Images de page
PDF
ePub

nément dans les parties basses, et des ceps de vigne [partout] où le sol s'élevait. Tous les courants d'eau abondaient en poisson. Dans les endroits où le flux s'arrêtait, on creusa des fosses où l'on prenait des limandes quand la mer s'était retirée. Les forêts renfermaient une grande quantité d'animaux de toute espèce. Les explorateurs avaient leur bétail près d'eux. Ils étaient là à s'amuser depuis une quinzaine de jours et n'avaient rien vu de nouveau, lorsqu'un matin, ils aperçurent plusieurs canots de peau [au nombre de neuf]. Ceux qui les montaient vibraient en l'air des perches qui produisaient un bruit analogue à celui du vent qui souffle dans de la paille. « Qu'est-ce que cela peut signifier?» demanda Karlsefne. Snorre Thorbrandsson répondit : « C'est apparemment un signal de paix ; prenons donc un bouclier blanc que nous tendrons de leur côté. » C'est ce que l'on fit. Les étrangers se dirigèrent vers les Scandinaves, dont la vue les surprit, et ils descendirent à terre. Ces gens étaient [petits], noirs, laids; ils avaient une vilaine chevelure, de grands yeux et la face large. Après avoir passé quelques instants à considérer avec étonnement les étrangers, ils s'éloignèrent vers le sud en tournant le promontoire.

CHAP. X.- Karlsefne et ses compagnons s'étaient fait des habitations plus ou moins éloignées du lac. Ils y passèrent l'hiver, et comme il ne tomba pas de neige, leur bétail con

d'une rivière. On pense que cette contrée correspond au pays baigné par le Pocasset, rivière étroite mais navigable, qui sort d'un lac où se perd la rivière Taunton. Par une coïncidence singulière, cet amas d'eau porte encore le nom de baie du Mount-Hope. C'est sur ses rives que s'élevaient les Leifsbudir et les Thorfinnsbudir.

tinua à paître. Un matin de printemps (1008), ils virent venir du midi des canots de peau qui tournèrent le cap. Il y en avait une si grande quantité que si la baie eût été couverte de charbons. Les arrivants brandissaient des perches. Karlsefne et ses gens élevèrent leurs boucliers en l'air. Lorsque les deux troupes se furent réunies, elles se mirent à trafiquer. Les naturels avaient une grande prédilection pour les étoffes rouges, en échange desquelles ils donnaient des fourrures et du vrai petit-gris. Ils voulaient aussi acheter des épées et des lances; mais Karlsefne et Snorre prohibèrent le commerce des armes. Les Skrælingar donnaient toute une peau de petit-gris pour un empan d'étoffe rouge, qu'ils entortillaient autour de leur tête. Au bout de quelque temps, le drap commençant à devenir rare, Karlsefne et ses compagnons le coupèrent en petites lisières d'un doigt de large, que les Skrælingar achetèrent au même prix ou plus cher qu'auparavant.

CHAP. XI. Il arriva qu'un taureau, amené par Karlsefne, sortit de la forêt et se mit à beugler. Ce bruit effraya les naturels, qui s'enfuirent sur leurs canots et ramèrent au sud le long de la côte. On ne les revit pas durant trois semaines entières,, Mais après ce laps de temps, il vint du sud un grand nombre de Skrælingar, montés sur des embarcations dont la marche était aussi rapide que celle d'un torrent. Ils brandissaient des perches contre le soleil et proféraient des hurlements aigus. Voyant que les gens de Karlsefne leur présentaient un bouclier rouge, ils descendirent à terre et coururent à leur rencontre. Il s'ensuivit un combat où les Skrælingar lancèrent une grêle de traits, car ils

avaient des balistes. Ils élevèrent au bout d'une perche une boule énorme, qui ressemblait à une vessie de mouton et qui était bleuâtre1. Lancée sur la troupe de Karlsefne, elle fit un tel bruit en tombant, que ceux-ci prirent l'épouvante et se mirent à fuir le long du fleuve, car il leur semblait qu'ils étaient entourés de tous côtés. Ils ne s'arrêtèrent que sur des rochers où ils firent une vigoureuse résistance. Freydis (fille d'Érik le Rouge et femme de Thorvard) s'avança, et voyant que ses compatriotes cédaient, elle leur cria: « Comment des hommes vigoureux comme vous peuventils fuir devant de tels misérables, que vous pourriez tuer comme des moutons! Si j'avais des armes, je crois que je me battrais mieux qu'aucun de vous. » Ils ne firent aucune attention à ses paroles. Freydis voulait les suivre, mais sa grossesse retardait sa marche. Elle entra dans le bois, poursuivie par les Skælingar; ayant rencontré le cadavre de Thorbrand Snorreson, qui avait reçu à la tête un coup de pierre plate, elle prit l'épée de ce chef et se mit en état de défense. Lorsque les Skrælingar l'eurent atteinte, elle se dépouilla le sein, se coupa les mamelles avec le glaive [et les jeta sur les naturels], qui, consternés de cet exploit, s'enfuirent sur leurs canots et s'éloignèrent. Karlsefne et ses gens s'approchèrent de Freydis, dont ils louèrent le courage. Ils n'avaient perdu que deux de leurs hommes, tandis que les Skrælingar avaient

