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au moyen de mots à sens concret; par exemple, la catégo-. rie du datif, du locatif, est rendue, chez les peuples de l'extrême Orient, par un mot signifiant se tenir, demeurer. Ces idiomes ne possèdent à vrai dire que des éléments de signification.

Nous devons aussi prendre en considération la forme extérieure du mot. Souvent il arrive que la forme grammaticale ne consiste réellement qu'en deux mots de signification sans fusion phonétique intime l'un avec l'autre, réunis pour exprimer l'idée de relation, Les idiomes qui nous présentent cette structure sont dits agglomérants ou agglutinants. Ceux où chaque élément de signification est nettement séparé des autres sont dits idiomes isolants ou par juxtaposition. En opposition à ces langues qui n'ont pas su distinguer l'élément concret de l'élément de relation, l'on trouve les langues qui opèrent cette séparation au moyen des racines objectives et subjectives, ou radicaux verbaux d'une part et radicaux pronominaux de l'autre. Par leur nature immatérielle et abstraite, les pronoms sont éminemment propres à exprimer l'idée de relation. Ils peuvent la rendre d'une manière immatérielle, s'unir au mot concret sans porter atteinte à son unité. Cette dernière classe de langue est connue sous le nom d'idiomes à flexion.

Nous voyons donc ici trois éléments morphologiques différents: la juxtaposition, l'agglomération et la flexion. Ils sont enfantés par autant d'instincts physiologiques radicalement distincts l'un de l'autre, et leur forme extérieure varie par suite de la variété des formes intimes de langage qui les ont produites,

La plupart des peuples cependant ont voulu déterminer

en quelque manière la substance de leur pensée. Ils n'ont pas saisi la notion de catégorie grammaticale, et n'ont pu par conséquent donner à leurs idiomes de véritables formes de relation. Ils s'en sont tenus à l'adoption de quelques formes purement accessoires. Ce ne sont pas sans doute des catégories grammaticales; mais dans certains cas, elles peuvent en tenir lieu. La personne, par exemple, peut être distinguée par la position qu'elle occupe; l'action être déterminée suivant sa durée ou son intensité. En kawi, il dit, se rend par le participe dicens; ils disent, par le fréquentatif dictitans, etc., etc. Les idiomes isolants, tels que le chinois, se distinguent de ces idiomes agglomérants par leur faculté de rendre chaque idée de relation au moyen d'un mot déterminé à l'avance, et par la structure régulière de leur syntaxe, en vertu de laquelle le rapport de chaque mot avec les mots qui le précèdent ou le suivent est rigoureusement spécifié.

Dans certains idiomes agglutinants, tels que le finnois, les lois euphoniques acquièrent un développement extrordinaire. Les mots de signification s'émoussent, perdent leur physionomie primitive et semblent se transformer en mots de relation. Toutefois ce progrès ne s'accomplit que dans le domaine des lois phonétiques, et la conscience interne du peuple ne s'élève pas jusqu'à la notion de la forme idéale. Un coup d'œil jeté sur la grammaire suffit à nous faire voir la pauvreté réelle de ces idiomes. Par contre, on voit certaines langues, l'égyptien entre autres, douées d'un organisme très-perfectionné, mais auxquelles la pauvreté de leurs lois phonétiques donnent une grande ressemblance extérieure avec les idiomes agglutinants.

Ce développement morphologique semble au reste, tout comme le développement physiologique, dater de l'époque même de la formation de l'idiome. L'égyptien, par exemple, du temps des Pharaons est sous ce double rapport identiquement le même que celui qui se parlait au temps de la domination arabe.

Le rapport du mot de signification avec le mot de relation et sa manifestation morphologique est un premier élément de division des idiomes; un deuxième, c'est l'opposition et la relation existant à la fois entre le sujet et l'attribut (prædicat), ou, pour parler plus exactement, entre le sujet et le verbe défini. Tous les idiomes dépourvus de formes de relation sont par la même raison dépourvus de sujet et de verbe défini. Il est bien entendu que l'on ne parle ici que du sujet et de l'attribut grammatical, non du sujet ou de l'attribut logique, qui parfois sont tout différents.

