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Ils étaient ce matin comme des fils de soie noire,

Et ce soir, les voilà déjà mêlés de neige!

L'homme qui sait comprendre la vie doit se réjouir chaque fois qu'il le peut,

Et bien se garder que jamais sa tasse d'or ne reste vide en présence de la lune 1.

Le ciel ne m'a rien donné sans vouloir que j'en fasse usage.

Mille pièces d'or que l'on disperse pourront de nouveau se réunir. Que l'on cuise donc un mouton, que l'on découpe un boeuf et qu'on soit en joie !

Il faut qu'ensemble, aujourd'hui, nous buvions d'une seule fois trois cents tasses.

Les clochettes, les tambours, la recherche dans les mets ne sont point nécessaires :

Ne désirons qu'une longue ivresse, mais si longue qu'on n'en puisse sortir.

Les saints et les sages de l'antiquité n'ont eu que le silence et l'oubli pour partage;

Il n'est vraiment que les buveurs dont le nom passe à la postérité.

L'EXILÉ.

PAR TOU-FOU.

A l'heure où le soleil va se cacher à l'horizon derrière les mûriers

et les ormes,

Je me mettais en marche, inondé de lumière par ses derniers

rayons;

J'allais parcourant le tableau changeant des montagnes et des rivières,

Et tout à coup je me suis trouvé sous un autre ciel.

Devant mes yeux passent sans cesse de nouveaux peuples et de nouvelles familles,

1 C'est-à-dire, ne jamais laisser passer une belle nuit sans boire en plein air avec des amis.

Mais, hélas! mon pauvre village re se montre pas!

Tandis que le grand Kiang' pousse vers l'Orient des flots que

rien n'arrête,

Les jours de l'exilé s'allongent et semblent ne plus s'écouler.

La ville à double enceinte est pleine de maisons fleuries,

Et jusqu'au cœur de l'hiver les arbres y conservent leur verte couleur;

Le mouvement y est incessant, tout y annonce la cité fameuse Où de toute part les joueurs de flûte remplissent l'air de sons joyeux.

Elle est certainement belle la ville à double enceinte; mais je n'y ai pas un ami dont le toit soit mon refuge.

J'incline la tête, je contemple vaguement la perspective du fleuve et de ses ponts.

Les oiseaux, quand le soir vient, retrouvent chacun leur tranquille retraite,

Et pour moi ce vaste empire n'est plus qu'un immense désert.

La lune naissante ne jette encore qu'une faible lumière ?,

Et de nombreuses étoiles rivalisent avec elle d'éclat.

Depuis les temps anciens que de fugitifs comme moi ont parcouru la terre étrangère !

Ai-je bien le droit de me plaindre de mes malheurs?

1 Le Yang-tse-kiang.

LE MARQUIS D'HERVEY SAINT-DENYS.

2 Expression figurée passée à l'état de locution dans la littérature chinoise, la lune naissante désignant le nouvel empereur, et les étoiles les concurrents qui lui disputent l'empire.

CRITIQUE LITTÉRAIRE ET POLÉMIQUE.

De l'interprétation des Inscriptions cunéiformes assyriennes.

[RÉPONSE AUX DEUX ARTICLES CRITIQUES DE M. ERNEST RENAN, de L'INSTITUT, INSÉRÉS DANS LE Journal des Savants 1].

III.

Dans la troisième partie de mon travail, j'ai soumis à une analyse rigoureusement philologique les textes unilingues de Babylone et de Ninive. J'ai donné le texte cunéiforme, une transcription en caractères latins, une traduction interlinéaire latine, une analyse grammaticale de chaque signe, de chaque mot, une traduction française et une transcription en lettres hébraïques. J'ai ainsi fourni assez d'éléments à l'examen de M. Renan. Mon savant critique pouvait donc s'expliquer en quoi les inscriptions de Nabuchodonosor sur ses édifices, ses canaux, le temple de Mylitta, ne sont pas ce que je pense. Il pouvait contester ma traduction du fragment de la grande inscription qui traite des murs de Babylone, ou l'exactitude des versions que je fournis des textes de Nériglissor, de Nabonid, de Naramsin. Il était à même de réfuter l'interprétation des briques de Sargon, celle de la tablette votive en l'honneur de la fondation de Khorsabad, celle des inscriptions du Harem, celle de la légende du Louvre qui explique la scène du bas-relief qu'elle accompagne3. Il avait l'occasion de combattre mes lectures des noms royaux Tiglatpileser, Assurdanilan, Sennacherib, Sardanapale, Assarhaddon, Assara

1 Voyez, pour la réponse au 2e article, à la page 151 de ce volume.

2 C'est à l'interprétation de cette légende que M. Renan aurait dû s'attaquer, puisqu'elle est conforme au sujet du bas-relief, pour l'appréciation duquel on n'a pas besoin de savoir lire les inscriptions cuneiformes.

nadis, Baladan, Nabonassar, Saosdoukin, Séleucus, Antiochus, Démétrius.