Les Groenlandais se servent, pour la pêche des cétacés, de javelots au milieu desquels ils attachent une vessie de phoque, afin de les mieux diriger et de les pouvoir retrouver. C'est peut-être une semblable vessie, attachée à quelque objet pesant, que les Skrælingar leurs ancêtres jetèrent sur les Scandinaves.

laissé un grand nombre des leurs sur le champ de bataille. Ainsi accablés par le nombre, les Scandinaves se retirèrent dans leurs maisons pour bander leurs blessures. En réfléchissant au nombre de leurs ennemis, ils reconnurent qu'ils n'avaient été attaqués que par les naturels venus sur des canots, et que c'était par une illusion d'optique qu'ils avaient cru en voir d'autres descendre de l'intérieur du pays1.

Les Skrælingar trouvèrent un cadavre près duquel était une hache; l'un d'eux prit cet instrument et coupa du bois. Tous ses compagnons en firent autant l'un après l'autre, et voyant que le taillant mordait bien, ils regardèrent cette arme comme une chose précieuse. Mais l'un d'entre

1 L'image du corps ennemi que les Scandinaves avaient devant eux, était reproduite derrière eux par l'effet du mirage, et ils crurent qu'une autre bande de naturels s'avançait contre eux pour les surprendre par derrière; c'est ce qui explique la panique dont ils furent pris subitement. Une illusion du même genre a été observée par un savant moderne dans la même contrée que l'on suppose avoir été le théâtre de ces événements: « En traversant les déserts du cap Cod [Kialarnes et Furdustrandir des Scandinaves], dit Hitchcock, dans Report on the geology of Massachusells, j'ai remarqué un singulier effet de mirage. A Orléans, par exemple, il me semblait que nous montions un angle de trois ou quatre degrés, et je ne fus convaincu de mon erreur que lorsqu'en me retournant je remarquai qu'une pareille inclinaison avait lieu sur la route que nous venions de parcourir. Je n'essaierai pas d'expliquer cette illusion d'optique: j'observerai seulement que c'est un phénomène du même genre que celui qui a frappé M. de Humboldt dans les pampas de Venezuela. Autour de nous, dit-il, toutes les plaines semblaient monter vers le ciel. » C'est peut-être à cause de cette circonstance que les Scandinaves avaient donné au cap Cod le nom de Furdustrandir (rivages merveilleux).

eux l'ayant émoussée en voulant couper une pierre, elle diminua singulièrement de prix à leurs yeux, et ils la jetèrent là.

CHAP. XII. Les Scandinaves, voyant qu'ils seraient continuellement inquiétés par les naturels du pays, se préparèrent à quitter cette belle contrée pour retourner dans leur patrie. Ils se dirigèrent au nord en suivant la côte, et trouvèrent cinq Skrælingar vêtus de peau qui dormaient sur le rivage, et qui avaient à leurs côtés des vases remplis demoelle et de sang d'animaux. Pensant que ces gens avaient été bannis de leur pays, ils les mirent à mort. Ils arrivèrent ensuite près d'un cap qui était couvert de fientes laissées par les nombreux animaux qui y passaient la nuit. Ils retournèrent au Straumfiord, où ils trouvèrent en abondance tout ce dont ils avaient besoin. Quelques personnes rapportent que Biarne et Gudrid y restèrent avec cent de leurs compagnons; mais que Karlsefne et Snorre avec quarante hommes s'étaient dirigés au sud et étaient revenus le même été, après avoir passé deux mois à peine dans la contrée de Hop. Ensuite Karlsefne, laissant à Straumfiord le reste de la troupe, alla avec une seule embarcation à la recherche de Thorall le chasseur. Il se dirigea au nord en côtoyant le Kialarnes, puis il navigua vers l'ouest en laissant la terre à bâbord. Aussi loin qu'ils pouvaient voir, ils n'apercevaient que des forêts désertes et ne trouvaient que fort peu d'espaces découverts. Après une longue navigation, ils arrivèrent à l'embouchure d'un fleuve qui coulait de l'est à l'ouest; ils y pénétrèrent et jetèrent l'ancre près de la rive méridionale.

« PrécédentContinuer »