Images de page
PDF
ePub

De sommeil et de volupté,

Et soutenant la tête qui m'est chère,
D'un bras au contour velouté,
Appui plus doux qu'elle préfère
Au velours de son oreiller :
«De cet empire l'on m'appelle

« La RÉVOLUTION, dit-elle,

« Alors pourquoi me réveiller? »

Le poëte ajoute à ces paroles de la malicieuse Laïla, que, « sous le règne du sultan Aboubekr ben-Saad, on ne vit d'autres révolutions que celles causées par le sourire enivrant et la belle taille des jeunes filles. »

On peut voir par cette citation que le bizarre prénom de Révolution existe bien réellement chez les Persans. J'ai choisi cet exemple, non pas dans le but de donner raison à ceux qui ont fait mention de cette étymologie hébraïque du nom de Marie, mais pour expliquer ce qui a pu motiver l'une des erreurs dans lesquelles ils sont tombés.

En définitive, on peut persister à soutenir, d'après de puissantes autorités, que ce prénom est égyptien, et signifie CHÉRIE, AIMÉE.

Le baron PAUL DE BOURGOING, sénateur.

LES MONTÉNÉGRINS.

ÉTUDE HISTORIQUE '.

IV.

L'homme à qui la Providence réservait le rôle de libérateur de son pays était le vladika Daniel Petrovitj Niegosch. Sa naissance était illustre; il descendait de la famille des Herakovitj, l'une des plus considérables maisons de l'Herzégovine qui, après la conquête de cette province par les Turcs, était venue s'établir dans le Monténégro et y avait fondé au-dessus du Cattaro, dans la montagne de Lovtchen, un village qu'elle avait appelé Niegosch, du nom de son ancienne résidence en Herzégovine. Daniel fut élu métropolite en 1697. Il essaya d'abord pendant quelque temps de se soustraire à cette dignité par un refus obstiné; mais les sollicitations du peuple et du clergé finirent par vaincre sa résistance.

Son premier acte montra clairement quelle serait sa conduite dans l'avenir. Refusant de reconnaître l'autorité du patriarche que la Porte avait forcé le clergé serbe d'élire en remplacement d'Arsène, à la suite de l'émigration de ce dernier, il ne voulut pas se rendre à Ipek auprès d'un intrus, et traversant les plus grands dangers au milieu des

1 Voy. Revue orientale et américaine, t. Ier, p. 217; t. II, p. 165.

musulmans de la Bosnie, il alla sur le territoire autrichien demander la consécration au patriarche proscrit.

De retour dans ses États, il y médita l'affranchissement définitif du Tsernogore. Après avoir longtemps cherché les moyens de parvenir à ce but, il se résolut à un parti sanglant et terrible que la rudesse de mœurs des habitants et le caractère de sauvage cruauté donné à la guerre par les Ottomans, pouvaient seuls excuser. Comprenant quelle fatale influence les familles turques et les rénégats établis dans les différentes parties du Monténégro avaient exercé sur la population chrétienne, il résolut de les extirper du sol. Une odieuse trahison des Turcs, en 1702, lui en fournit l'occasion et acheva de lever ses scrupules. Mais ici nous laissons la parole à un piesme qui se chante encore aujourd'hui comme un souvenir de gloire dans la famille des Martinovitj.

Les rayas de Zenta ont, à force de présents, obtenu du pacha du sanglant Scutari la permission de bâtir une église. L'édifice terminé, le pope love se présente aux anciens des tribus réunis en assemblée, et leur dit : « Notre église est bâtie, mais ce n'est qu'une profane caverne tant qu'elle ne sera pas bénie; obtenons donc, à prix d'argent, du pacha un sauf-conduit pour que l'évêque du Tsernogore vienne la consacrer. »

Le pacha délivre le sauf-conduit pour le moine noir, et des députés de Zenta vont le porter au vladika de Tsétinié. Daniel Petrovitj, en lisant l'écrit, secoue la tête et dit : « Il n'y a point de promesse sacrée parmi ces Turcs; mais, pour l'amour de notre sainte foi, j'irai, dussé-je ne pas revenir. » Il fait seller son meilleur cheval et part aussitôt. Les perfides musulmans lui laissent bénir l'église, puis ils le saisissent et le mènent à Podgoritsa, les mains liées derrière

le dos'. A cette nouvelle, toute la Zenta, plaine et montagne, se leva et vint dans la maudite cité de Scutari implorer Omer-pacha qui fixa la rançon de l'évêque à 3,000 ducats d'or 2. Pour compléter cette somme, de concert avec les tribus de la Zenta, les Tsernogortses durent vendre les vases sacrés de Tsétinié.

