de mets de cinq espèces, il est possible d'oublier un chagrin violent 1.

LE ROI. Tu y trouveras du plaisir en goûtant des mets que tu aimes; mais moi, qui désire ce qu'il est difficile d'obtenir, comment puis-je être distrait (de mon ennui)?

MANAVAKA. Mais ne vous êtes-vous pás trouvé en présence de la belle Ourvaçî??

LE ROI. Eh bien, après?

MANAVAKA. Alors je pense qu'il n'est pas difficile pour vous de la retrouver.

1 La traduction de ce passage est faite sur l'édition de M. Bollensen. Le texte de Calcutta porte :« Là qu'un repas composé de mets de cinq espèces, formé de la réunion des meilleurs morceaux, dissipe votre chagrin, avec des confitures, des sucreries et des gâteaux. >>

M. Bollensen traduit : « Vraiment, vous n'avez qu'à vous montrer à la belle Ourvaçî. —Le roi. Et ensuite? Mánavaka. Il ne vous sera pas difficile de la retrouver. >>

Le texte porte litt. « Mais, je vous le dis, n'avez-vous pas été dans le chemin de la vue de la belle Ourvaçî? » Si l'expression française << donner dans l'œil » n'était pas trop familière, elle rendrait peut-être assez bien le sens de darçanapatathata.

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