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patrie, pour la gloire et l'honneur, pour votre liberté, votre indépendance et celle de vos enfants.

Celui qui prendra part à cette guerre juste et légitime pour la délivrance des chrétiens recevra de Dieu même sa récompense. Nous aussi nous lui accorderons notre protection et nos bienfaits. S'il le désire et le mérite, nous le ferons participer à tous les priviléges accordés à nos sujets; car nous ne désirons pas d'autre gloire que celle de délivrer les peuples chrétiens de la tyrannie des infidèles, de rendre son éclat à l'Église orthodoxe et de relever la croix, source de vie.

Si tous agissent d'un commun accord, et s'ils font les efforts dont ils sont capables en combattant pour la foi, le nom du Christ sera glorifié et les peuples du païen Mahomet seront repoussés dans leur ancienne patrie, les déserts de l'Arabie.

Ce manifeste de notre majesté impériale sera remis par nos ambassadeurs à vos autorités.

Donné à Moscou, l'an du Christ 1714, le 3 mars '.

On vient de lire le texte de cette éloquente proclamation dans laquelle Pierre le Grand se pose en champion de la croix. Voici maintenant comment un piesme la traduit :

Voici que les Turcs m'attaquent pour venger Charles XII. Mais je me fie en Dieu tout-puissant; je me fie au peuple serbe, et surtout aux vaillants Monténégrins. J'espère qu'ils m'aideront à délivrer les temples de la vraie foi et à illustrer le nom slave. Guerriers de la Montagne-Noire, vous êtes du même sang que les Russes, vous avez la même croyance, vous parlez la même langue, et vous êtes sans crainte comme les Russes. Levez-vous avec votre héroïsme digne des temps anciens, et montrez que vous êtes à jamais les ennemis du croissant 2.

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Il n'en fallait pas tant pour entraîner au combat des hommes qui n'en attendaient que l'occasion.

Aux paroles du tsar slave, du grand empereur chrétien, tous brisent les fourreaux de leurs sabres et saisissent leurs fusils. Il n'y a qu'une voix : « Marchons aux Turcs, et le plus tôt sera le mieux ! »

En Bosnie, en Herzégovine, partout les Turcs sont défaits et bloqués dans leurs châteaux. Partout les villes et les villages musulmans sont livrés aux flammes ; pas une rivière, pas un ruisseau qui ne se teigne du sang infidèle. Mais ces réjouissances ne durèrent que deux mois; elles se changèrent pour les Serbes en calamités, par suite de la paix subite et forcée que le tsar Pierre dut faire avec la Porte. Les Tsernogortses furent pris d'une grande tristesse. Toutefois ils restèrent en campagne, demeurant alors ce qu'ils sont aujourd'hui, buvant le vin et combattant l'Ottoman. Et tant qu'un d'eux restera en vie, ils se défendront contre qui que ce soit, Turc ou autre. Oh! elle n'est pas une ombre vaine la liberté du Monténégro. Nul autre que Dieu ne pourrait la dompter, et dans cette entreprise, qui sait si Dieu lui-même ne se lasserait pas

FRANÇOIS LENORMANT.

FERROUKH-KHAN

ET LE PROGRÈS EN PERSE.

Ferroukh-khan, l'un des hommes les plus éminents de la monarchie iranienne, naquit en 1816 dans la ville de Kâchan (chef-lieu de la province du même nom), située entre Koum

1 Extrait du piesme précédemment cité.

et Ispahan. Il fut admis très-jeune encore au nombre des pages de la cour de l'empereur Feth-Ali chah. Doué à cet âge d'une beauté peu commune, de grâces véritablement féminines, d'une présence d'esprit rare, et possédant une élocution facile, il fut bientôt remarqué par son souverain qui le donna comme compagnon d'armes au feu héritier présomptif de la couronne Abbas Mirza, lors de la mémorable campagne qu'entreprit ce prince, de 1830 à 1832, dans le Khorassan.

Transporté alors des délices de la cour au milieu des déserts du Khorassan, le jeune page y passa environ trois années. La bravoure dont il donna alors maintes preuves lui valut l'estime et la confiance de l'héritier présomptif qui lui confia le commandement d'un détachement de cavalerie, et l'employa comme son émissaire toutes les fois qu'il s'agissait d'une négociation importante et difficile avec l'ennemi. Ferroukh-khan, tantôt comme cavalier, tantôt comme aide-de-camp du prince 1, tantôt comme négociateur, rendit ainsi d'éminents services à Sultan-Méïdan, à Serex et à Hérat.