Le vladika est mis en liberté. En voyant revenir leur éclatant soleil, les guerriers de la montagne ne purent contenir leurs transports de joie. Mais Daniel, qu'affligeaient depuis longtemps les conquêtes religieuses des Turcs cantonnés dans le Tsernogore et qui craignait de voir un jour apostasier son peuple, demande en ce moment aux tribus rassemblées de convenir entre elles d'un jour où les Turcs seront, dans tout le pays, attaqués et massacrés. A cette proposition la plupart des guerriers se taisent; les cinq frères Martinovitj s'offrent seuls pour exécuter le projet. La nuit de Noël est choisie pour être la nuit du massacre, qui aura lieu en souvenir des victimes de Kossovo.

L'époque fixée pour la sainte veille arrive; les frères Martinovitj allument leurs cierges sacrés, ils prient avec ferveur le Dieu nouveau-né, boivent chacun une coupe de vin à la gloire du Christ, et, saisissant leurs massues bénies, ils s'élancent à travers les ténèbres. Partout où il y a des Turcs, les cinq exécuteurs apparais

D'autres récits traditionnels complètent le témoignage du piesme en racontant les tortures infligées à l'évêque dans sa captivité. D'après ces récits, il fut d'abord condamné à être empalé, et par une sacrilége parodie de la passion du Sauveur, on l'obligea d'aller à pied de Podgoritza jusqu'à Spouje, portant le pal sur ses épaules pour choisir le lieu de son supplice. Mais le pacha ayant tout à coup changé d'avis, dans l'espoir d'obtenir une riche rançon, Daniel Petrovitj fut reconduit dans sa prison, où pendant plusieurs jours de suite on le mit à la question en le suspendant par les aisselles avec des cordes, pour le forcer à offrir une somme plus forte pour se racheter. Vatslik, p. 16.

2 Sur cette rançon, énorme pour le pays, 2,000 ducats furent fournis par les Monténégrins et 1,000 par les rayas de la Zenta.

sent; tous ceux qui refusent le baptême sont massacrés sans pitié; ceux qui embrassent la croix sont présentés comme frères au vladika.

Le peuple réuni à Tsétinié salua l'aurore de Noël par des chants de triomphe; pour la première fois depuis le jour de Kossovo il pouvait s'écrier: « Le Tsernogore est libre ! »

De cette nuit sanglante, dit M. Marmier, date une nouvelle ère d'affranchissement dans les annales du Monténégro; de cette même nuit date aussi une épopée guerrière qui s'étend en traits flamboyants à travers tout le dix-huitième siècle et qui dure encore, épopée d'un grandeur surprenante, qui parfois s'élève jusqu'à des actes d'une vigueur incroyable.

»

En parcourant les annales de la belliqueuse peuplade dont nous avons entrepris de retracer l'histoire, nous avons rencontré bien des combats, bien des souvenirs de gloire et de triomphe. A partir de 1702 ces combats vont encore se multiplier, la lutte va se continuer sans interruption et sans que dans ses phases diverses la victoire soit une seule fois infidèle aux soldats de la croix. Mais désormais nous ne serons plus obligés, comme dans l'époque qui précède, de nous borner à une sèche énumération de faits et de dates. La ressource et l'appui des poésies populaires qui nous a fait défaut pendant plus de deux siècles, comme si les malheurs des Tsernogortses avaient tari la source de leur inspiration, recommence à nous fournir en abondance des renseignements précieux et des traits épiques. Avec la plé

' Vouk Karatzitj. -- Cyprien Robert.

« PrécédentContinuer »