Certains idiomes, la langue annamite par exemple, n'indiquent en aucune manière les divers nombres de la phrase. Elle se refuse à toute espèce d'analyse, et pour la comprendre, il faut en deviner le sens. Les mots haute montagne, dans cette langue, signifient indistinctement la montagne est haute, hauteur de la montagne, haute montagne, etc., etc. En chinois, au contraire, c'est le sujet logique qui joue le rôle d'attribut grammatical, et l'attribut logique remplit l'office de sujet grammatical. Bien des idiomes possèdent de nombreuses désinences, mais qui n'ont toutes qu'un sens concret et matériel. Chez eux le verbe n'existe pas et ils disent ego amans pour j'aime. Là est la pierre de touche qui nous révèle leur pauvreté véritable.

Plus riches semblent être les idiomes mongol et mand

chou; ils ont des formes, par exemple, qui correspondent au latin amans, amatus; d'autres à la forme amator, amatorius. Cette richesse toutefois n'est qu'apparente: ce que ces idiomes ont compris, en effet, ce n'est pas la distinction entre le verbe et le nom, mais seulement la distinction entre l'action durable et celle qui ne fait que passer. Il ne saurait y avoir chez eux de phrase véritable. Ils n'ont que des suites de mots ajoutés l'un à l'autre, parce qu'ils manquent du verbe, qui est véritablement l'àme de la phrase.

En résumé, l'on distingue deux éléments physiologiques de classification 1ola séparation de la forme catégorique d'avec le mot de signification; 2o la séparation du nom d'avec le verbe. Ce qui correspond à cette division, c'est la détermination de la forme au moyen même de la substance du mot de signification, au moyen de l'acception logique, et surtout la distinction entre la catégorie de l'être et celle de l'action. Nous avons ensuite trois éléments morphologiques: la structure isolante dans laquelle chaque mot est invariable, l'agglomération et la flexion. Voyez le tableau ci-contre, qui présente la classification des idiomes suivant les principes que nous venons de poser.

Les deux divisions, marquées l'une à gauche par les lettres romaines A et B, et celle marquée à droite par les cursives, toutes les deux également importantes, indiquent une séparation radicale entre les idiomes. Toutefois ces divisions ne concordent pas l'une avec l'autre, et les groupes VII, VIII, IX appartiennent par l'une de ces divisions à la classe la plus élevée et par l'autre à la classe inférieure.

Dans l'alignement de ces treize classes, on a surtout consulté le plus ou moins de développement du principe phy-.

siologique. Si l'on avait suivi le développement morphologique, l'ordre eût été différent. La langue chinoise se fût trouvée reléguée au no II, tout de suite après les langues de l'Indo-Chine, et la préséance aurait été accordée aux nos VII, VIII et IX. Remarquez qu'en prenant la langue chinoise comme point de départ d'un nouvel ordre de choses, et en plaçant la série dont il compose le premier échelon vis-à-vis de la série précédente, on obtiendra quelques coïncidences fort curieuses au point de vue morphologique : la structure monosyllabique du chinois rappelle singulièrement celle des idiomes de l'Indo-Chine. Le même genre de ressemblance se retrouve entre le turc et l'égyptien, le sanscrit et le finnois, qui occupent tous les quatre une place analogue dans leurs séries respectives.

Notre tableau commence par les idiomes les plus imparfaits pour s'élever ensuite graduellement jusqu'aux langues à organisation supérieure. Le premier groupe dont il ait à s'occuper est celui des idiomes transgangétiques, lesquels jouent en philologie à peu près le même rôle que les algues et les lichens dans le règne végétal. Chez les Malais l'on aperçoit une tendance à distinguer le mot concret de la forme catégorique seulement; cette tendance s'exerce pour ainsi dire à rebours: c'est la signification concrète et matérielle du mot que l'on détermine au moyen de préfixes, de suffixes et de particules intercalées. Les idiomes du sud-ouest de l'Afrique, et notamment le Kongo, font un usage fréquent des suffixes. Ils expriment la dépendance des mots accessoires vis-à-vis du mot qui les régit en leur donnant la suffixe qui est employée pour le mot principal. Le génitif, par exemple, reçoit la même particule que le nom qui le régit.

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