Lors de son séjour en France, cet illustre diplomate parlait souvent des contrées de son pays qu'il avait eu l'occasion de visiter et des nombreuses questions d'intérêt local qu'il avait laborieusement étudiées. Pour se faire une idée de l'importance des points géographiques que nous venons de mentionner, il faut se rappeler qu'entre Asterabad, ville maritime située à l'extrémité sud-est de la mer Caspienne

1 Ferroukh-khan était celui qui portait le fusil de cérémonie du prince Abbas-Mirza.

et les rives du fleuve Mourghâb, se trouvent les ruines de Gourgan (Hyrcanie), d'Abiverd, de Nissa, de Merv et d'autres villes répandues sur une surface d'environ 2,200 milles anglais carrés dont se composait jadis la riche et fertile province de Dechti-Haveran. Cette province est la mieux arrosée de toute la Perse et une des plus fertiles du monde. Ruinée par la première invasion mogole de Tchenghiz-khan, cette malheureuse contrée ne se releva plus de sa chute. La richesse du sol et la douceur du climat auraient assurément tenté quelques nouveaux colons de relever toutes ces ruines, s'ils n'avaient eu à redouter le voisinage des Turkomans, dont les tribus belliqueuses de Yémout, d'Akhal, de Téké et autres vivent principalement de brigandage et infestent de leurs incursions les provinces de Khorassan et d'Asterabad.

Qu'on nous pardonne ces détails qui nous ramènent à notre point de départ. Ferroukh-khan songeait sans cesse aux moyens de restituer ce beau pays à la mère-patrie. C'était là son idée fixe. Sous le règne de Muhammed-chah, Ferroukh-khan fit partie de plusieurs expéditions militaires à Dechti-Havéran dans le but d'étudier la question des difficultés dont il méditait la solution. Dernièrement encore, à Paris, il se plaisait à raconter ses exploits dans ces parages et surtout à exprimer l'espoir qu'il avait d'être un jour à même de réaliser son rêve chéri. « S'il m'est jamais donné, disait-il, de parvenir au pouvoir, je laisserai un legs précieux à ma patrie : il se nomme DechtiHaveran1. Les guerres avec la Russie ou avec l'Angleterre,

1 Littéralement, « les plaines de l'Orient ».

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ajoutait-il, ne nous réussissent pas; nous ne pouvons élargir nos possessions ni du côté de l'Araxe, ni du côté de l'Afghanistan; mais ce que nous pouvons, et je le ferai, Dieu aidant, c'est faire une conquête pacifique en restituant à la Perse la plus jolie de ses provinces. Si ce projet est un rêve, c'est certainement le rêve d'un homme d'État qui ne manquera pas un jour de le réaliser.

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Par son habileté, ou, comme disent les Orientaux, par l'influence de sa bonne étoile, Ferroukh-khan s'avança de dignité en dignité. Les événements de 1848 et les changements survenus depuis lors en France, ayant rappelé à la Perse l'intérêt tout cordial que lui portait Napoléon I", le jeune chah Nacir-Eddine choisit Ferroukh-khan comme le plus capable de rétablir des relations intimes entre la cour de Téhéran et celle des Tuileries.

Pendant son séjour en France (de 1857 à 1858), nonseulement Ferroukh-khan visita et étudia tout ce qui chez nous pouvait avoir quelque intérêt pour son pays, nonseulement il parcourut nos principaux départements pour se former une idée exacte de notre industrie manufacturière, mais encore il alla visiter tour à tour la plupart des capitales de l'Europe civilisée, Londres, Bruxelles, la Haye, Berlin, Vienne, Turin, etc. Un gros volume de notes a été recueilli par Mirza Hussein, l'un des secrétaires de l'ambassade, aujourd'hui consul de Perse à Trébizonde, notes que l'auteur a déjà offertes à S. M. le chah, et qui, nous assure-t-on, doivent être publiées sous peu.

L'impression que l'illustre diplomate voyageur a rapportée de ces grandes villes, était on ne peut plus favorable à notre civilisation. Et, en effet, il avait eu lieu de se louer de

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