M. Renan n'a pas critiqué mes lectures, il n'a pas attaqué les principes de la grammaire, il n'a pas combattu le sens général des textes que j'établis. Il veut bien, dans un passage à deux fins, parler de ma « rare pénétration »; dans un autre il loue ma « bonne foi». Mais accepte-t-il les résultats inconnus aux lecteurs qui n'auront pas lu mon livre? Il passe sous silence de six à sept mille faits philologiques; il dit seulement que « j'ai l'air d'être plus hardi et ingénieux, que solide et précis >>, et cela parce que, dans une note d'un autre ouvrage, les Études assyriennes, dont M. Renan n'a pas parlé jusque-là, j'ai proposé de fausses étymologies des mots grecs ἤλεκτρον et μόλυβδος; parce que j'ai mal interprété le second élément kudurr du nom Nabukudurrusur, Nabuchodonosor, quoique j'aie dit (p. 258) « que le sens de cet élément était encore à trouver ». Si encore les opinions de M. Renan étaient plus spécieuses que mes vues très-problématiques sur ces petits accessoires; mais elles sont tout aussi hypothétiques.

Quand M. Renan signale à la réprobation des sémitistes la racine dagal «attendre», dont je rapproche l'hébreu degel « étendard »>, mon rapprochement peut être erroné; mais que le traducteur assyrien de l'inscription de Bisoutoun l'ait employée dans ce sens plusieurs fois, et cela dans une forme très-sémitique, cela n'est réellement pas de ma faute. Puisque l'original perse est à côté, et le sens n'en est pas contesté, il aurait au moins fallu attaquer mon déchiffrement.

Ces griefs et une dizaine d'autres aussi peu graves, dont plusieurs même sont très-mal fondés, forment les seules objections que M. Renan fait valoir contre plus de deux cents pages in-4°. C'est de là qu'il déduit une foule d'accusations générales. MM. les assyriologues n'ont pas une juste idée de la fluidité (!) du langage. Je ne connais pas les idées des assyriologues sur ce point important, mais je doute que, si leurs idées sont fausses, ils trouvent beaucoup d'instruction à cet égard dans l'arti

1 Que veut dire M. Renan, par ces paroles très peu précises, en vue de l'application rigoureuse de régles grammaticales découvertes par moi? M. Renan est-il précis et solide quand il traduit en langue civilisée les incartades d'un certain savant, datées longtemps avant l'apparition de l'expédition de Mésopotamie?

cle de M. Renan. Mais MM. les assyriologues n'en reconnaissent pas moins le mérite hors ligne des travaux de M. Renan, quand même ils ne s'expliqueraient pas l'interprétation de Saqanmelek (où M. Renan identifie un q avec un k), les étymologies de Surmubel, de Sanchouniathon, de Οὐαβαλλαθος, de Σαλμαλαθος 4, de Οὐάδηλος, de Hobal (οὐ M. Renan croit voir byn) et les quelques autres étymologies de notre trop sévère critique. MM. les assyriologues diront : « Pauperis est numerare pecus: quand même vous nous prouveriez la fausseté de six cents faits, soyez clément à cause des cinq mille sept cents autres ! 3 »

On s'étonnera peut-être de cette apparence de malveillance à l'égard de ces études; mais nous croyons que, psychologiquement parlant, M. Renan traverse une phase qui l'amènera vers la vérité. Poussé par des considérations ethnologiques très-contestables, M. Renan a nié d'abord le sémitisme des Assyriens. Nous ne savons pas de quel droit il a pu traiter des hommes qui étaient dans le vrai sur ce point, comme ayant plus << de hardiesse que de philologie et de méthode 4». Plus tard il a accordé qu'il y avait en Assyrie un fond sémitique. Maintenant M. Renan étend cette même concession à la langue assyrienne; et bientôt, nous espérons, il proclamera avec nous que la langue assyrienne est une branche des langues sémitiques, tout aussi sémitique que l'hébreu, le chaldaïque, l'araméen, l'arabe et l'éthiopien.

Dans la première édition de son ouvrage, M. Renan a parlé de la langue à jamais perdue des conquérants de l'Assyrie. M. Renan dit que cette

1 M. Renan y voit le mot arabe ilah, dieu, allah, le dieu, dont le h, en vertu d'une loi générale des langues sémiliques, ne peut jamais se changer en th, parce qu'il est radical. De l'existence de ces noms, M. Renan conclut au monothéisme des Palmyréniens; tandis que la présence du th dénote ou la forme féminine ilahath, la déesse, ou le pluriel alihath, les dieux. En présence de tels faits, je réclame l'indulgence pour mes erreurs.

Même requête. Ce serait, nous pensons, hobbal de habba’al, et nous ne parlons pas du aïn, au sujet duquel M. Renan rejette l'explication, inadmissible, selon lui, de Sennaar par Sinnahar, Mésopotamie, les deux fleuves.

3 Le nombre de faits contenus dans l'Expédition de Mésopotamie, ce dont tout le monde peut se convaincre, est de 6,500, de ceux des Études assyriennes, 1,800. Total 8,300. Ce chiffre s'amoindrit de deux mille, par suite des répétitions comptées dans celte évaluation, comme par la défalcation des opinions erronées. Restent donc six mille trois cents faits qui peuvent être comptés comme assez sûrs.

14 Cela n'est juste que pour Moïse, qui était peu philologue.

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